Cette année encore, la promo 2022-2023 de la prépa aux écoles de journalisme La Chance au concours est un bon cru. Depuis le début de ce projet, né en 2007 à Paris, deux étudiants accompagnés sur trois intègrent une école de journalisme, et trois sur quatre exercent le métier de journaliste. Pourtant, au départ, ces désirs professionnels paraissaient souvent inaccessibles à ces élèves boursiers issus de milieux modestes. La Chance prouve le contraire depuis 15 ans en permettant à ces jeunes de concrétiser leurs rêves. Et aux rédactions d’améliorer leurs pratiques.
« Je commence mon stage de première année à La Provence, c’est génial, je retrouve mes tuteurs Anna Rousseau, Lisa Castelly, Caroline Dupuy et Mathieu Grégoire », s’exclame Julie Arbouin. La jeune femme de 22 ans a suivi la prépa La Chance en 2022. Elle a décroché le concours du CUEJ à Strasbourg, une des écoles de journalisme reconnues par la profession. « Je ne pensais pas y arriver, je ne viens pas du tout de cet univers », explique la stagiaire. Elle peut désormais compter sur le solide réseau des quelque 400 journalistes qui animent bénévolement cette prépa en France, dont d’anciens élèves devenus journalistes.
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Nota bene : les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 9 septembre pour l’année 2023-2024 (infos sur le site de La Chance)
Un acte de naissance lié au constat d’un manque de diversité dans les médias
Ce projet créé en 2007 à Paris par Baya Bellanger a essaimé depuis à Bordeaux, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Rennes et Grenoble. « Je sais que je veux être journaliste depuis que j’ai 10 ans. C’est notamment Maryse Burgot, grand reporter à France Télévisions, qui a renforcé mon envie. Quand j’ai su qu’elle était passée par le CUEJ, j’étais tellement fière ! J’ai développé une grande appétence pour l’enquête au cours de mes expériences en rédaction. Des professionnels comme Élise Lucet et Tristan Waleckx m’ont aussi donné envie de tout faire pour atteindre mon objectif ! »
Baya Bellanger, diplômée de Sciences Po Grenoble et du Centre de Formation des Journalistes (CFJ), est à l’origine de cette aventure. Sensible aux questions d’égalité des chances, elle avait envie de s’investir, sans trop savoir comment. « Dans ma promo, au CFJ, presque tous les étudiants avaient fait Science Po ou s’étaient payé une prépa privée, très chère, explique-t-elle. Il y avait peu de gens issus de la fac ou boursiers. En tant que témoins de la société, il est souhaitable que les journalistes soient le plus représentatifs possible de celle-ci, donc proviennent de milieux et d’origines variés. »
Une idée fédératrice née d’anciens élèves du CFJ
Jeune pigiste fraîchement diplômée, elle parle de sa belle idée avec des camarades de promo, Olivier Le Hellard, Selim El Meddeb et Djebrine Belleili : créer une préparation gratuite aux écoles de journalisme reconnues par la profession pour des étudiants issus de milieux modestes ou en situation de handicap. Séduits, ils se lancent avec elle dans le projet. Le CFJ, en la personne de Marc Epstein en particulier (lire interview), leur apporte son soutien, en mettant des salles à disposition et en finançant les cours d’anglais – qui ne sont pas assurés par des journalistes bénévoles mais par des professeurs rémunérés. Le format : huit mois de cours et d’entraînements intensifs. La machine est lancée.
Un projet fédérateur qui réunit des journalistes passionnés et des élèves motivés
Sabri Soltani, alternant chez France Télévisions, avait aussi un rêve de journalisme. Mais, issu d’un milieu modeste – mère au foyer et père maçon -, il choisit une autre voie. « J’ai toujours travaillé pendant mes études, pour me les payer, explique celui qui fut bachelier à 15 ans. La perspective d’une certaine précarité financière dans le journalisme, et le sentiment que ce milieu n’était pas très accessible pour quelqu’un comme moi qui n’avait aucun réseau, m’ont poussé dans une autre voie. » Ce sera une école de commerce et de management. Mais voilà, le jeune diplômé s’ennuie ferme.
Certains rêves sont tenaces. C’est décidé, il prend le risque de se réorienter. Il découvre La Chance, l’intègre et enchaîne les stages au sein de grandes rédactions : AFP, France Télévisions… Ses envies de journalisme sportif laissent progressivement place à des envies plus politiques. « Je pense qu’un fossé s’est creusé entre les journalistes et la population, en particulier les personnes qui vivent en milieu rural ou dans des quartiers modestes. Nous devons faire œuvre de pédagogie, restaurer un lien de confiance, donner la parole à ces populations, qui ne sont pas légion sur les plateaux. »
Des avancées en termes de diversité, mais des inégalités encore fortes à combattre
Si La Chance, avec 75 % d’anciens élèves exerçant le métier de journaliste, apporte sa pierre à l’édifice, le chemin sera encore long. En 2009, des institutions invitaient chaînes et rédactions à plus de diversité sur les écrans et les ondes. En 2020, Carole Bienaimé-Besse, responsable diversité du CSA faisait le constat sur France Info que les médias n’étaient sur ce plan « pas du tout en phase avec la réalité ». Et si les chiffres du baromètre annuel de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) publié en juillet 2023 montrent des avancées, ils montrent aussi des freins importants et des sous-représentations persistantes.
Améliorer la diversité dans les médias est dans notre pays un sport d’endurance. Et pourtant, comment assurer une information de qualité, fiable et objective sans une meilleure représentativité dans les rangs des journalistes de l’ensemble des enfants de France, quelles que soient leurs origines, sociales ou géographiques ? Ces jeunes issus de milieux modestes ne connaissent ni les formats des concours ni les réseaux. La Chance leur met le pied à l’étrier, leur donne de précieuses clés. Elle les aide aussi en cas de coup dur ou pour s’orienter dans le maquis des demandes de stage. Ensuite, à eux de jouer. Et au vu des résultats – 63 % de reçus en école et 75 % d’anciens élèves exerçant le métier de journaliste -, on dirait que ça marche !
Des actions diversifiées auprès des anciens élèves et des rédactions pour accélérer
La Chance accompagne élèves et anciens élèves qui en ont besoin avec des aides dédiées. L’équipe les soutient aussi dans leur parcours d’insertion professionnelle. Elle a par ailleurs développé l’éducation aux médias. Objectif : que ses anciens élèves puissent, en début de carrière, compléter leurs revenus en intervenant auprès de jeunes en milieu scolaire. La Chance mène aussi un travail d’accompagnement des rédactions à travers le club RH qu’elle a monté en septembre 2022. « On observe des progrès et une prise de conscience de la part de nombreux médias, souligne Marc Esptein. Mais beaucoup reste à faire, nous mettons tout en œuvre pour accélérer encore le mouvement dans notre pays. »
*La Criée, Théâtre national de Marseille, parraine la rubrique éducation et vous offre la lecture de cet article*
Bonus – [pour les abonnés]
Marc Epstein : « On peut être un excellent journaliste sans forcément maîtriser tous les codes »