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Avec Ememem, les trous des trottoirs se font arty 

Par Agathe Perrier, le 11 avril 2023

Journaliste

Pour réaliser ses œuvres, Ememem n’utilise que des matériaux de récupération (restes, chutes, fins de collection, invendus…). Une contrainte facteur de créativité selon son staff © DR

Combler les nids-de-poule et les trous des trottoirs par des mosaïques est l’activité de l’artiste Ememem. Inventeur autoproclamé de cette démarche d’art urbain qu’il a baptisée le « flacking », il en est devenu fou. Si bien qu’il a réalisé au moins 500 œuvres à travers la France et l’Europe en dix ans. Dont une petite poignée à Marseille il y a quelques semaines.

 

À l’instar de nombreux autres artistes du mouvement street-art, il opère de nuit. Lui cible les trottoirs abîmés et les répare avec des morceaux de céramiques, verres, miroirs… Créant des mosaïques plus ou moins grandes en fonction de la taille initiale du trou, qu’il signe – quoique pas systématiquement – de six lettres : Ememem.

L’inventeur autoproclamé de cette technique, qu’il a baptisée « flacking », est passé par Marseille début mars. Une semaine pendant laquelle il a réalisé huit « pansements de rue ». « Il était venu à titre personnel et il est tombé amoureux des rues marseillaises », explique Edwige Michelle, membre de son équipe. « Il a adoré l’ambiance et les rues, qui sont riches de plein d’événements et d’histoires à raconter ». 

 

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Ememem puise l’inspiration de l’environnement autour du lieu choisi et des matières dont il dispose. Exemple ici au croisement des rues des Trois Rois et des Trois Mages à Marseille © Agathe Perrier

Des mosaïques issues de récup’

Pour ses œuvres, Ememem puise l’inspiration de l’environnement autour du lieu choisi et des matériaux dont il dispose, uniquement issus de la récupération. Une contrainte qui stimule la créativité, selon son staff. Il se fournit pour cela auprès de fabricants en les débarrassant de leurs restes, chutes, fins de collection, invendus… Et valorise ainsi des déchets voués à la benne.

À Marseille, l’artiste a laissé sa trace sur la Corniche, boulevard d’Athènes, dans le quartier des Antiquaires… (bonus). Et au Cours Julien évidemment, territoire emblématique de la culture street-art dans la ville. « Je ne crois pas que ça ait beaucoup de valeur pour lui. Bien sûr, il fait parfois exprès d’être dans un lieu précis, comme les marches du Sacré-Cœur à Paris, mais sinon il marche au coup de cœur », assure sa porte-parole. Et à l’écouter, des coups de cœur, il en a eu dans la deuxième ville de France. Si bien qu’une seconde session serait prévue ce mois d’avril. Sans plus de détails pour le moment.

 

 

Dix ans de pratique en total anonymat

L’artiste se veut de façon générale discret. Il ne répond pas directement à la presse et laisse son équipe parler pour lui. « On ne donne aucune information qui permettrait de se faire une idée sur sa personne. L’objectif est de s’imaginer n’importe qui, ou n’importe quoi », sourit Edwige Michelle. Même lorsqu’il se déplace dans des festivals, Ememem n’est jamais seul, de sorte à semer le doute. Unique certitude : c’est un homme et un Lyonnais. « D’adoption au moins », ajoute-t-elle avec malice, histoire de brouiller un peu plus les pistes.

Quant à son art, il le pratique depuis 2012. À cette époque, il a un atelier d’art contemporain dans une ruelle de la capitale des Gaules (une des fameuses « traboules lyonnaises »). « L’entrée était tout abîmée et pleine de fissures. Un jour qu’il fumait sa clope, il s’est dit qu’il allait les combler avec ses restes de matériaux. Ça a mis de la couleur, de la féérie », rembobine sa porte-parole. L’histoire ne va pas plus loin jusqu’à son déménagement en 2016. Devant son nouvel antre, il répare un nid-de-poule. C’est officiellement le premier flack d’une longue série qui en compte plus de 500 à travers la France et l’Europe. « Quand il a vu ce que ça provoquait en lui et sur les passants, il a décidé qu’il ferait ça toute sa vie », confie-t-elle.

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À Marseille, Ememem a laissé sa trace aussi bien dans des lieux phares comme le Cours Julien, temple du street-art, que dans des rues plus anonymes, ici la rue Fongate © AP

Les collectivités passent désormais commande

Ememem vit aujourd’hui du flacking. Si ses escapades, comme à Marseille récemment, ne lui rapportent rien, l’artiste répond à des appels à projets et prend des commandes. Notamment de collectivités. La mairie du 9e arrondissement de Lyon l’a par exemple missionné en mai 2021 dans le cadre d’un événement destiné à fêter la fin du dernier confinement. « Cinq œuvres ont progressivement été disséminées dans l’ensemble de l’arrondissement. Dès que l’une était finie, on partageait une photo sur les réseaux sociaux, sans donner le lieu, juste un indice. L’idée était d’inciter les gens à partir à leur recherche », indique Lisa Mambré, adjointe à la culture à la mairie du 9e, à l’initiative du projet.

