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Calais, une station balnéaire avant d’être une « jungle »

Par Nathania Cahen, le 26 janvier 2022

Journaliste

Calais entre le marteau et l’enclume. D’un côté l’errance d’une myriade de migrants rêvant d’une meilleure vie outre-Manche. De l’autre, une commune et son économie mises à mal depuis 1999 par la proximité de camps d’infortune. Marketing territorial et campagne de com’ joyeuse s’efforcent aujourd’hui de redorer le blason de la cité portuaire du Pas-de-Calais.

 

L’équation humaine et géographique a de quoi rendre schizophrène. C’est un fait, le nom de Calais renvoie depuis vingt ans au mot « jungle ». Les migrants, la détresse humaine, des scènes désolantes ou sordides. Pourtant, Calais ne se résume pas à l’ex-bidonville le plus grand d’Europe. Calais compte près de 75 000 habitants, un cœur de ville, des commerces, une plage, et un port par lequel transitent annuellement quelque 9 millions de personnes. Un territoire et des entreprises qui, depuis, deux décennies ont perdu des millions d’euros. Une carte postale écornée par le cours de l’histoire.

 

Relancer l’attractivité territoriale

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Pascal Martinache, directeur de la communication et de l’attractivité territoriale de Calais @DR

En 2016, le démantèlement de la Jungle est entrepris (lire bonus). Au mois de juin de la même année, les Anglais votent le Brexit et choisissent de se retirer de l’Europe. Même si d’autres campements informels sont apparus, il est temps pour Calais de redorer un blason dégradé. De séduire des investisseurs que la situation a rendus frileux. De reparler dentelle et remettre en marche la machine à attractivité territoriale. « De rendre justice à la ville, aux Calaisiens, qui méritent mieux que le regard horrifié qu’on portait sur eux », considère Pascal Martinache, directeur de la communication et de l’attractivité territoriale de la Ville de Calais.

Des opérations séduction sont alors montées. À destination des Britanniques, notamment, à qui il faut démontrer que Calais est fréquentable. Au bénéfice d’un jeu-concours sur la chaîne ITV, un millier d’Anglais enthousiastes sont ainsi reçus en 2017 pour une journée shopping et découverte de la ville. L’année suivante, ce sont des chefs d’entreprise qui sont invités autour de la thématique du développement numérique. « Il est important de démontrer que nous sommes une ville attrayante, qui a envie de bouger ».

La mairie soutient également les commerçants avec la campagne et le site Mon shopping c’est Calais !

 

Le dragon de la relance

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Le Dragon de Calais en balade sur le front de mer rénové @DR

Il faut se rendre visible, exister, faire du bruit. Et même lancer des flammes. Car un dragon géant sera l’étendard du renouveau. Signée François Delarozière (le créateur des machines de Nantes), cette bestiole incroyable de 75 tonnes symbolisera en effet ce territoire du nord et les éléments qui s’y rapportent : la terre, la mer, l’air… et le feu ! Le spectacle donné pour sa première sortie rassemble 400 000 personnes. L’heure du renouveau a sonné. Et sa première expression en est cette figure mythologique.

Ce n’est que l’acte I, qui annonce un grand projet urbain en embuscade : la rénovation du front de mer. Le site est inauguré en juin 2021 avec autant de faste que le permet alors le Covid. Mais ces événements doivent être des outils, des faire-valoir. La nouvelle image doit dépasser les frontières de la ville. Irriguer généreusement la Côte d’Opale, jusqu’en Belgique, en Angleterre, à Paris. Les abribus, les gares, les magazines. Dans le même temps prennent fin les travaux d’extension du port (lire bonus).

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Stephan Muntaner, graphiste concepteur de la campagne « Calais LA plage » @DR

Mais comment dire, raconter l’ambition et l’autre visage de Calais ? C’est au Marseillais Stephan Muntaner que cette mission est confiée. S’il a créé le logo de Marcelle, ce graphiste concepteur renommé a également signé les campagnes de communication de Marseille-Provence 2018 Quel amour !, des machines de l’île de Nantes ou de la Halle de Toulouse, celle de la scène nationale du ZEF et… l’arrivée du dragon de Calais.

 

Un catalogue de vignettes rétro

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50 images et autant de clins d’oeil @Muntaner

C’est l’artiste qui parle le mieux de ses créations. « J’avais carte blanche, ce qui est une chance ! Je me suis amusé à concevoir 40 images imprégnées d’humour et assorties de texte. Car évoquer toutes les offres possibles ne pouvait se réduire à un visuel unique, commente Stephan Muntaner. C’est la stratégie des Dragibus : tu commences par en piocher un et tu finis tout le paquet ». Il faut ensuite prendre le temps de se plonger dans cet album de vignettes pour y déceler les allusions multiples et les clins d’œil à la West-coast californienne : LA plage avec les mêmes petites ailes que Los Angeles, le skate, le surf…

Et ça plaît, ça marque les esprits. À telle enseigne qu’une collection d’affiches et objets dérivés (sacs, gourdes, frisbees…) voit le jour. « Les Calaisiens ont les premiers adhéré à cette identité un peu loufoque et acheté les affiches, se réjouit Stéphan Muntaner. C’est le meilleur des retours ! ».

« Il a tapé dans le mille, confirme Pascal Matinache. En imposant Calais comme LA plage. Ses pictos étaient en rupture totale avec ce que nous imaginions. Un travail superbe : qualitatif, drôle, coloré, décomplexé, subtil, restituant bien l’âme de Calais ».

