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Face à la pénurie de soignants, former des migrants

Par Marie Le Marois, le 5 septembre 2023

Journaliste

Christophe Pie Belibi, jeune migrant aide-soignant, devant l'Ehpad L'Arribet de Malaussanne

Le constat est sans appel : la France manque cruellement de soignants. Ce phénomène, accru par la crise sanitaire, n’est pas près de cesser avec le désintérêt pour le métier et le vieillissement de la population. Pour y remédier, des EHPAD forment et embauchent des migrants intéressés par le métier d’aide-soignant (AS). C’est le cas dans les Bouches-du-Rhône et les Pyrénées-Atlantiques. Reportage à L’Arribet, à proximité de Pau.

Madame Boissel a toute sa tête, mais plus sa motricité. Désormais en fauteuil roulant, cette femme doit être assistée au quotidien. Pour se laver, se vêtir, se déplacer, se coucher. Ces tâches sont dévolues aux aides-soignants de la maison de retraite dans laquelle elle vit depuis quelques mois : L’Arribet à Malaussanne. 24 résidents dont 15 en unité Alzheimer.

Cet établissement n’a rien de particulier, si ce n’est d’être entouré de champs et d’embaucher des travailleurs exilés. C’est le cas de Christophe Pie Belibi. Camerounais de 28 ans, barbe soigneusement taillée, air jovial et français impeccable – excepté la prononciation des ‘’t’’. Enfant, il se rêvait avocat pour réparer les injustices de son pays, la vie en a décidé autrement.

L’exil plutôt qu’une jeunesse sans avenir

aide-soignant
Madame Boissel aimerait que Christophe l’appelle par son prénom, Nicole. Mais l’aide-soignant, bien que proche des résidents, tient à rester professionnel.

Tout en coiffant Madame Boissel, l’aide-soignant raconte les raisons de son exil. Le président du Cameroun, Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, une dictature teintée de démocratie, une jeunesse sans avenir. Même pour lui, fils unique issu de la classe moyenne, « il n’y a pas de boulot ». En aidant sa patiente à passer de son fauteuil roulant à son lit, il poursuit. Son arrivée à Pau en 2018 à 23 ans, chez sa tante, son coup de cœur pour la ville – « je m’y suis senti tout de suite en sécurité », son désarroi face au casse-tête administratif, sa solitude.

Il déprime avant de se ressaisir. Il comprend que ce n’est pas la France qui ira vers lui, mais lui qui doit s’intégrer. Ce francophone rejoint la chorale Vox Cantabile de Pau, puis l’association Gabomad & Béarn Traditions qui promeut l’artisanat gabonais. Enfin, Pau Partage. 

 

« Il manque 100 000 soignants en France. Selon une étude, un Français sur deux craint une dégradation de la qualité des soins », in France Info

L’intégration

personnes âgées dépendantes
Christophe aide les résidents à chaque instant, mais il ne « fait pas à la place de ». Il soutient au maximum leur autonomie.

Pau Partage est l’un des dispositifs de la ville qui lutte contre l’isolement du troisième âge. Pendant deux ans, Christophe visite les personnes âgées à leur domicile, discute avec elles autour d’un café, les emmène se balader et faire leurs courses. Un jour, alors qu’il s’interroge sur son avenir en France avec une de ses ‘’protégées’’, celle-ci lui dit qu’elle le verrait bien aide-soignant. Cette parole lui sert de « déclic ». Pourquoi pas ? S’occuper des personnes âgées est en effet naturel chez lui. Au Cameroun, il vivait sous le même toit que ses grands-parents maternels dont il s’est occupé jusqu’à leur dernier souffle.    

Il rêve d’intégrer la formation d’aide-soignant, mais il lui faut d’abord être régularisé. Après un premier refus et une obligation de quitter le territoire français (OQTF), il obtient un titre de séjour d’un an, notamment grâce à ses actions bénévoles et une promesse d’embauche de L’Arribet comme agent de services hospitaliers (ASH) : ménage, préparation des petits déjeuners, service des repas…

 

  • (Re)lire Ramina : un réseau citoyen pour entourer les migrants mineurs isolés

Un service pour les mineurs migrants

Mineur non accompagné
Mamadou est accompagné par le service MNA de L’Arribet. Ce Guinéen de 17 ans est en contrat d’apprentissage ASH (ménage, service, etc.) à L’Arribet.

