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Le vignoble corse, toujours plus éco-responsable

Par Frédérique Hermine, le 27 juillet 2023

Journaliste

Calvi - Clos Culombu ©F.Hermine

Après Patrimonio, qui a interdit l’utilisation des herbicides chimiques (dont le glyphosate) dans son vignoble, Calvi sera bientôt 100% bio avec une dizaine de domaines certifiés pour le millésime 2023.

 

Alors que l’interdiction du glyphosate en France est devenue un véritable serpent de mer, les vignerons corses, en particulier ceux de l’appellation Patrimonio, avaient pris les devants. Après Pomerol sur la rive droite bordelaise en 2021, c’est la première appellation viticole de France à avoir inscrit dans son cahier des charges l’interdiction de tous désherbants chimiques de synthèse et le travail obligatoire des sols. Le glyphosate n’est pas le seul herbicide, mais le plus utilisé en viticulture sur les trois-quarts des surfaces travaillées de cette façon. Son usage depuis le printemps 2022 est toutefois limité à un seul traitement par campagne (avec une dose maximale de 450 g/ha).

« Il n’y a plus une seule goutte de glyphosate dans nos vignes et pas seulement entre les rangs mais aussi sous le rang », commente le vigneron Mathieu Marfisi à l’initiative de la décision lorsqu’il était président de l’appellation.

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Patrimonio©F.Hermine

 

La chasse au glyphosate


L’interdiction, votée en février 2019, avait été prise à l’unanimité après que cet herbicide controversé a été déclaré cancérigène par l’Organisation Mondiale de la Santé. Mais le dossier avait pris du retard, crise sanitaire oblige. Il avait été monté en partenariat avec le Giac (Groupement syndical des vins AOC de Corse), organisme typiquement insulaire qui regroupe l’ensemble des syndicats d’AOP et gère les relations avec l’Inao, décisionnaire en matière de cahier des charges. Le décret a finalement été officialisé au printemps 2022.

« Il faut reconnaître que la décision a été d’autant plus facile à prendre que très peu de domaines utilisaient encore de désherbant chimique, explique Pierre Acquaviva, vigneron et président du Giac. Mais les vignerons ont préféré l’acter pour imposer ces règles à tout le monde, surtout aux nouveaux arrivants. La jeune génération corse ne se pose même pas la question quand elle reprend les domaines familiaux, surtout avec une viticulture plutôt rémunératrice dans l’île ». Sur la quarantaine de vignerons en caves particulières que compte Patrimonio qui s’étend sur un peu plus de 450 hectares de vignes, seuls une demi-douzaine utilisaient encore en 2019 le désherbage chimique. Ils ont dû l’arrêter quand le changement du cahier des charges a été voté sous peine de devoir supprimer Patrimonio de leurs étiquettes.

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P.Aquaviva – Alzipratu©F.Hermine

 

Les pionniers

L’’appellation d’origine italienne Conegliano Valdobbiadene, terre vénitienne du prosecco avec 185 opérateurs, avait déjà décidé dès 2019 d’interdire l’utilisation du glyphosates (ainsi que deux autres herbicides de synthèse). Elle était ainsi devenue la plus grande zone cultivée sans glyphosate en Europe. Une décision prise à la suite d’une levée de boucliers de la population et des associations de défenseurs de l’environnement. Elle mettait en garde contre les dangers de ces herbicides dans le cadre d’une croissance exponentielle de la production de prosecco depuis une quinzaine d’années, succès du spritz oblige.

Si l’appellation Pomerol, sur la rive droite bordelaise, a également interdit le désherbage chimique et imposé l’enherbement et le travail du sol dans les vignes dès 2021, celle de Pouilly Fuissé l’avait également voté en 2020. Mais uniquement pour ses premiers crus et à l’exception des traitements de bio-contrôle.

