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Retour sur la causerie « Le monde est à eux »

Par Marie Le Marois, le 27 avril 2024

Journaliste

© Sylvie Bisconi

[au fait !] Marcelle a animé le 26 mars une causerie en partenariat avec le cinéma Les Variétés à Marseille, autour du film documentaire ‘’Le monde est à eux’’. Il raconte l’expérience d’une méthode collective dans une classe dun lycée de banlieue. Basée sur une alliance entre les élèves, leurs parents et les professeurs, elle affiche 100% de réussite au baccalauréat et des mentions depuis 2017. Baptisée Réconciliations, elle est utilisée à lheure actuelle par 200 professeurs en France, au collège et au lycée. Échange croisé entre le cofondateur, Jérémie Fontanieu, également professeur de SES et réalisateur du film, et Robin Renucci, directeur de La Criée, Théâtre national de Marseille, membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle (HCEAC).

Costume cintré et regard alerte, Jérémie Fontanieu arrive tout droit de Drancy (93) où il est professeur de SES depuis 2012. Il a sauté dans le TGV dès la fin de ses cours au lycée Eugène Delacroix. Avant d’échanger avec le public, il envoie son SMS hebdomadaire à des parents d’élève. Le professeur de SES qui a 250 élèves cette année – de la Seconde à la Terminale – assure que cette action lui prend trente minutes par semaine, tout au plus. « La méthode Réconciliations ne nécessite pas de travailler plus, mais mieux », insiste le trentenaire. Avant d’ajouter : « je ne fais qu’envoyer des SMS. Le gros du boulot, ce sont les parents qui le font ». L’idée ? « Impliquer les familles pour que les élèves fassent plus d’efforts et se mettent à bosser à la maison ». Il racontera plus tard que le point de départ de cette alliance provient de sa souffrance en tant quenseignant.

♦ Prochaines séances : Paris, Toulouse, Nancy, Saint-Denis, Gagny, etc. Dates ici

Passivité en classe 

Jérémie Fontanieu envoie des SMS à des parents d’élèves juste avant la causerie Marcelle ©Marcelle

En effet, lorsqu’il était jeune prof, il se sentait impuissant face à « un gros problème : la passivité en classe ».  Les élèves « manquent de volonté, de confiance en eux ». Et comme par ailleurs, beaucoup ont des parents qui n’ont pas été jusqu’au bac, ils n’ont pas de dispositions favorables ou de facilités pour réussir. « Donc leur passivité fait que les résultats sont assez faibles. C‘est frustrant pour eux et pour nous aussi », raconte celui qui illustre le rôle du capital culturel dans son livre L’école de la réconciliation (éd. Les Liens qui Libèrent). La méthode est le fruit d’un accident. Il s’épuisait à répéter aux élèves qu’il ne fallait pas réviser l’évaluation la veille, mais bien avant. Pour leur faire peur, il leur a dit « au bluff » qu’il appellerait les parents si les prochaines notes étaient en-dessous de quatre sur dix. Ce fut le cas pour un tiers de la classe. « J’ai donc été obligé de mettre à exécution ma menace pour garder le peu de dignité qui me restait », relate-t-il, tout en confiant sa « peur » d’appeler les parents. « Car on ne nous dit pas dans notre formation que les parents peuvent non seulement nous aider, mais même sont indispensables. On nous forme plutôt à enseigner seul face à nos élèves. Avec le mythe du prof un peu héros qui, par son charisme, va faire naître l’envie de travailler chez ses élèves. Moi aussi, j’en étais prisonnier en début de carrière. J’ai donc eu peur en appelant les parents qu’ils me jugent ou prennent mon appel comme un aveu de faiblesse. C’était le cas, puisque j’avais besoin d‘eux ». 

Encouragement des parents

David Benoit, professeur de mathématiques, a rejoint Jérémie Fontanieu en 2014. C’est ensemble qu’ils ont peaufiné la méthode  »Réconciliations » et eu l’idée du film ©Sylvie Bisconi

Les parents l’ont accueilli très favorablement. « Ils m’ont dit : ’’n’hésitez pas, nous sommes là pour vous’’. Et plus ils m’encourageaient, plus je gagnais en confiance ». Puis ils l’ont poussé à développer cette alliance, « devenue aujourd’hui un protocole pour qu’ils deviennent systématiquement des alliés indéfectibles ». Il consiste à prendre contact avec les parents en début d’année scolaire pour leur expliquer le fonctionnement et amorcer le lien. Puis de leur envoyer (entre autres) un compte-rendu de la semaine et un rappel de l’évaluation prochaine. Informées des résultats, les familles se chargent ensuite de recadrer ou féliciter leur enfant. À l’inverse, lorsqu’elles ont des problèmes éducatifs à la maison, elles informent le professeur… qui les soutient. Le fait que prof et parents fassent bloc, échangent régulièrement, tiennent le même discours, sanctionnent le pas de travers et encouragent le petit progrès, les élèves se mettent au travail. « Ils ne peuvent plus passer entre les mailles du filet ». 

