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Un rhum qui a des valeurs

Par Frédérique Hermine, le 3 octobre 2023

Journaliste

La marque JM, réputée depuis longtemps pour la qualité de ses rhums auprès des amateurs, appartient depuis 2002 au Groupe Bernard Hayot (GBH). Après avoir rénové, développé et modernisé chais et installations, la distillerie s’est fixée un nouveau challenge : convertir sa production en économie circulaire.

 

C’est la plus petite et sans doute la plus jolie distillerie de Martinique. Blottie au fond d’un vallon au pied de la Montagne Pelée, au nord de l’île, elle apparaît au milieu des palmiers, des hibiscus et des ravenalas, les fameux arbres du voyageur. L’ensemble de bâtiments aux toits de tôle rouge brique et à la cheminée fumante ressemble dans cette jungle à une véritable carte postale. À telle enseigne que le site de Macouba accueille 70 000 visiteurs par an. L’envers du décor ne dépare pas, avec cette volonté affichée de s’inscrire dans un modèle vertueux.

Pour cela, l’entreprise s’appuie sur le programme Edden (Engagés pour le Développement Durable de nos Ecosystèmes et de notre Nature). « Le développement durable des champs de canne à sucre à la distillerie est devenu une obsession. À la fois pour préserver notre culture et notre savoir-faire, les transmettre tout en sauvegardant ce véritable paradis. Et pour produire des rhums toujours de meilleure qualité », annonce le directeur Emmanuel Becheau comme une profession de foi. « Pour préserver la santé des sols, nous avons joué sur les interactions entre les deux cultures dominantes de l’île, la canne et la banane, avec des rotations de culture et de main-d’œuvre. Aujourd’hui tout est mécanisé, mais ce qui nous demande le plus de travail, c’est l’arrachage de l’herbe car nous avons quasiment interdit les désherbants ».

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Emmanuel Bécheau, le directeur de la distillerie et Katia Lassalle, maître de chai ©F.Hermine

 

Changement de pratiques

De nouvelles pratiques ont été mises en place sur près de 300 hectares dont la moitié en propriété : les labours légers, la régénération des sols par des jachères, la plantation de légumineuses dans les rangs pour fixer l’azote et favoriser naturellement la croissance des cannes, des nouveaux plants obtenus in vitro pour un alignement ultra-précis des cannes qui facilite la récolte…

« Nous sommes en réduction constante des produits phytosanitaires, utilisés comme une boîte à pharmacie seulement en cas d’urgence, explique Grégoire Gueden, directeur du pôle spiritueux du groupe JM. Nous travaillons sur une sélection de cannes avec le Cirad, l’organisme de recherche agronomique de Montpellier, pour obtenir des variétés plus résistantes aux herbes. Car les herbicides à outrance pendant des décennies ont beaucoup abîmé les sols ». Un quart des investissements agricoles sont désormais consacrés à la recherche pour une agriculture de précision, de plus en plus raisonnée. « Notre objectif est de faire de notre distillerie l’unité de production la plus vertueuse des Caraïbes pour préserver le cadre incroyable dont nous bénéficions. Car nous sommes partis du constat qu’on ne pouvait pas être le meilleur rhum du monde si on ne se souciait pas de l’environnement ».

Grégoire Gueden déplore néanmoins que la canne soit « une culture orpheline, pas assez importante pour que les grandes divisions de l’Union Européenne s’en inquiètent, la R&D ne ciblant pas particulièrement la culture tropicale ». Le binage mécanique avec des robots expérimentaux est à l’étude. Tout comme la plantation des cannes au GPS, hélas tributaire de coupures fréquentes de satellite.

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Bientôt nouvelles pratiques pour l’ensemble des 300 hectares © FH

La preuve de la traçabilité du champ à la bouteille

Dans le jardin d’Edden des rhums JM 3La feuille de route, structurée depuis quatre ans, notamment avec des spécialistes en RSE, s’applique également à la distillerie. Le directeur du site a embauché une responsable RSE, Fanny Pougeoise, dédiée au programme Edden. « Nous avons travaillé sur une économie circulaire pour limiter les impacts de la production et associer tout le monde à la transmission, précise la jeune femme. Cela a d’abord permis de changer notre façon de raisonner et de travailler ».

