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OneHealth : et si le souci de notre santé aidait à mieux préserver notre environnement ?

Par Maëva Danton, le 1 février 2024

Journaliste

Aujourd’hui, 60% des maladies infectieuses nous viennent de l’animal ©DR

Utilisé depuis les années 1990 dans la recherche et les organisations internationales, le terme de OneHealth, « une seule santé », pose le constat que la protection de la santé de l’Homme est inévitablement connectée à la santé de l’animal comme à celle de l’ensemble des écosystèmes naturels. Preuve en est, l’essor des zoonoses, ces maladies transmises à l’homme par l’animal, de plus en plus nombreuses du fait de la fragilisation des écosystèmes naturels. Un concept que le cabinet d’étude parisien Sinonvirgule tente de vulgariser. Pour que le grand public et la sphère politique s’en emparent. Avec l’espoir que l’argument de la santé humaine encourage l’action en faveur de la préservation de l’environnement.

OneHealth : et si le souci de notre santé nous poussait à mieux préserver notre environnement ?Sept millions de morts à travers le monde. Des vies bousculées. Une activité sociale et économique sérieusement ralentie, avec des conséquences encore palpables aujourd’hui… Le covid-19 a démontré bon nombre de failles de nos sociétés. Et rappelé aux yeux de tous un fait majeur : notre santé est intimement liée à celle de notre environnement.

Une seule santé en somme. C’est ce que porte depuis les années 1990 le concept de « Onehealth ». « Cette notion a été popularisée à l’occasion d’un épisode de fièvre du Nil occidental qui a été transmise à l’humain par le biais d’un animal, plus précisément d’un oiseau », explique ainsi Joseph Sournac, cofondateur du bureau d’étude Sinonvirgule (bonus) qui travaille sur une étude autour du concept de OneHealth. Ces maladies transmises par un animal, aussi appelées zoonoses, sont de plus en plus nombreuses depuis les années 1980. De sorte que si avant le XXe siècle, le monde vivait environ une pandémie par siècle, six se sont déjà produites depuis le début du XXIe siècle comme le rappelle le portail gouvernemental notre-environnement.

OneHealth : et si le souci de notre santé nous poussait à mieux préserver notre environnement ? 475% des maladies infectieuses émergentes touchant l’humain viennent de l’animal

Parmi elles, le covid-19 bien sûr, mais aussi Zika, Ebola, ou encore la grippe A H1N1. En cause, l’activité humaine : la déforestation. L’essor de l’élevage qui est par ailleurs de plus en plus intensif. La mondialisation des échanges. Ou encore l’effondrement de la biodiversité.

Et l’enjeu est majeur en matière de santé publique. « Aujourd’hui, 60% des maladies infectieuses viennent de l’animal. Et ce taux monte à 75% quand on se concentre sur les maladies émergentes », observe Joseph Sournac. De quoi alerter les instances internationales qui se sont emparées du concept. Le terme devenant de plus en plus courant dans les couloirs de l’Organisation mondiale de la santé comme de ceux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO). Avec la conviction, dans ces instances comme dans le monde de la recherche, que ces enjeux nécessitent une approche pluridisciplinaire, mêlant diverses spécialités scientifiques, et notamment les sciences sociales qui permettent d’interroger les rapports entre l’humain et son environnement.

OneHealth : et si le souci de notre santé nous poussait à mieux préserver notre environnement ? 3Manque d’incarnation politique

Néanmoins, malgré la modernité de ses enjeux et sa prise en compte au sein des plus hautes instances, « le concept de OneHealth n’est pas vraiment incarné par un projet politique et social », relève Lucas Deutsch, lui aussi cofondateur de Sinonvirugule.

Une brèche dans laquelle veut s’engouffrer le cabinet d’étude venu présenter lors des Journées de l’économie autrement à Dijon, son étude sur le sujet. Intitulée Ooonehealth, celle-ci est censée apporter des réponses à la question suivante : « À quoi ressemblerait notre monde si nous étions pleinement conscients et organisés autour des interdépendances qui lient notre santé humaine à celles du vivant non humain et des écosystèmes ? »

Le travail mené par Sinonvirgule s’appuie sur un comité scientifique d’une petite dizaine de chercheurs issus de différentes disciplines : ethnologie, sociologie, droit, épidémiologie, microbiologie… Ensemble, ils se sont d’abord attelés à dresser une revue de la littérature scientifique sur le sujet, avec l’ambition de relever les principales controverses sur le sujet, le concept de Onehealth pouvant s’exprimer avec des degrés de radicalité différents, comme l’explique Joseph Sournac.

« Certains scientifiques pensent qu’il faut mener des transformations radicales comme abolir l’élevage industriel », ce dans le cadre d’un changement profond de notre rapport au vivant, considérant la santé des écosystèmes, des animaux et des humains comme un commun. « D’autres se limitent à des propositions sanitaires et médicales ». Entre ces deux extrémités, quelques-uns appellent à faire de la santé humaine l’objectif principal des politiques publiques, mettant la santé des écosystèmes et des animaux au service de la santé humaine.