♦ Chiffres à Drancy : Plus de 1500 élèves et familles touchés par Réconciliations depuis 2012. 100% de réussite au baccalauréat depuis lannée 2017/2018. 25% d’élèves admis en classe préparatoire aux grandes écoles sur les trois dernières promotions de Terminale. 18 mentions dans la classe filmée dans le documentaire.

« Les parents nous donnent de la force »

Robin Renucci, directeur de La Criée, Théâtre nationale de Marseille, est un ardent militant de l’éducation populaire @Marcelle

Pour Robin Renucci, Jérémie Fontanieu, « c’est le ‘’Monsieur Germain’’ d’Albert Camus », l’ancien instituteur de l’écrivain sans qui il n’aurait pas obtenu le prix Nobel de littérature. Le directeur de La Criée évoque la générosité, le respect et la considération du réalisateur du ‘’Monde est à eux’’ pour ses élèves. Des vertus qui offrent une piste d’envol à tous ceux qui ne sont « pas programmés pour réussir ». Tout en le remerciant, le professeur de SES réfute cette image de héros, « sinon on n’appellerait pas les parents à l’aide ». Il ajoute : « Si je n’envoie pas de SMS, il ne se passe rien. C’est vraiment la méthode qui me permet de réaliser mon potentiel. On nest pas tout seul : les parents nous donnent tellement de force ». Ses pairs, qui utilisent la méthode, partagent ce même « sentiment de libération ». Pourquoi un ‘’S’’ à Réconciliations ? Si la réconciliation centrale est la relation parents-prof, il y a également celle des élèves avec eux-mêmes, leur travail et leurs profs. Le documentaire montre également que la méthode rejaillit sur le lien parent-enfant et lambiance à la maison. Jérémie Fontanieu conclut non sans humour : « Les parents nous remercient de les avoir aidés à restaurer leur autorité, alors que nous, au départ, on voulait juste que les élèves arrêtent de sécher les cours ».

Au départ, un procédé égoïste

Jérémie Fontanieu a créé au départ la méthode  »Réconciliations » pour ne plus souffrir en tant que professeur ©SB-3011

Autre différence avec Monsieur Germain : le dévouement. La méthode peut laisser penser que Jérémie Fontanieu est très investi ou dévoué, « mais ce n’est pas le cas ». ‘’Réconciliations’’ permet de « faire en sorte que les deux autres parties prenantes que sont les parents, et surtout les enfants, se mettent au boulot. Et de cesser que tout ne repose pas sur nous ». Ce fonctionnement toxique épuise les profs : « on prend toute la responsabilité sur les épaules et à la fin, on culpabilise parce qu’on n’y arrive pas ». Enfin, l’agrégé d’économie spécifie qu’à l’origine, cette méthode était purement égoïste, « on voulait juste se sauver nous-même ». Cette alliance-là protège en effet les professeurs « des violences du métier : les élèves qui gaspillent leur potentiel, les politiques éducatives catastrophiques, le prof-bashing, le salaire ridicule ».

Il n’y a pas de parents démissionnaires

Ciné-débat sur une méthode inédite contre l'échec scolaire avec ’'Le monde est à eux’’
© Sylvie Bisconi

Bien sûr, quand il a débuté son métier, Jérémie Fontanieu, arrivé par hasard à l’enseignement (bonus), avait un a priori négatif ou inquiet sur les parents absents. Pensait qu’ils « poseraient problème ». Or, avec l’expérience, il s’est rendu compte qu’il n’y a pas de parents démissionnaires. « Certains se sentent impuissants, d’autres démunis. Ils ont parfois limpression de ne pas avoir les infos car ils ne maîtrisent pas Pronote (cahier de liaison digital). Ou de les avoir sans pouvoir les comprendre et donc ne pas se sentir légitimes. D’autres manquent de confiance en eux et en leurs capacités à avoir une action positive sur la scolarité de leurs enfants ». Ils ont besoin d’être rassurés, qu’on aille vers eux, qu’on fasse le premier pas. Investis de cette nouvelle responsabilité de partenaire, ils se montrent ravis de collaborer avec l’école. 