L’Arribet, association créée en 1992, gère quatre établissements pour personnes âgées dépendantes. Elle mesure la ressource que représente un jeune migrant motivé, au point d’avoir ouvert en son sein, en 2019, un service MNA (Mineurs non accompagnés (MNA lire bonus). Sa mission est une prise en charge globale – hébergement, éducation, santé et formation. Mais « l’idée principale est bien sûr de faire face aux difficultés de recrutement des aides-soignants et d’ASH en EHPAD », étaye Bernard Dupont, président de l’association, conseiller départemental et maire de Malaussane.

Douze mineurs sont ainsi en permanence en contrat d’apprentissage dans les quatre établissements, en alternance dans le centre de formation Notre-Dame pour les aides-soignants. La directrice, Marie-Noëlle Camguilhem, loue la collaboration étroite avec L’Arribet : « C’est plus facile d’accompagner les jeunes dans leur projet pour devenir aide soignant ».

 

♦ Les mineurs étrangers isolés (MIE) aussi appelés mineurs non accompagnés (MNA) sont des jeunes de moins de 18 ans arrivés sur le territoire français sans représentant légal. En 2021, le ministère de la Justice a recensé 11 315 mineur.e.s non accompagné.e.s (MNA) en France. Ils sont confiés aux services de l’ASE des départements par décision judiciaire.

 

Remise à niveau en français

Cours de françaisMajeur, Christophe n’est pas passé par le service MNA, mais a néanmoins bénéficié de son réseau. Que ce soit pour les démarches de régularisation, la remise à niveau en français – obligatoire pour toute formation. Ou l’obtention de la part de la région de la formation d’aide-soignant au centre de formation Notre-Dame à Arzaq.

Son diplôme en poche en juillet 2022, il a tout de suite été embauché en CDI par L’Arribet pour couvrir les quatre sites situés en pleine campagne à « environ quinze minutes de distance ». Il a obtenu son permis de conduire (au bout de trois fois), un prêt pour acheter une voiture et pris un appartement à proximité des maisons de retraite, à Malaussane où il a été « bien accueilli par les habitants ».

 

Un conte de fées ?

Christophe mainOn pourrait croire au conte de fées. Il n’en est rien. Christophe a dû se faire une place dans sa promotion – « j’étais le seul homme et le seul Africain sur les quarante étudiants ». Travailler nuit et jour pour compenser ses problèmes de compréhension et d’écrit. Repasser le module ‘’Anatomie’’ de la formation. Et dépasser ses premières réticences comme aide-soignant. Lui qui a grandi dans un pays où les maisons de retraite n’existent pas – les personnes âgées restent chez elles -, rentrer dans l’intimité, laver des corps, changer les couches ne fut pas chose aisée. Pour dépasser ses appréhensions, il se disait qu’il allait voir ses grands-parents, « tout en restant professionnel » tient-il à préciser. 

Les résidents n’ont pas été tendres avec lui au début. Christophe a essuyé des réflexions racistes lors de ses premiers stages, « ils ne voulaient pas de moi pour les laver, parce que j’étais un homme et surtout noir ». Laure, sa collègue animatrice, le confirme : « les résidents au début du dispositif étaient racistes avec les migrants, certains même les traitaient comme des boniches ». Ces propos n’ont « jamais affecté » Christophe, assure-t-il. « Car mon objectif était d’arriver au bout de mon diplôme ». 

♦ Face à sa problématique de recrutement, les EHPAD Korian de la région Provence ont formé, sur l’année scolaire 2022/2023, 15 jeunes migrants de plus de 26 ans en contrat d’apprentissage. Si l’expérimentation est concluante (l’examen du diplôme se déroule dans les semaines à venir), elle sera « renouvelée et pérennisée », affirme Eric Besson, le responsable RH. Et certainement dupliquée dans les départements voisins. Quant aux jeunes diplômés, ils seront embauchés en CDI, prioritairement sur l’établissement qui les a accueillis.

 

Les résidents dépassent leur peur de l’étranger

102 ans
Monsieur Dufau, 102 ans, profite des origines étrangères de Christophe pour évoquer ses souvenirs au Maroc.

