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Le carton, ce déchet source d’emploi et de réemploi !

Par Agathe Perrier, le 21 décembre 2023

Journaliste

Les Manufacturiers de Belsunce confectionnent par exemple des poubelles de tri toutes en carton © Agathe Perrier
Les Manufacturiers de Belsunce fabriquent des meubles et des objets de déco avec des cartons et du bois. Cette matière première est collectée auprès des commerçants alentours, dans un esprit de solidarité. Un moyen de rester connectés au monde du travail pour ces salariés en insertion, tout en participant à l’amélioration de leur quartier du centre-ville de Marseille. 

C’est un canapé de 2,50 mètres de long qui a fait sensation en septembre dernier à la Foire de Marseille. Sa particularité ? Il a été confectionné avec des cartons. « Et en seulement 15 minutes ! Avec ce matériau il n’y a aucune limite », souligne non sans fierté Raoul, son concepteur. En véritable artiste, il est capable de créer aussi bien des éléments de mobilier fonctionnels que des petits objets de décoration minutieux.

As de la transformation du carton, ce passionné transmet son savoir-faire au sein de Belsunce Manufacture. Ouvert dans le quartier du même nom, au cœur de Marseille, ce chantier d’insertion a vocation à servir de tremplin vers l’emploi pour huit salariés. Tout en incluant les commerçants locaux autour d’un projet d’économie circulaire.

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Raoul, autodidacte et véritable artiste, manipule comme personne le carton © AP

Des déchets gisements de richesse


Concrètement, les Manufacturiers confectionnent du mobilier et des objets de décoration à partir de matériaux destinés à la poubelle. Du carton donc, mais également du bois, qu’ils récupèrent auprès des commerçants alentour. Ces derniers sont contraints par la loi de confier la gestion de leurs déchets à un tiers (voir bonus). Un service payant qui peut vite être difficile à assumer pour certains. C’est pourquoi Belsunce Manufacture ne leur demande qu’une petite contribution en échange de leurs rebuts, un tarif très compétitif par rapport aux autres prestataires. « Notre but est aussi de les sensibiliser à la transition écologique afin de rendre le quartier plus propre », glisse Thérèse Basse, à l’initiatrice de ce projet.

Sur les huit salariés, quatre sont en partie détachés à l’activité de collecte. « On fait deux passages dans la journée, tous les jours sauf le week-end », indique Aliou. Depuis à peine trois semaines, ils disposent pour ce faire d’un vélo cargo électrique, sur lequel charger la marchandise. « Avant, on faisait tout à pied. On empilait les cartons les uns sur les autres et on les attachait avec des sangles », raconte-t-il, bien content de compter sur plus de confort désormais. À terme, l’idée est de prendre en charge tous types de déchets. Papier, plastique, métal et même biodéchets. L’équipe cherche toutefois à d’abord verrouiller les débouchés pour le carton et le bois avant de s’attaquer au reste.

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Raoul transmet son savoir-faire aux manufacturiers. Ici, un comptoir avec tiroirs réalisés uniquement avec des cartons © AP

S’appuyer sur les compétences de chacun

En un peu moins de trois mois – les collectes ont démarré mi-septembre –1 750 kg de déchets ont été recueillis. Le décompte est scrupuleusement tenu par les manufacturiers collecteurs à chacun de leur passage. Puis Oksana compile les données. Arrivée en France suite à l’invasion russe dans son pays natal, cette Ukrainienne a travaillé pendant plus de 20 ans dans un bureau de statistiques. Autant dire que les chiffres, elle maîtrise. Sa mission est pour le moment aisée puisque les ramassages ne concernent encore que trois moyennes surfaces du quartier. D’autres commerces s’ajouteront néanmoins bientôt.