80% des parcelles de canne sont déjà certifiées HVE (Haute Valeur Environnementale) et JM a obtenu en avril dernier la certification Bonsucro fournissant une preuve de la traçabilité sur toute la chaîne de production de la canne à sucre dans le but de réduire les impacts environnementaux et sociaux. « Nous sommes la première distillerie des Antilles à être certifiée du champ à la bouteille ».

 

Des résidus recyclés

À la distillerie, la bagasse, résidu de canne à sucre broyée, est réutilisée pour alimenter la chaudière et produire de la vapeur pour la distillation. Les cendres, elles, partent en station de compostage avec le lisier de porc. Les déchets de banane vont enrichir les sols volcaniques contenant peu de matières organiques. La vinasse, déchet liquide issu de la distillation, riche en potasse et en azote, est traitée dans des bassins par des filtres végétaux avant d’être utilisée pour irriguer les champs de banane. Cela réduit les prélèvements dans la rivière et permet de diviser par trois la consommation d’eau de la distillerie. 20 millions de litres d’eau sont ainsi réutilisés dans les parcelles chaque année.

JM accompagne également la start-up Emerwall pour la fabrication de panneaux isolants en Martinique. Depuis 2017, une nouvelle chaudière diminue à 90% les émissions dans l’atmosphère – ils sont les seuls à disposer de ce type de chaudière et de traitement aux normes européennes dans tout l’Outremer (avec la distillerie Bologne en Guadeloupe). Une nouvelle station de compostage dernière génération sera opérationnelle dans quelques mois.

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La bagasse est réutilisée pour alimenter la chaudière ©FH

 

Poursuivre la réduction de l’empreinte carbone

Dans le cadre de la RSE, un indicateur d’empreinte carbone a été mis en place : celle-ci a déjà été réduite par une chasse aux plastiques et aux gobelets, et un remplacement des sleeves plastiques sur les flacons par du verre teinté. Une réflexion est en cours sur le poids de la bouteille pour passer de 900 à 750 grammes.

« Nous étudions également la démarche bio, mais elle se heurte au problème du désherbage, regrette Fanny Bourgeois. Il faudrait trouver de nouvelles techniques culturales et mécaniques. Nous produisons une référence de rhum bio depuis deux ans à partir d’achats de matières premières. Toutefois, elles coûtent deux fois plus cher et les contraintes de production sont également 50% plus élevées que pour un rhum traditionnel ».

La R&D n’a donc pas fini de progresser chez JM car, conclut Emmanuel Becheau, « chez nous, on prélève, on transforme, on produit et on redonne pour faire rimer qualité avec longévité ». ♦

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La démarche bio se heurte au problème du désherbage ©FH

 

Bonus

Les rhums JM. JM comme Jean-Marie Martin, le négociant de Saint-Pierre qui achète l’habitation-sucrerie de Fonds-Préville en 1845 et y bâtit une distillerie. Elle est rachetée en 1914 par la famille Crassous de Medeuil. À l’époque, on compte encore environ 300 distilleries dans l’île. Jusqu’en 1980, la production de JM reste confidentielle. Tout se vend alors par le bouche-à-oreille, directement dans le bureau du grand-père Crassous. Mais le succès va grandissant lorsqu’un journaliste découvre ce rhum au hasard d’un voyage en Martinique dans les années 70 et baptise la marque « la Rolls des rhums vieux ».

Le premier rhum millésimé n’apparaît qu’au début des années 80. En 1996, la production bénéficie de l’AOC Rhum agricole de Martinique. Depuis 2002, suite à une guerre de succession, elle a été rachetée par le groupe de Bernard Hayot qui détient également les rhums Clément. Karine Lassalle vient de succéder comme maître de chai à Nazaire Manatous après 40 ans de maison. JM est toujours réputé pour ses rhums vieux (40 % de la production) mais a récemment modernisé sa gamme avec de nouvelles références (Fumée Volcanique, Jardin Fruité et Épices Créoles) pour la mixologie ainsi qu’une gamme de bitters.