Les résidents se sont peu à peu habitués à ces gens venus d’ailleurs et ont dépassé leur peur. Mieux encore : ils louent leur gentillesse. Madame Boissel ne tarit pas d’éloge sur Christophe : « Il est toujours joyeux. Quand il vient au boulot, il a toujours le sourire ». Un défaut ? « Aucun. Il est à notre écoute, il nous aide, il est doux », détaille cette ancienne sportive dont la chambre est constellée de médailles et coupes. Quelques chambres plus loin, Monsieur Dufau, 102 ans, s’évade avec le jeune homme. Après un bref échange – « D’où venez-vous ? », « Du Cameroun, monsieur », « c’est Brazzaville la capitale ? », « Non, Yaoundé » -, il évoque de vieux souvenirs, du temps où il travaillait au Maroc.

Bernard Dupont, le président de L’Arribet, confirme que les problèmes de racisme n’existent plus. Et résume le lien : « les jeunes migrants sont très attentionnés et les personnes âgées les adorent ». 

 

 

Et les EHPAD trouvent du personnel

L'Arribet
Attentionné, à l’écoute et doux. Voici les qualités que lui donnent les résidents de L’Arribet.

On pourrait penser que la solution première pour cautériser l’hémorragie des soignants est la revalorisation de la profession et la mise en place de passerelles. Il n’en est rien. « Nous avons du mal à recruter et à remplir toutes les promotions, malgré une belle hausse salariale. La cause est plus profonde : la santé n’attire plus », constate la directrice de l’institut de formation Notre-Dame. Les exilés peuvent constituer une ressource de choix. « À une seule condition, précise Christophe, qu’ils soient motivésCar c’est un métier d’attention, d’empathie et de patience. On ne peut pas les forcer, sinon les soins seront mal faits ».

Voilà bientôt cinq ans que le jeune n’est pas retourné dans son pays et n’a pas vu sa mère, mais aucun regret. Il a trouvé sa voie et compte même évoluer comme infirmier. Il déposera son dossier dès janvier prochain. « Ce sont les résidents qui me poussent toujours ! », sourit-il, un éclat dans ses yeux. « Je suis heureux et maintenant, je leur donne de la joie ». Tout en baissant le store de Madame Boissel, prête à regarder son feuilleton préféré ‘’Buffy contre les vampires’’, Christophe lui glisse qu’il reviendra le week-end suivant. La vieille dame lui rétorque : « tant mieux, il me tarde ».♦ 

 

Bonus

  • Les services des mineurs non accompagnés (MNA) sont des services de protection de l’enfance, financés par le Conseil Départemental. Leur mission est l’accompagnement social et éducatif des jeunes mineurs non accompagnés. Ils sont pris en charge au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) jusqu’à leur majorité. En 2021, le ministère de la Justice a recensé 11 315 MNA en France. Ces jeunes sont en très grande majorité des garçons (94,8 %), âgés pour 59 % d’entre eux de 16 ans ou plus. Les trois principaux pays de provenance de ces jeunes sont le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire.

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Source : rapport d’activité de la cellule MNA, ministère de la Justice

  • Le service MNA de l’Arribet a été créé sur proposition du département. Il répond à trois besoins identifiés : « Premièrement, ces jeunes ont besoin, pour s’insérer durablement en France, d’une prise en charge globale – hébergement, éducation, santé et formation. Deuxièmement, le constat avéré des difficultés de recrutements des aides-soignants, ASH ou de cuisiniers en EHPAD. Troisièmement, ce projet permet d’éviter la concentration des jeunes au sein d’un seul territoire, celui de Pau », indique le site Internet. 

Le service s’occupe de ces mineurs de A jusqu’à Z – de l’alphabétisation à la formation. « Si la majorité choisit de travailler dans le domaine de l’aide à la personne, d’autres préfèrent l’artisanat », explique le président de L’Arribet qui, dans ce cas, l’oriente vers d’autres partenaires. C’est le cas de Mamadou. Venu de Guinée-Bissau, le garçon de 17 ans est en contrat d’apprentissage ASH, mais souhaite changer de voie et devenir carrossier.