Pas dinnovation pédagogique

Éradiquer l’échec scolaire grâce à une alliance entre prof et parents 3
La causerie Marcelle a attiré près de 100 spectateurs @Marcelle

Parmi les spectateurs du cinéma Les Variétés, une jeune fille de Terminale se demande comment un déclic est possible quand les lacunes se sont accumulées depuis plusieurs années. La méthode n’est effectivement pas magique, insiste son fondateur, mais « lécosystème qu’elle crée fait que la bonne volonté et l’envie de l’élève sont multipliées par dix ». Car il insuffle confiance en soi, conscience de sa dignité et de sa valeur. Robin Renucci rejoint le professeur sur ce point : « le foyer de lautorité est dans la reconnaissance de l’élève, dans sa différence et son altérité ». On ne cesse de dire dans notre société quil faut plus dautorité, « il faut surtout élever ». Et ne pas confondre « autorité et autoritarisme ». À une spectatrice qui demande en quoi la méthode est nouvelle, Jérémie Fontanieu répète que lenseignement n’est pas différent d’un cours classique. « C’est le cadre qui est différent. Nous, on va chercher les parents  qui vont secouer les enfants pour qu’ils arrêtent de laisser leur flegme prendre le dessus. Et du coup, il se passe des choses merveilleusesles élèves se mettent au travail, une dynamique de classe se crée, etc… Et nous, on arrête de s’épuiser ».

Encourager le plus possible

Jérémie Fontanieu utilise dans ses cours également rigueur et discipline, c’est en tout cas ce que montre le film.  « Je vois surtout optimisme, confiance, amour », rectifie le trentenaire. Celui qui porte toujours le costume en cours précise que l’austérité ne fait pas partie de la méthode – « des collègues ne l’utilisent pas ». En revanche l’encouragement est essentiel. « Notre métier à la base est d’élever les élèves, de les tirer vers le haut. Et de leur permettre de nous tirer vers le haut aussi. Ça passe par la valorisation, la confiance en soi, les mots doux, la gentillesse ». Même pour des petites choses. « Aux collègues qui me disent qu’ils n’ont rien à dire dans le SMS, je leur dis : il n’est pas arrivé en retard ? Il ne s’est pas avachi sur la table ? C’est positif. Donc, valorise-le, félicite-le pour ça ».  Ce pédagogue en est convaincu : pour que les parents suivent les professeurs de manière indéfectible, il faut toujours être porteur d’espoir, et non de mauvaises nouvelles. Il est vrai, en revanche, qu’à chaque début d’année, « on ne peut pas directement le faire » avec les nouvelles promotions. Un recadrage est d’abord nécessaire pour cesser les oublis de matériels, les retards en cours, les triches et les absences.

Une méthode qui fonctionne avec tous les élèves 

Parents et professeurs échangent peu dans notre sytème scolaire, il existe même une certaine méfiance. Avec  »Réconciliations », c’est tout le contraire.

Des professeurs dans le cinéma Les Variétés lui demandent s’il y a d’autres enseignants de la classe avec lui dans sa méthode et comment il les embarque. « Au début, j’étais seul, puis mon collègue professeur de maths m’a rejoint en 2014. Petit à petit s’est créée une équipe pédagogique avec des collègues confortables avec cette méthode. Car beaucoup ne sont pas à l’aise à l’idée qu’on transmette autant d’informations aux parents ». Cependant, seul lui envoie les SMS aux parents, avec les informations données par ses collègues. Aux professeurs qui veulent le rejoindre, il leur recommande de se lancer d’abord avec une seule classe et uniquement dans leur matière. « Quand ils auront gagné en expérience, en confiance et puis, en compétence, ils pourront créer une équipe pédagogique. Un levier formidable, mais qui est chronophage et moins efficace que le levier des familles. Évidemment pour la réussite globale des enfants, il est mieux de coopérer entre nous. Mais mon inspiration de départ est de ne pas souffrir en tant que prof ». Une maman dans la salle demande comment sont sélectionnés les élèves pour venir dans sa classe. « On ne choisit pas les élèves. Et cest très important, car la méthode fonctionne pour tous. En plus, il y a plein de choses super dans les autres classes qu’il n’y a pas chez nous. Des sorties, des ouvertures culturelles, des voyages… »

Appropriation des professeurs 

200 professeurs appliquent la méthode  »Réconciliations » en France, 60% au collège, 40% au lycée (filière générale, technologique et professionnelle). Ils se retrouvent régulièrement, en visio ou en présentiel, une fois par an pour échanger.