Le pari visuel est gagné. Les images signées Muntaner s’affichent partout, se déclinent dans tous les formats, jusqu’à des bâches gigantesques tendues dans les gares du Nord et de Lille-Flandre.

 

 

Fin de pénitence

Le résultat ? Une fréquentation touristique en hausse de 27% au mois d’août 2021 – des Français, mais également des Belges et des Allemands.

Preuve de « la qualité et l’audace » de la campagne, un prix lui a été décerné. À l’occasion du 33e Forum de la communication publique et territoriale qui s’est tenu à Rennes début décembre 2021, la Ville de Calais a en effet reçu le prix Cap’Com dans la catégorie « Attractivité et Marketing Territorial ». « La revue de presse a changé, souffle un Pascal Martinache soulagé. La page de la violence et de la misère est en train de se tourner ».

Surfant sur cette bonne vague, la campagne « Calais fait briller les étoiles », autour des festivités de Noël a clôturé 2021. L’équipe de communication de la ville de Calais planche aujourd’hui, toujours avec Stephan Muntaner, sur la mise en valeur du passage du Tour de France. Calais en sera la première ville-étape en France, le 5 juillet : un événement populaire et gratuit qui marquera aussi le début de la saison estivale. « Les caméras du monde entier seront là, souligne Pascal Martinache, nous avons un beau coup à jouer ». Nous leur faisons entièrement confiance pour porter l’estocade ! ♦

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Bonus

[pour les abonnés] – Histoire de la « jungle » de Calais – L’économie calaisienne – La dentelle de Calais –

  • La « jungle » ? Un camp de migrants situé à 400 mètres du port. Ses occupants viennent principalement d’Afrique, d’Afghanistan et de Syrie, ils tentent de gagner l’Angleterre.

En 1999, ouvre le centre d’accueil de Sangatte, géré par la Croix-Rouge. Prévu pour 800 personnes, il en accueille rapidement 8 000. Le centre est démantelé trois ans plus tard.

Mais en 2014, après plusieurs démantèlements successifs, la « jungle » de Calais se reforme durablement.

Début 2015, un centre d’accueil ouvre à côté de la « jungle ». Destiné aux femmes et aux enfants, il peut accueillir 1 500 personnes. Environ 1 000 migrants vivent alors sur toute la « jungle ». En septembre, la crise migratoire oblige l’Europe à organiser des quotas d’accueil de migrants : 24 000 pour la France. Une partie des migrants de Calais part alors vers d’autres régions du pays.

En février 2016, les migrants seraient près de 3 000 sur la « jungle », après un pic à 6 000 à l’automne 2015. La préfecture ordonne l’évacuation de la partie sud. Le démantèlement commence le 24 octobre.

En 2021 ? Plus de 1 000 personnes naufragées sont secourues au large de Calais. Soit trois fois plus qu’en 2020 où 341 personnes avaient été mises à l’abri. Ces chiffres ont été publiés en janvier 2022 par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

 

  • L’économie de Calais repose sur trois grands secteurs. Les activités de transport et de logistique. Le numérique. Le tourisme. Plus de 5 700 entreprises réparties sur 8 zones d’activités constituent l’économie calaisienne. Elle se décline dans plusieurs secteurs d’activités constitués d’un réseau dense de TPE et PME ainsi que de groupes nationaux et régionaux. Forgée par la géographie du territoire, elle s’est développée autour du transport maritime et du commerce.

 

– Relire l’article : Plaisance et transition énergétique

 

  • L’extension du port. L’ouverture de l’extension du port de Calais a eu lieu le 5 mai 2021, marquant la fin des travaux de l’un des plus grands chantiers d’Europe. Un maillon essentiel pour les échanges commerciaux en Europe et avec le Royaume Uni. Notamment la liaison maritime Calais-Douvres, route maritime la plus courte et la plus empruntée reliant l’Europe continentale aux Iles britanniques. C’est à ce jour le 1er port de passagers d’Europe continentale (10 millions passagers/an). Et le 1er port français de marchandises, hors conteneurs (43 millions tonnes fret/an).

L’investissement nécessaire à sa réalisation se monte à 863 millions d’euros. Le projet a été conçu pour anticiper les effets à long terme du changement climatique et préserver l’environnement et la biodiversité. En protégeant le port contre l’élévation du niveau de la mer par exemple. Lire à ce sujet l’article du site Meridiam.

 

  • La dentelle de Calais. Au début du XIXe siècle, quelques mécaniciens, ingénieurs et fabricants de tulle originaires de la région de Nottingham émigrent sur le continent pour fuir une période de trouble économique et social et tenter de faire fortune. Certains s’implantent à Calais, important en fraude métiers à tisser et coton filé. Grâce aux évolutions technologiques – l’adaptation du système Jacquard au métier à tulle et la machine vapeur -, Calais et son modeste faubourg Saint-Pierre se transforment ainsi en moins d’un siècle en capitale de la dentelle mécanique Leavers. Le site Histopale raconte cette histoire en cartes postales.

La marque Dentelle de Calais-Caudry®, propriété de la Fédération Française des Dentelles et Broderies, est le fruit de l’évolution de la marque collective Dentelle de Calais® . Elle voit le jour en 1958 pour éviter toute confusion entre cette authentique dentelle 100% Made in France et la dentelle tricotée sur un procédé de maille, de moindre qualité, qui venait de faire récemment son apparition.