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Dans l’Aisne, le Familistère n’est plus une utopie sociale

Par Virginie Menvielle, le 1 septembre 2023

Ce palais social avait été fondé par l’industriel Jean-Baptiste André Godin, l’inventeur des poêles Godin, pour ses 2000 salariés ©DR

En avril 1859, Jean-Baptiste André Godin pose la première brique du Familistère de Guise, dans l’Aisne. Un palais social dans lequel les ouvriers vivent avec leur patron, où toutes les décisions sont prises en commun. 163 ans plus tard, non seulement le Familistère est devenu un musée, mais il renoue aussi avec l’esprit de Godin. 

Trois immenses bâtiments de briques rouges, des verrières, deux dômes, un jardin… le tout étendu sur plus de 30 000 m2. Dans une autre vie, cet ensemble abritait un palais… social. Baptisé le Familistère, il a été fondé par l’industriel Jean-Baptiste André Godin, l’inventeur des poêles Godin, pour ses 2000 salariés. Une ville dans la ville, avec crèche, école ou encore buanderie, à une époque où les foyers n’avaient ni électricité ni eau courante. Ce lieu, unique en Europe, se situe à Guise dans l’Aisne.

Frédéric Panni est conservateur du Familistère depuis plus de vingt ans.
Frédéric Panni est conservateur du Familistère depuis plus de vingt ans.

 

Un monde nouveau dès 1860

« Godin n’a pas pu rester maire de la ville parce qu’il avait fondé des écoles mixtes et qu’il était en conflit avec la République à leur sujet. Avec sa femme, Marie Moret, il passe énormément de temps sur les programmes scolaires, la pédagogie qu’ils veulent appliquer au Familistère. Ils créent aussi un théâtre, car Godin est convaincu que la création d’une nouvelle société interviendra par l’éducation de la population », raconte Frédéric Panni, conservateur du Familistère. Godin souhaite donc « éduquer » tout le monde : enfants comme adultes. Pour ce faire, il crée l’Association coopérative du capital et du travail, dans le but d’associer tous les salariés vivants aux décisions du Familistère.

Le Familistère disposait d'une nourricerie, autrement dit "une crèche" pour éduquer les enfants dès leur plus jeune âge.
Le Familistère disposait d’une nourricerie, autrement dit « une crèche » pour éduquer les enfants dès leur plus jeune âge.

Ainsi, il fait émerger toutes sortes de comités autogérés, organise des conférences revenant sur les concepts clés de sa pensée. Il explique ce qu’est une réunion, met en place des cours de déclamation à l’école. « Son but est vraiment que les habitants du Familistère, mais aussi ceux de la ville, fassent l’apprentissage par le concret de cette nouvelle société. De ce à quoi ressemble la concertation, de ce que veut dire s’écouter. » Frédéric Panni poursuit : « Pour montrer qu’un autre monde est en train d’advenir à Guise, Godin décide que le Familistère doit se donner à voir. Voilà pourquoi il ressemble architecturalement à un palais. C’est essentiel pour donner de la visibilité à ses expériences sociales. » 

 

Un siècle d’histoire au Familistère 

Cette utopie sociale subsiste jusqu’en 1968, puis une société anonyme succède à lAssociation coopérative du capital et du travail, fondée par Godin en 1880. Les nouveaux actionnaires souhaitent exploiter l’usine de poêles Godin. Mais veulent se débarrasser du Familistère, qui représente, à leurs yeux, une charge insurmontable. Il est alors morcelé. Les anciens bâtiments collectifs reviennent à la ville de Guise. Les bâtiments annexes sont eux rachetés par des bailleurs sociaux et d’anciens « familistériens ».

Le Familistère cesse alors d’être un palais social, sans avoir jamais véritablement essaimé ni créé cette autre société à laquelle l’industriel aspirait tant. Des exemples basés sur une partie de sa philosophie jaillissent en Amérique du Sud, en Bolivie notamment. Mais ils ne sont jamais complètement aboutis. Pourtant sa pensée inspirée du fouriérisme (Charles Fourier a fondé une pensée basée sur l’harmonie universelle) ne meurt pas. 

 

 

Les poêles Godin font toujours la renommée de Guise, plus d'un siècle plus tard.
Les poêles Godin font toujours la renommée de Guise, plus d’un siècle plus tard.

Un lieu hybride pour former, se nourrir, loger

Au contraire, elle reprend vie en 1998 quand Utopia est lancé. Ce projet initié par la ville de Guise, puis repris par le département de l’Aisne, souhaite valoriser l’ensemble du site en faisant du Familistère un établissement culturel et touristique. Une programmation théâtrale annuelle est dès lors mise sur pied, et le pavillon central est transformé en musée national. Frédéric Panni se souvient : « Personne n’y croyait ! Personne ne pensait que des touristes se déplaceraient à Guise pour visiter le Familistère ». 57 millions ont été investis par les collectivités en vingt ans pour faire vivre Utopia. Depuis le Familistère revit, 65 000 visiteurs sont accueillis à lannée, dont plus de 10 000 qui se déplacent pour célébrer le 1er mai à Guise.

Le succès de l’opération a été couronné par une visite du président de la République Emmanuel Macron, en 2021. Ce dernier annonce le financement du Familistère Campus (porté notamment par la Banque des territoires et le ministère de la Culture) suite à l’appel à projet « « Réinventer le patrimoine ». Et acte dès lors une nouvelle étape dans l’histoire du Familistère, celle du renouveau de la philosophie godiniste (inspirée de Godin).

 

L'aile gauche du Familistère, futur lieu d'expérimentations en tout genre.
L’aile gauche du Familistère, futur lieu d’expérimentations en tous genres.

8 millions d’euros pour renouer avec l’esprit de Godin

Cette nouvelle étape dans la vie du Familistère prévoit de réhabiliter entièrement l’aile gauche du palais social pour en faire un lieu hybride permettant d’expérimenter des solutions. Estimé à plus de 8 millions d’euros, le Familistère Campus proposera des hébergements via un hôtel, une nouvelle offre de restauration avec le bar panoramique et de l’apprentissage. Des formations inclusives (notamment dans l’industrie et l’informatique), des chantiers d’insertion (autour du maraîchage, recyclage…) seront bientôt proposés.

L’ensemble de ce volet est pensé dans un système collaboratif, où chefs d’entreprise, étudiants, salariés travaillent de concert. 

Les locaux ne seront pas prêts avant plusieurs années. Les premières formations de chef de projet numérique débuteront cependant au Familistère dès ce mois de septembre. Des travaux pour la création de logements sociaux sont également prévus dans la partie droite. Peu à peu, les deux ailes du Familistère redeviennent des lieux de vie, de savoir et d’échanges. Renouent ainsi avec l’utopie sociale de Godin. L’avenir nous dira si l’histoire d’un monde nouveau écrite au Familistère va enfin dépasser les frontières de Guise… Ce que souhaitait son créateur.