Avec ces trois magasins, le local déborde d’ailleurs presque déjà. C’est Mohamed qui est responsable du stock entrant et de son tri. Algérien arrivé à Marseille il y a vingt ans, il a été là-bas chef de chantier. Comme dans toute bonne structure d’insertion, l’équipe l’accompagne pour l’aider à trouver un projet professionnel. Mais pour Thérèse Basse, la Manufacture est plus que cela. « On est avant tout une belle équipe de huit salariés. Alors que la société actuelle laisse à penser qu’une personne qui traverse un passage difficile ne sait rien, ce n’est pas notre vision. Chacun a des compétences qui peuvent servir aux autres », met en avant celle qui préside aussi l’association des commerçants et artisans de Belsunce. Le fonctionnement est ainsi horizontal, pour donner une place à chacun.

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Pour le travail du bois, c’est auprès d’Hamed que les huit salariés en insertion apprennent © AP

Des créations à la vente

Pour transformer les déchets en véritables objets, les manufacturiers sont donc guidés par Raoul pour le carton. Outre la recette du fameux canapé, il leur transmet son savoir-faire pour confectionner des bibliothèques, des étagères, des poubelles de tri… « Il suffit de superposer des renforts pour solidifier l’ensemble. Ça donne des objets légers et faciles à transporter », livre cet autodidacte. Pour le travail du bois, c’est auprès d’Hamed que les huit salariés en insertion apprennent. « On fabrique des chaises, des bancs, des tabourets, des étagères », énumère-t-il.

Des prototypes qui finiront d’ici quelques mois dans un showroom. Un espace d’exposition où particuliers comme professionnels pourront découvrir le travail des manufacturiers et le commander. Car le but de la Manufacture est de vendre sa production. « C’est la base de notre modèle économique. Plus on la développera, plus on arrivera à se financer et à mener notre projet sociétal », explique Thérèse Basse. Tous les objets seront également mis en vente en ligne, sur un site e-commerce dédié.

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Les créations des manufacturiers devraient être disponibles à la vente d’ici fin 2024. Ce banc a été réalisé par Hamed © AP

Cruciale année 2024

Se lancer dans la commercialisation nécessite d’abord de cocher plusieurs étapes. Notamment de valider les prototypes et d’estimer les délais de conception de chaque produit. Primordial pour fixer le prix de vente. « On sait qu’on ne proposera que des petits montants puisque notre matière première est issue de la récupération. Et notre but est de permettre aux gens de s’équiper avec peu d’argent », ajoute Thérèse Basse. L’équipe réfléchit à mettre en place un tarif solidaire : les clients aisés pourraient débourser davantage pour que les plus modestes payent moins. Tout est encore sur la table, la Manufacture vise de toute façon sur la fin 2024 pour lancer l’activité de vente.

L’un des autres gros chantiers de l’année prochaine sera de trouver un nouveau local. À Belsunce évidemment. Car les 100 m² que la Manufacture occupe depuis juillet s’avèrent déjà trop étroits. « Nous avons besoin d’au moins 250 m² au total. Ce peut être dans des locaux différents mais proches », précise-t-elle. Si des pistes sont à l’étude, toutes les propositions sont les bienvenues. L’appel est lancé. ♦

  • Les créations de la Manufacture s’exposent et se vendent actuellement au sein de la boutique MAC.NB (pour Marché Artisanal et Culturel Noailles Belsunce). Ce concept store éphémère est tenu par une quinzaine d’artisans et commerçants de ces deux quartiers du cœur de Marseille. À retrouver jusqu’à fin janvier au premier étage du Centre Bourse, tous les jours de 10h à 19h.

 

Bonus

  • La gestion des déchets professionnels – Elle diffère de celle des particuliers. Les professionnels peuvent en effet soit la confier à la métropole Aix-Marseille Provence, soit à un prestataire privé. Dans tous les cas, ce service est payant. Consciente qu’il peut vite peser sur les finances des commerçants de son quartier, Belsunce Manufacture a fixé un tarif bas qui fait surtout office de participation pour sa logistique.