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Laurence Berlemont, de la biodiversité et des stars

Par Frédérique Hermine, le 27 janvier 2022

Journaliste

« Quand on vend des vins, on promeut aussi des paysages et pas seulement une mer de vignes » © F. Hermine

Ingénieur agronome et œnologue, Laurence Berlemont s’est faite connaître en faisant le vin des stars en Provence. Elle est aussi un véritable chef d’orchestre accompagnant des domaines en bio, une locomotive pour le dynamisme d’une région et une initiatrice de projets collectifs.

 

Quand on a comme clients des stars, le couple Clooney n’étant pas l’un des moindres, il faut s’attendre à être quelque peu éclaboussée de poussières d’étoiles dans leur sillage. Si Laurence Berlemont n’a pas œuvré particulièrement pour devenir l’œnologue de célébrités, le fait de proposer depuis plus de 20 ans d’élaborer ou de suivre leurs vins mais également de gérer clés en mains leur domaine a grandement aidé. C’est même elle qui en reprenant le cabinet d’Emmanuel Gaujal (où elle avait appris le métier) a créé l’offre. Elle proposait en effet à des businessmen qui avaient investi dans la vigne de s’occuper de l’ensemble, au moins le temps de trouver un gérant.

 

De rêve en rêve

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Laurence Berlemont propose à des businessmen de s’occuper de leurs vignes © DR

Le parcours de cette Aixoise d’origine est pour le moins atypique. Une mère à l’Éducation nationale, un père à l’Équipement et Marie Curie comme héroïne, elle se passionne très tôt pour la biochimie et rêve de devenir chercheuse au CNRS. Un stage de bioséquençage de mouches plus tard, elle change de direction et se bat pour intégrer la prestigieuse école d’agronomie Paris-Grignon (aujourd’hui absorbée dans AgroParisTech).

Quand il faut choisir une spécialité, c’est une rencontre par hasard avec Denis Boubals, référence de la viticulture mondiale au début des années 90, qui sera déterminante. Elle la conduit sur un coup de tête à SupAgro Montpellier et la fait embrasser une nouvelle vocation. « J’aimais l’idée d’avoir un vrai métier où l’on crée quelque chose comme un ébéniste fabrique un meuble. Même si je ne venais pas d’un milieu viticole, et si, à l’époque, je ne buvais pas de vin ». Avec l’instinct et la passion qui la caractérisent, elle fonce dans cette filière « où l’on n’embauchait pas encore de femmes parce qu’elles faisaient tourner le vin en cave », précise-t-elle avec ironie. Le challenge était d’autant plus stimulant.

Après un premier stage chez Lafite-Rothschild à Pauillac (33), elle revient sur ses terres natales et rentre au Cabinet d’Agronomie Provençale à Brignoles (83), « embauchée un peu comme faire-valoir et dans une région où le rosé n’était pas considéré comme du vin, juste une boisson de copains et de vacances ».

 

De stars en stars

Elle y prend vite ses marques, récupère des clients fortunés « que j’aide parfois à trouver des vignes et pour qui il faut ensuite organiser le quotidien ». Elle travaille ainsi avec l’homme d’affaires américain Tom Bove propriétaire à l’époque de Miraval avant qu’il ne le revende aux Pitt-Jolie. Avec Philippe Guillanton, ex-DG de Yahoo au château Margüi avant la cession à George Lucas. Avec le milliardaire russe Alexandrer Zanadvorov au domaine du Bourrian. L’ex-patron des patrons Pierre Gattaz au château de Sannes en Luberon avec qui elle a même fait la une de Paris Match. Frédéric Biousse, l’homme d‘affaires du prêt-à-porter au château de Fontenille. Le distributeur de films Charles Cohen au Château de Chausse. L’entrepreneur Stéphane Courbit au château Estoublon. Le financier Julien Lagreze au Domaine de Bel Air…

Et depuis quelques mois, le couple Clooney au domaine de Canadel. Laurence se plaît à dire qu’elle est « la fermière de George » et envisage d’élaborer pour lui une cuvée confidentielle. Elle reconnaît volontiers que « travailler avec des gens riches et célèbres qui ont les moyens de leurs ambitions permet une grande liberté de création. À condition de ne pas perdre de vue qu’il faut, à terme, atteindre l’équilibre et ne pas en faire juste une danseuse. Ce que j’aime, c’est créer des vins correspondant à l’ADN de leur propriétaire, sans appliquer de recette mais en les impliquant, en reprenant des domaines endormis pour les faire renaître avec les équipes en place. La phrase que j’appréhende la plus, c’est ‘faites comme pour vous’, car on y perd la personnalité du domaine ».

