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Pierre-Olivier Costa : le Mucem à hauteur d’homme

Par Raphaëlle Duchemin, le 15 mars 2024

Journaliste

Pierre-Olivier Costa, président du Mucem ©Agnès Mellon
[Héros Du Quotidien] Le quotidien, c’est un mot qui lui parle. Mais héros, il réfute. Quand on lui explique qu’un mode de gouvernance ouvert aux associations de quartiers (une première pour un musée national) entre dans notre définition pour cette rubrique, Pierre-Olivier Costa renvoie à sa fonction de président, qu’il assume juste… pleinement.
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Lorsqu’on a demandé à Pierre-Olivier Costa de nous ouvrir les portes du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (on ne l’écrira qu’une fois !) pour accueillir un tournage de HDQ, il a dit oui : parce qu’ici, c’est l’histoire des civilisations qui s’écrit, « celle qui nous ressemble celle qui nous rassemble », résume le Président de la structure. Vélodrome, Pharo, Bonne Mère et aujourd’hui Mucem : il a su intégrer le cénacle des lieux identitaires de Marseille, en faire un nouvel étendard. Il s’est surtout intégré dans le paysage sur un des espaces les plus emblématiques de la ville. « Avec son enveloppe ajourée qui laisse passer les intempéries, mais aussi les idées, explique Pierre-Olivier Costa, il est devenu en dix ans, un morceau de Marseille. Ce que nous sommes et où on est se confondent. On est totalement ouvert sur la Méditerranée. On est ce lieu qui brasse les idées et les gens, un lieu de dialogue. »

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Dans le Conseil des Publics siègent 17 associations issues et représentatives des quartiers de Marseille ©Mucem

Coconstruction

Le 29 mars se tiendra le second Conseil des Publics. Une instance voulue par Pierre-Olivier Costa en support du conseil d’administration, dans le cadre de la gouvernance du musée. Ce conseil réunit désormais 17 associations issues et représentatives des quartiers. Un vocable générique qui désigne concrètement des habitants des arrondissements pauvres de la ville (le mot politiquement correct aurait été populaire). Leur rôle est d’imaginer les outils susceptibles d’inciter ceux qui ne mettent jamais les pieds dans un musée à franchir ce pas. Cela passe par des sujets aussi simples que de positionner à l’accueil, premier contact du public, des médiateurs eux-mêmes issus de ces quartiers. Les codes vestimentaires, le parler sont autant de marqueurs qui créent une différentiation et parfois un malaise. Le « je ne suis pas à ma place » du syndrome de l’imposteur.

Les associations attirent aussi l’attention sur la difficulté pour celui qui n’a pas de connaissances en art de comprendre le sens d’une exposition, trop souvent intellectualisée par le curateur ou la curatrice qui l’a conceptualisée (jargon volontairement abscons, compréhensible par les intellectuels et ChatGPT ; si vous nourrissez l’IA). Un travers typiquement français. D’où la nécessité de mettre en place des outils de communication accessibles. Les propositions sont concrètes, frappées au coin du bon sens. La direction du Mucem ne fait pas qu’écouter, elle débat puis, si l’idée est retenue, l’applique.

Musée miroir

Pour Pierre-Olivier Costa, le Mucem est avant tout le reflet de ce que nous sommes. Ou de ce que d’autres avant nous ont été. C’est en ça qu’il est un trait d’union, entre les générations, mais aussi entre les communautés du bassin Méditerranéen. C’est pour ça qu’il se fond aussi aisément dans le décor de Marseille la cosmopolite. Ce fil-là, le président du musée s’applique à le tisser depuis qu’il le dirige.

Pour preuve, cette autre initiative lancée l’an dernier, pour les dix ans du Mucem : « On a ouvert l’année anniversaire par une journée de l’inclusion. Avec l’envie de parler de quelque chose qui n’est pas forcément abordé dans les musées. De mettre les deux pieds et les deux bras dans le champ social. Donc on est à l’affût de toutes les initiatives qui peuvent aller vers le rapprochement des uns et des autres. Dans ce musée, on propose des objets qui ont appartenu à des gens qui ne sont pas de la même époque, qui n’ont pas la même trajectoire de vie. On est preneur de tout ce qui va vers le rapprochement. » 

Le Mucem vit Marseille

Pierre-Olivier Costa : le Mucem à hauteur d’homme 2Parce que l’ambition du Mucem est de battre au même rythme que le cœur de la ville qui l’a vu naître. Et Pierre Olivier Costa de prendre pour exemple l’expo « Le grand mezze », hébergée l’année passée : « On peut réunir sans mettre du pluriel partout. C’est ce qu’on essaie de faire : créer ce mélange. »

Pour cela, le Mucem a trouvé un fil conducteur infaillible : l’objet du quotidien. Et Pierre-Olivier Costa d’emprunter ses mots au romancier turc Oran Pamuk : « Il dit que l’avenir des musées se situe à l’intérieur de nos habitations. Ces petits objets du quotidien disent beaucoup d’un savoir-faire d’une époque, d’une génération. Mais aussi du lien intime qui est un élément de partage. »

Le Louvre du peuple

Le partage justement, voilà encore une mission essentielle du Mucem. Pour Pierre-Olivier Costa, on est précisément dans ce pour quoi le lieu a été imaginé. Et pour cela il convoque l’histoire : « Le musée des arts et traditions populaires a été à l’origine décidé par le Front Populaire. Pour essayer de créer ce que l’on appelle le Louvre du peuple, des gens, du quotidien, et c’est ça qu’on veut reprendre. Pour attirer des publics qui ne sont pas familiers des expos. Et pour aller vers eux, le musée a mis les moyens « avec le bus « Destination Mucem ». On propose à des familles de passer la journée au Mucem, puis on les ramène. On leur donne une solution de mobilité et on s’intéresse à eux. »

Parce que, pour le président du Mucem, le musée à hauteur d’homme c’est ça : un dénominateur commun. « Ici il suffit d’avoir le panel des émotions pour se laisser aller. » Et ce qui le frappe c’est que les plus jeunes, eux, ont bien compris la mission du Mucem.

Les objets du quotidien : le lien

Pierre-Olivier Costa : le Mucem à hauteur d’homme 1Pour les dix ans, une journée dédiée aux enfants de Marseille a réuni 600 écoliers. « On a demandé aux classes de nous apporter un objet-phare, important. Le premier enfant qui est passé a donné un petit cadre un peu naïf qui représentait une scène quotidienne à l’île Maurice. Je lui ai demandé pourquoi ? Il m’a dit parce que ce cadre était chez moi, dans mon salon. Mes parents sont Mauriciens, mais moi je n’y suis jamais allé. Alors je pense que c’est important que vous le gardiez, comme ça je ne perdrai jamais le fil du passé, de là où je viens. Et à cet âge-là, évoquer la nécessité de se remémorer ses origines, c’est pour moi un acte héroïque. » 

Et des passeurs, il pourrait y en avoir en nombre dans les jeunes générations, si on en croit Pierre-Olivier Costa. « Ce qui est impressionnant, c’est que ces enfants de 10 ans ont très bien compris comment on sélectionnait les objets : ceux qui ont du sens pour eux, mais qui en ont aussi pour les autres. Parce que tout le monde va se reconnaître dans cette petite fenêtre de mémoire. Chacun y voit ses grands-parents ou ses ancêtres : c’est à la fois très généreux et très intime. » ♦