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Les cuvées solidaires d’un vigneron du Verdon

Par Frédérique Hermine, le 15 décembre 2023

Journaliste

Myrko Tépus en temps de vendanges ©DR
Les intempéries ayant eu raison de ses vignes, Myrko Tépus n’avait plus de raisins à vendanger il y a encore quelques semaines. Mais le jeune vigneron a bénéficié de la solidarité de ses confrères de l’association Rouge Provence et pu récupérer des raisins de toute la région. De quoi élaborer quelques cuvées pour sauver sa saison.

 

Il avait tout perdu au début de l’été. En effet, le vignoble de Myrko Tepus, jeune vigneron du Haut-Var, a été sinistré à 80% suite à quatre orages de grêle qui se sont abattus sur Esparron-de-Pallières entre le 12 et le 31 mai. Quinze jours de pluie et une floraison avortée ont anéanti le reste, et ses espoirs de récolte. Fin septembre, il ne vendange que quelques kilos de raisins rouges, encore moins de blanc. La pérennité de sa jeune exploitation du Haut-Var est alors sérieusement menacée.

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Les vignes de Myrko Tépus ©DR

 

Ne pas perdre la clientèle


« Si vous ne pouvez pas fournir à vos clients habituels, ils vont chercher ailleurs et vous les perdez. C’est très compliqué ensuite de les récupérer, surtout quand on vend la moitié de sa production à l’export », avoue le jeune trentenaire. Heureusement Myrko est bien entouré, car il fait partie depuis cinq ans de l’association Rouge Provence.

Ce groupement de vignerons issus de toute la Provence œuvre à promouvoir la production de rouges et de blancs noyés dans une mer de rosés. Mais aussi à soutenir l’un des leurs lorsqu’il est confronté à une année de catastrophe climatique ou qu’un drame personnel l’empêche de mener à bien son exploitation. « J’ai lancé un appel de détresse à la trentaine d’adhérents de l’association pour récupérer de quoi faire quand même quelques cuvées. Ceux qui peuvent donnent quelques centaines ou milliers de kilos. Reste que la situation ces dernières années est compliquée pour beaucoup de vignerons qui se mesurent depuis 2017 à des conditions climatiques extrêmes. Comme ils n’ont pas beaucoup de stocks, ils hésitent forcément à se séparer d’une partie, même faible, de leur récolte ».

 

 

Des cuvées obligatoirement en Vin de France

Le jeune Provençal a ainsi rempli ses cuves et autres contenants (barriques, foudres, amphores…) de différents cépages vinifiés séparément. Surtout du grenache et du cinsault en rouge, du rolle en blanc. « Il y a un peu de tout. De quoi s’amuser à élaborer des vins différents tout en essayant de garder mon style. J’avais donc demandé des raisins fraîchement pressés en grappes entières pour vinifier comme d’habitude en levures indigènes, celles de mes deux caves ». Seul bémol, Myrko Tépus ne pourra pas afficher son nom de domaine sur les étiquettes. En revanche, il devra déclarer ses vins issus de Côtes-de-Provence, Coteaux-d’Aix, Coteaux-Varois, Bandol… en Vin de France « solidaire » et non en Coteaux du Verdon comme d’habitude.

Rouge Provence avait organisé cet été pour les prescripteurs (cavistes, sommeliers, restaurateurs) une journée de dégustation des vins de ses membres. Pour cela, l’association avait loué le domaine de Myrko : une trésorerie bienvenue ! Cela lui a permis de payer à l’automne les camions nécessaires pour récupérer moûts et raisins cédés par les domaines du Var et des Bouches-du-Rhône. La vingtaine de cuves devrait donner naissance à quatre rouges, deux blancs et deux rosés. Les vins seront commercialisés en cartons panachés.

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Les coteaux d’Esparron-de-Pallières ©DR

 

S’enraciner quelque part

Les cuvées solidaires d'un vigneron du Verdon 3Myrko (qui porte fièrement le nom de son grand-père croate) est né à Grasse, issu d’une famille de marchand de vins des Alpes-Maritimes. La famille a quelques vignes à Esparron-de-Pallières. C’est là qu’il a ainsi tenu à créer son domaine en 2017, dans ce petit village perché de quelque 300 habitants, à une vingtaine de kilomètres au nord de Saint-Maximin-la-Saint-Baume. « Quand on est issu d’une famille d’immigrés, on a envie de s’enraciner quelque part. Je connaissais le potentiel de ces terroirs d’altitude, qui apportent une belle fraîcheur à ses vins. Je suis donc revenu chercher naturellement par ici ».

Il s’est d’abord formé chez Peter Fischer au château Revelette et chez Jean-Christophe Comor du Domaine des Terres Promises. Ils seront d’ailleurs ses parrains pour l’entrée à Rouge Provence. Il a racheté des vignes à l’abandon à une famille de bergers des environs. Les a remises en état pour préserver un patrimoine génétique de très vieilles vignes de grenache, carignan, ugni blanc, ainsi que des cinsaults, des syrahs, et des chardonnays. En attendant de défricher de nouvelles parcelles.

 

Des vins bios et originaux

Myrko Tepus travaille aujourd’hui une douzaine d’hectares convertis d’emblée en bio, semant à l’automne des engrais verts fauchés au printemps. L’hiver, il accueille dans ses vignes les moutons d’une ferme voisine dont le fumier amende les sols. Depuis qu’il a récupéré du matériel d’occasion, il vinifie sur deux caves. L’une dans un hangar en contrebas du village. L’autre, pour l’élevage, dans une ancienne cave voûtée du château du XVIe siècle, coup de pouce de Jean-François de Jerphanion, entrepreneur et propriétaire des bâtiments.

Il s’est vite positionné sur des vins haut de gamme, majoritairement des rouges de garde. A misé sur une appellation moins prestigieuse que les AOP de Côtes-de-Provence, l’IGP Coteaux-du-Verdon, à qui il donne ses lettres de noblesse. Avec en prime, une belle histoire à raconter, des vins à forte personnalité et des noms de cuvées originaux, souvent à consonance slave pour rappeler d’où viennent ses aïeux.

Les vins 2023 en attente porteront eux des noms insolites comme Carignan 1515 en rouge ou Rolle’s Royce pour le blanc 100% rolle. Go Fast évoquant les kilomètres à parcourir rapidement pour récupérer les raisins vendangés à tous les coins de la Provence. Il vient également de rénover une vieille maison au cœur du village pour en faire un gîte avec une vue imprenable sur la plaine au soleil couchant. ♦