 

 

Pas de bio dans le cahier des charges de Patrimonio

« La décision d’interdire les herbicides est d’autant plus importante que les parcelles de Patrimonio sont très imbriquées les unes dans les autres, précise Mathieu Marfisi. La quasi-totalité des producteurs sur ce territoire travaillent déjà en bio. Mais nous souhaitions un cadre plus formel pour fixer des règles respectueuses de l’environnement, d’autant que le golfe de Saint-Florent, dans lequel nous sommes, est labellisé Grand Site de France depuis 2017 ». L’appellation n’a pas voulu à l’époque inscrire la démarche bio dans le cahier des charges, car la décision de supprimer le glyphosate implique déjà un gros travail mécanique des sols et les vignerons de Patrimonio voulaient limiter la perte de rendements. « De toute façon, l’Inao refuse que le cahier des charges d’une appellation soit lié à un autre cahier des charges qui relève d’un organisme extérieur ».

La décision relève donc de chaque domaine, mais l’AOP se dirige néanmoins de fait vers le tout bio. Les plus grands vignobles de Patrimonio sont déjà certifiés (Orenga de Gaffory, Montemagny) dans le sillage du premier converti dès 1998, celui de Guissan Paoli. « Il ne reste finalement que trois ou quatre vignobles qui ne sont pas encore certifiés mais ils sont en conversion et devraient l’être d’ici 2 ou 3 ans », souligne la nouvelle présidente de Patrimonio, Marie-Françoise Devichi, du domaine éponyme.

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M. Marfisi – Patrimonio©F.Hermine

 

Les domaines de Calvi tous certifiés en 2023

Le bio ne cesse de progresser dans l’île. En 2020, sur environ 135 domaines particuliers, ils étaient près de 90 à être certifiés ou en conversion, soit plus de deux tiers des exploitations… Mais pas en volume, toujours à majorité produit par les quatre coopératives insulaires qui se lancent plus timidement dans la démarche. Le changement de pratique n’est pas sans conséquence pour ces vignobles souvent à flanc de coteaux, hormis la côte orientale, et sous influence des embruns de la Méditerranée. « Il faut être plus vigilant, passer souvent dans les vignes, gérer l’enherbement en fonction des saisons, disposer de plus de main d’œuvre… », précise Pierre Acquaviva.

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Calvi- Clos Landry©F.Hermine.

Cela n’a pas empêché l’appellation Calvi et sa dizaine de domaines de franchir le rubicon corsican pour être entièrement certifiés bio en 2023, mais à titre individuel (dont deux en biodynamie, Clos Culombu et Maestracci, bientôt Château Prince-Pierre Napoléon Bonaparte). Une évolution sans modification du cahier des charges tout comme l’appellation Baux-de-Provence dont les onze domaines seront également certifiés bio pour le prochain millésime.

Calvi, présidée par Paul-Antoine Suzzoni du Clos Culombu, réfléchit à une nouvelle charte graphique, plus en lien avec le bio. L’appellation va chercher à communiquer davantage sur sa spécificité. « Nous faisons également évoluer nos pratiques vers l’agroforesterie et la replantation de haies, détaille Marc-Andria Acquaviva du domaine Alzipratu. Reste à trouver les bonnes espèces adaptées à notre terroir. L’appellation planche aussi sur l’intérêt agroécologique de la permaculture, non pas pour diversifier les productions ou pour récupérer des revenus complémentaires mais surtout pour lutter contre le réchauffement climatique ». ♦

 

 

Bonus
  • Le glyphosate en questions. Au terme d’une forte controverse scientifique et médiatique, le glyphosate avait été réautorisé pour cinq ans en décembre 2017, par un vote des états membres. Le président Macron s’était d’abord engagé à l’interdire d’ici 2021. Puis a fait machine arrière sous la pression des agriculteurs français. La demande d’interdiction avait été déposée par l’Inao en février 2021, mais la proposition de loi du 30 novembre 2021 n’a toujours pas été votée.

L’autorisation actuelle de l’Union Européenne qui devait expirer fin 2022 a été prorogée jusqu’en décembre 2023. L’OMS l’a pourtant classée depuis 2015 comme « cancérogène probable ». Depuis, la bataille de mots et d’études n’a conduit qu’à sursoir l’interdiction. Elle était dans l’attente d’une évaluation des risques, tombée début juillet. Les conclusions de l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) en charge de l’évaluation ne sont guère alarmistes, estimant n’avoir identifié « aucun élément de préoccupation critique ». L’interdiction semble s’éloigner…