Si toutes sont encore visibles à l’heure actuelle, rien ne garantit leur pérennité. Une convention a été signée entre l’artiste et les collectivités – dont la métropole lyonnaise, gestionnaire de la voirie – stipulant « qu’il ne peut pas exercer de droit ou faire valoir de propriété ou de maintien de l’œuvre », précise-t-on à la mairie du 9e. Les lieux choisis n’étaient toutefois pas inclus dans des programmes de travaux prochains afin de leur assurer une sorte de longévité. Il arrive évidemment que certaines disparaissent, et c’est finalement le jeu avec le street-art. À Marseille par exemple, l’une de ses huit créations n’a pas tenu plus d’un mois. « Le trou comblé avait été laissé par un poteau anti-stationnement arraché. Sauf que depuis, il a été réinstallé », glisse Edwige Michelle.

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La mairie du 9e arrondissement de Lyon a commandé cinq oeuvres à Ememem dans le cadre d’un jeu de piste incitant les habitants à les rechercher © DR

 

Une pratique particulière

Différents artistes, souvent amateurs, pratiquent maintenant le flacking. Jim Bachor, basé à Chicago aux États-Unis, a lui commencé à combler les nids-de-poule en 2013, avant qu’Ememem n’acquière une certaine célébrité, comme l’a relaté le quotidien The Guardian. En revanche, les dessins de Bachor sont plus figuratifs ou porteurs de messages. « De façon générale, les œuvres d’Ememem se distinguent des autres flackings. Il a un souci du détail et de la finition extrême qui les rendent particulières », considère Edwige Michelle.

Le Français est régulièrement sollicité pour des conseils de réalisation. Si bien qu’il songe à monter une école de flacking. Ou à défaut, un « flacking lab » pour diffuser sa technique en open source et partager son savoir-faire.

Reste que si les flacks embellissent les trottoirs, c’est normalement le rôle des collectivités de réparer les nids-de-poule et autres trous. Pour la mairie du 9e arrondissement de Lyon – qui n’est pas compétente en la matière– cela permet de « réinterroger l’espace public et d’aller au-delà de la simple mission d’entretien ». Contactées par Marcelle, les métropoles lyonnaise et marseillaise n’ont pas répondu dans les délais impartis pour donner leur avis sur la question. Pour Ememem en tout cas, le flacking est une façon de rendre l’art contemporain accessible à tous. Et comme il est complètement accro, nos trottoirs vont continuer à l’inspirer… et à s’ornementer. ♦

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Un nid-de-poule réparé et embelli par Ememem © DR

 

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Société » et partage avec vous la lecture de cet article*

Bonus

[pour les abonnés] – Où voir les œuvres d’Ememem – Pourquoi ce nom Ememem et pourquoi flacking ? – À Paris, une artiste métamorphose les plaques d’ égout-

  • Où trouver les œuvres d’Ememem à Marseille :
    • Boulevard d’Athènes (1er arrondissement)
    • Cours Julien, près du bassin (6e)
    • Croisement des rues Edmond Rostand et Docteur Fiolle (6e)
    • Croisement des rues des Trois Mages et des Trois Rois (6e)
    • Rue Fongate (6e)
    • Corniche Kennedy (7e)
  • Dans les rues mais pas seulement – Ememem participe à de nombreux événements chaque année. Il fait actuellement partie de l’exposition « Seconde vie, l’art de recycler » à voir chez Fluctuart à Paris. Certaines de ses œuvres sont en vente à la galerie Italienne, à Paris également. L’artiste en vend aussi directement sur son site internet.
  • Pourquoi ce nom Ememem et pourquoi le mot flacking ? Le terme flacking vient tout simplement du mot français « flaque » auquel l’artiste a collé ce « petit suffixe à consonance anglaise tellement à la mode » comme il l’explique sur son site interne. Quant aux origines de son pseudo, c’est en référence au « bruit de sa mob quand il part en mission ».

 

  • À Paris, les plaques d’égout. La street-artiste et journaliste parisienne Mélanie, connue sur Instagram sous le pseudo @lestrottoirs customise les plaques d’égout. Munie de peinture acrylique, « qui s’efface facilement », elle s’installe au gré de ses déambulations au milieu de l’espace urbain. Pour elle, c’est un moyen de « redonner du sens à la vie urbaine parisienne, de la beauté à Paris, qui est souvent décrite comme un environnement agressif ».