 

Du bio à la biodiversité

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L’œnologue provençale accompagne près d’une centaine de domaines et emploie désormais 35 personnes © FH

L’œnologue qui en 2010 avait fini par reprendre en mains le cabinet accompagne une décennie plus tard près d’une centaine de domaines. Elle emploie désormais 35 personnes (œnologues, chefs de culture, maîtres de chai, ingénieurs agronomes…) chargées de restructurer, conseiller, convertir (en bio), vinifier, faire construire des chais ou des restanques… L’agro-œnologue joue la chef d’orchestre, milite pour la biodiversité et pousse de plus en plus à diversifier les cultures en arboriculture, dans la truffe, l’olivier, les plantes aromatiques… « Pour éviter qu’une propriété ne reste en monoculture. Parce que tous les terrains ne se prêtent pas au grenache ou au cinsault. Et parce que la Provence, ça peut aussi être la culture de l’amandier, du safran ou de la lavande. Quand on vend des vins, on promeut aussi des paysages et pas seulement une mer de vignes ».

Elle oriente rapidement ses clients vers le bio, d’abord avec les Vignerons de Correns, la coopérative viticole du premier village bio de France qui vient même de passer en culture biodynamique, toujours suivie par le Cabinet.

 

Au début des années 2000, elle s’engage dans une autre forme d’expérience collective avec la Ferme des Lices de Saint-Tropez. Une propriétaire anglaise lui propose de lui confier en fermage ses deux hectares de vignes à remettre en état. La localisation au cœur de la presqu’île tropézienne n’est pas refusable. Il s’agit en fait de l’ancien domaine de Jacques Angelvin, le trafiquant de drogues de la French Connection, démantelé en huit lots après son arrestation en 1962. Finalement, Laurence fait des émules auprès des voisins et récupère ainsi six parcelles, une septième comprenant la cave. Seul un peu moins d’un hectare de vignes de la Pierre Plantée appartient toujours au petit-fils d’Angelvin, Logan Wallace. Mais ses raisins sont aussi vinifiés dans la cave de Laurence et de son associé Patrick Deveaux. Les autres propriétaires contribuent à l’élaboration dans les trois couleurs des cuvées de La Ferme des Lices.

 

De la vigne au potager

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Avec Julien Vert de Potagers & Cie, à la Ferme Saint Georges du Val ©FH

Au-delà de la vigne, l’ingénieure agronome et mère de famille de trois grandes filles est l’un des piliers du Cluster Rosé de Provence. Cette association d’entreprises de la filière vitivinicole promeut notamment un développement écoresponsable, rassemble et diffuse les pratiques respectueuses du sol.

En parallèle de la vigne, Laurence Berlemont avait gardé en tête un projet pour faire vivre à plein temps des maraîchers en permaculture bio et pour le bien collectif. Elle a créé avec Julien Vert il y a deux ans Potagers & Cie pour lancer une expérience pilote au sein de son domaine de la Ferme Saint Georges du Val, entre Brignoles et Correns (Lire article du 24 juin 2020). La formule a ensuite été proposée à des entreprises souhaitant mettre en œuvre leur propre potager afin d’alimenter leur cantine en produits bio, de les offrir ou les vendre aux employés, d’initier des incentives de jardinage…

Le projet est un succès avec d’ailleurs plus de demandes que de réalisations possibles à court terme. Et déjà une extension dans le Sud-Ouest pour un hôtel d’entreprises près de Toulouse. Ce qui permet de recruter d’autres maraîchers, un docteur en LFF (litières forestières fermentées) biofertilisants efficaces pour travailler sur les économies d’eau et lutter contre le mildiou, un cheval pour poursuivre les essais de labours dans les vignes… mais aussi deux chats pour lutter contre mulots et souris. Et gageons que Laurence a encore un bouquet de projets dans son panier. ♦