Robin Renucci demande comment « l’institution reçoit son projet ». Quand Jérémy Fontanieu a téléphoné aux parents la première fois, il n’a pas demandé d’accord à la direction. Puis, quand le projet a pris forme, qu’il a commencé à envoyer des SMS pour la matière d’autres collègues, il a formalisé la méthode par « un petit doc » pour la direction. Qui n’y a pas vraiment prêté attention. « Et c’est normal, il y a 2500 élèves, 200 professeurs, c’est le plus grand établissement d’Île de France ». Il n’a pas eu besoin de ce soutien pour poursuivre ce qu’il pense être juste, pour lui. Car « il y a d’autres méthodes très bonnes ». Et l’Éducation nationale ? Il a eu une proposition du ministre de l’époque pour partager ‘’Réconciliations’’ avec tous les professeurs, ce qu’il a refusé.  Pour lui, il est primordial qu’elle soit diffusée, non pas d’en haut, « dans une idée un peu paternaliste ». Mais de façon horizontale, « avec des profs qui viennent nous voir, à qui on donne les outils. Et qui réinventent leur propre méthode ». Une nécessité car tous les professeurs sont différents : « Entre profs du collège et du lycée, de la banlieue et de la zone rurale. En personnalités, aussi ». 

Des ratés au début 

A l’issue de la causerie, des professeurs présents dans la salle échangent avec Jérémie Fontanieu ©Marcelle

Le documentaire dresse un portrait idyllique de ‘’Réconciliations’’. « Et c’est vrai, admet Jérémie Fontanieu. Parce que le projet de départ était simplement un film-souvenir pour nous ».  Or, « bien sûr » que, chaque année, le mois de septembre est « tellement difficile et frustrant pour les élèves ». Et, bien sûr, qu’« il y a eu des ratés » les quatre premières années. D’ailleurs, aux profs qui veulent se lancer, Jérémie Fontanieu prévient : « On vous donne une boîte à outils (bonus), féconde et efficace, mais cela va prendre trois ans » pour porter ses fruits. Il ajoute qu’ils vont vivre beaucoup de choses formidables, mais aussi de frustrations et d’échecs. « Et cest magnifique, parce que ces échecs permettent de faire mieux lannée daprès ». Le fameux 100% de réussite au bac, Jérémie Fontanieu l’a seulement obtenu au bout de la sixième année. En 2017. Le film, doté d’un petit budget, est diffusé dans une dizaine de cinémas en France. Peu importe pour Jérémy Fontanieu : « Il est un prétexte pour parler de la méthode et donner envie aux collègues de nous rejoindre ». Cest ce qui sest produit à lissue de l’échange, dans le hall du cinéma Les Variétés à Marseille.♦

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Bonus

  • La déviation Fontanieu. « Je suis devenu professeur pour les mauvaises raisons. Non par vocation, comme tant de collègues passionnés, mais pour obtenir un revenu stable et les congés que je pouvais consacrer à la recherche universitaire qui était alors ma priorité. Dix ans et un doctorat de philosophie plus tard, la Seine-Saint-Denis a changé mes plans de carrière comme tout le reste : ma vision de lenseignement et du système scolaire français, des élèves, des parents et des quartiers populaires ».
  • Boîte à outils. Des vidéos tutos, notamment sur la façon de parler aux parents. Un petit guide, un groupe Facebook d’entraide, des visio chaque semaine. Mais aussi une rencontre annuelle, les coordonnées de tous les collègues… Et des astuces pour envoyer des SMS individualisés… mais groupés. Pour rejoindre le projet Réconciliations, contact ici
  • Le film. En 2019, avec son coéquipier, David Benoît, prof de maths, ils filment une partie de lannée scolaire, ce qui devait être au départ un film-souvenir. À ces images sajoutent, à l’été 2020, celles tournées au sein de cinq familles volontaires pour « représenter » lensemble des élèves. Puis, à linvitation des producteurs, de nouveaux plans sont tournés au lycée et à Drancy. ‘’Le monde est à eux’’, monté durant lannée 2022, vise à donner un aperçu de cette méthode pédagogique.