OneHealth : et si le souci de notre santé nous poussait à mieux préserver notre environnement ? 2La santé, une préoccupation majeure

Mais le bureau d’étude ne se contente pas d’établir une revue de la littérature. Il veut participer à la concrétisation du concept de OneHealth au travers de politiques publiques co-construites par plusieurs acteurs. Et s’est pour cela entouré de partenaires comme la Caisse des dépôts et consignations. « Le service de soutien à la recherche de la Caisse des dépôts s’intéresse à ce travail autour de OneHealth car cela peut nous aider à mieux accompagner les territoires dans leurs transformations », explique Diane de Mareschal, responsable enjeux territoriaux au sein de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts.

Convoquant des études de 1993 et 2023 sur les préoccupations des Français menées avec le Credoc, Diane de Mareschal montre que la santé a acquis une importante croissante dans l’esprit des citoyens. « Ce que cela nous dit, c’est que la santé est un bon levier pour aborder la question de la transformation territoriale ». Le sujet peut aussi nourrir de nouveaux modèles économiques, pense-t-elle. « On peut imaginer que pour être attractifs, les territoires pourraient chercher à améliorer leurs conditions de vie, avec pourquoi pas un label qui garantirait des conditions de santé acceptables ». Un sujet sur lequel la CDC travaille notamment avec la Métropole de Lille, portant l’ambition de « définir des critères de bien-être territorial ».

OneHealth : et si le souci de notre santé nous poussait à mieux préserver notre environnement ? 6S’appuyer sur le concept de OneHealth pour transformer les territoires (et la société)

Soigner la santé d’un territoire -c’est-à-dire ses écosystèmes naturels en même temps que ses habitants humains ou non- ce peut aussi être soigner ses sols. Ou encore organiser la gestion collective de certains biens communs : un lac, un cours d’eau, une rade… « Se pose alors parfois la question du statut juridique de la nature. Des travaux émergent sur ce sujet, par exemple avec le Parlement de la Loire qui veut lui accorder une nature juridique ». Mais dans tous les cas, « il n’y aura pas de transformation sans coopération. La question de l’échelle se pose. Ces actions doivent-elles être très localisées ? À l’échelle d’une commune ? D’une intercommunalité ? ».

Du concret, c’est aussi ce que veulent construire les designers de Sinonvirugule avec la conception de divers outils. Parmi eux : une clinique inter-spécialités qui s’occuperait autant de santé humaine qu’animale et végétale. Une application qui nous indiquerait la santé de l’environnement dans lequel on se trouve à un instant T. Un système alimentaire totalement articulé autour du concept de OneHealth. Qui privilégierait la permaculture et la préservation de la biodiversité et bénéficierait à chacun grâce à une sécurité sociale de l’alimentation …

Des pistes à étudier voire, pour certaines, à défendre. C’est à cela que souhaite s’atteler l’équipe de Sinonvirugule dans les prochains mois. De l’étude devra ainsi naître un plaidoyer mobilisant militants et activistes. Pour que OneHealth ne soit plus seulement un concept. Mais un véritable projet de société. ♦

 

Bonus

  • En France, l’Inrae fait partie de ceux qui s’intéressent à ce concept – Sur son site internet, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement propose plusieurs informations et documents concernant le concept de OneHealth. L’Institut de recherche explique qu’en son sein, les projets interdisciplinaires constituent désormais la norme. Et qu’ils lui permettent de mieux aborder les enjeux liés aux épidémies par exemple.
  • Sinonvirgule – Fondé en 2020, le bureau d’étude Sinonvirgule a vocation à faire bouger les lignes pour contribuer à rendre nos modes de vie plus compatibles avec le bien-être de tous, dans le respect des limites planétaires. Il mène pour cela des actions de sensibilisation, pilote des études et dispense du conseil tout en mobilisant des outils complémentaires relevant du design (innovation sous contraintes, conception centrée vivant, analyse des besoins), de la stratégie (analyse de risques, planification stratégique, nouveaux outils de gestion) et des sciences sociales (analyse de tendances, collecte de signaux faibles, prospective). Plus d’informations sont à retrouver sur son site internet.
  • Les partenaires de l’étude – Pour mener son étude, Sinonvirgule s’est appuyé sur un réseau de partenaires. Parmi eux: l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts. Mais aussi l’association Alliance santé planétaire, la Laboratoire des déviations économiques, l’école de design Nantes-Atlantique. Ou encore le laboratoire de recherche de designers Zoepolis.
  • La Caisse des dépôts et consignations – C’est elle qui a pour mission de récupérer, de gérer et de distribuer les sommes issues des comptes bancaires (livrets A notamment) et des contrats d’assurance-vie inactifs. Elle comprend plusieurs directions dont la banque des territoires qui accompagne les territoires dans leur transformation. La Caisse des dépôts finance par ailleurs des activités de recherche liées à ses domaines d’intervention, au travers de son Institut pour la recherche.