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Rue d’Aubagne, et après ? (6)

Par Nathania Cahen, le 21 janvier 2019

Journaliste

Qu’il s’agisse des cours de soutien scolaire proposés aux enfants ou de l’alphabétisation des adultes, Destination Familles donne dans le concret. Durant le drame de novembre, c’est devenu un refuge, un lieu ressource. Aujourd’hui plus que jamais, Destination Familles est un repère pour les habitants du quartier.

 

Il y a 13 ans, Dalila Ouanès, une salariée du centre social de Belsunce, créé l’association Destination Familles. Parce qu’il manque un équipement social à même de répondre aux besoins des habitants de ce quartier très populaire. Le premier et petit local situé rue Jean Roque, devient rapidement trop exigu pour répondre à l’afflux de demandes et, en 2011, l’équipe emménage dans 150 m², au numéro 43 de la rue d’Aubagne. Elle compte aujourd’hui 235 adhérents, représentant environ 600 personnes. Hervé Trémeau, au passé de travailleur social et d’éducateur spécialisé, en est le directeur depuis deux ans. Les valeurs-clé de l’association qu’il dirige ? « La convivialité, la proximité, la dimension familiale. Pour certains qui fréquentent le lieu depuis plus de dix ans, c’est comme une deuxième maison. On y passe parfois juste pour boire un thé ou partager un gâteau ».

Précieux, le soutien scolaire

À Noailles, Destination familles resserre les liens 2C’est le gros morceau : une centaine d’enfants de niveau CP jusqu’au bac, et d’autres sur liste d’attente, accompagnés en petits groupes par 30 bénévoles qui les remettent à niveau (en Français, maths, langues…) et les aident à ne pas décrocher. Ces bénévoles sont étudiants, retraités, parfois salariés, souvent des femmes. Lamia Boussadia, aujourd’hui coordinatrice de l’association est arrivée là voilà dix ans pour du soutien en maths, alors qu’elle était en Terminale. « Après le bac, je suis revenue comme bénévole. Et une fois décroché mon master en enseignement, en 2014, j’ai accepté le poste qui m’a été proposé. Je me suis très vite attachée à ce lieu, j’apprécie le contact avec les jeunes, la chaleur des relations humaines ». Pour les adultes, les cours d’alphabétisation, dispensés cette fois par des prestataires extérieurs, sont souvent un sésame pour l’intégration.

Et d’autres services extrêmement utiles

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Lamia Boussadia, Mona qui travaille à l’accueil, et Hervé Trémeau.

Depuis le début, des partenariats sont noués avec diverses associations à même de faciliter le quotidien des adhérents. Ainsi, depuis plus de dix ans, les Compagnons bâtisseurs animent des ateliers d’auto-réhabilitation, pour rénover, remettre à moindres frais son logement en état : des professionnels du bâtiment en plus de bénévoles et de jeunes volontaires estiment le projet de réhabilitation et transmettent leur savoir-faire. Également précieuses, les permanences juridiques assurées par Médiance 13, pour aider à la constitution de dossiers et démarches administratives diverses (énergie, CAF, allocations diverses). Le CCO (Centre de culture ouvrière) intervient de son côté sur les questions plus pointues des droits des personnes étrangères : comment obtenir un titre de séjour ? Demander un regroupement familial ? Pôle Emploi y tient également une permanence deux fois par mois.

Dernier service mis en place, l’initiation à l’informatique, « aujourd’hui essentiel, qui permet l’accès à tous les services dématérialisés et qui vient en appui des cours de Français pour consolider les apprentissages », souligne Hervé Trémeau. A noter encore, un partenariat avec l’Encre Bleue, une association d’écrivains publics.

Plus récréatif, pour les jeunes et les moins jeunes, un beau menu d’activités se décline tous azimuts : théâtre, percussions, cuisine, art-thérapie, découverte des médias, danse avec, cerise sur le gâteau, une fanfare d’accordéons.

5 novembre 2018, et après ?

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@Sylvain Thomas / AFP

Ce matin- là, le temps suspend son vol. Médusée, l’équipe entend ou découvre l’impensable : dans un nuage de poussière, deux immeubles voisins se sont discrètement effondrés. « Nous avons immédiatement servi de base arrière, pour l’accueil des familles mais aussi des représentants de la ville et de la métropole, les techniciens, les journalistes…. Nous sommes devenus un lieu où on venait déverser ses émotions », confie Hervé Trémeau, encore secoué. Tous connaissaient bien l’une des victimes, Ouloume, qui fréquentait Destination Familles avec Alamine, son petit dernier. Sur place, des collectes sont organisées pour épauler les délogés. Les dons ont afflué. Plus que jamais, l’adresse est devenue synonyme de solidarité.

Au côté de l’action, le besoin d’une réflexion collective s’est très vite imposé. Pour interpeller « de façon constructive » les pouvoirs publics, avec d’autres associations – l’Ampil, la fondation Abbé Pierre, Un Centre-ville pour Tous et les Compagnons Bâtisseurs -, Destination Familles a initié dès le 9 novembre un « Appel commun aux pouvoirs publics » et mis en place l’Agora d’Aubagne, qui a déjà organisé deux réunions publiques et apolitiques. « Le quartier a été très impacté, constate Hervé Trémeau. L’ambiance a changé. Des familles n’osent plus emprunter la rue d’Aubagne. Des délogés ne sont pas sûrs d’y revenir ». L’association suit de près les projets susceptibles d’être édifiés aux anciens numéros 65 et 67 : « nous plaidons pour la mixité sociale. Nous aimons le quartier comme il est et ne souhaitons pas qu’on apporte des corrections, que son équilibre soit rompu. Même si nous dénonçons, bien sûr, les conditions déplorables dans lesquelles vivent certains. Les moyens débloqués, c’est à la réfection des logements qu’ils doivent être affectés ».

Depuis deux mois, chaque habitant du quartier sonde et scrute murs, façades et plafonds. À Destinations familles, l’état des lieux n’est pas fameux et des travaux sont à prévoir ; il va donc falloir quitter les lieux pour deux mois. Le moment peut-être de voir plus grand, avec une à deux pièces supplémentaires. Toujours au cœur de Noailles, une évidence. N.C.

 

Bonus

  • À découvrir en ligne, le clip et la chanson des jeunes de Destination Familles.
  • Les besoins de Destination Familles : des bénévoles bien-sûr, à même de dispenser du soutien scolaire, au fil des onze heures d’étude quotidiennes.
  • Cette association Loi de 1901 bénéficie d’un contrat de ville et reçoit des subventions de l’État, la métropole, le Département et la Ville de Marseille, une aide de la CAF, et des dons.