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Face au manque d’eau, les agriculteurs gambergent

Par Olivier Martocq, le 24 février 2023

Journaliste

Se poser la question du partage de l'eau, ce bien commun © Marcelle

L’absence de pluie cet hiver est le énième épisode météorologique hors norme enregistré en France ces douze derniers mois. La prise de conscience du risque de pénurie d’eau est brutale. Une crise liée à la sécheresse a été évoquée lors du conseil des ministres du 22 février. Cette thématique de l’eau est pourtant abordée depuis de nombreuses années par le monde agricole. Elle était au centre de la 3e édition du Salon à la ferme organisé par la Confédération paysanne, qui s’est tenue cette semaine dans 80 départements.

Dans les Bouches-du-Rhône, c’est à la Ferme Pastière, que se sont tenus les débats autour de l’évolution des pratiques agricoles. Situé au nord d’Aix-en-Provence, sur la commune de Meyrargues, ce domaine fait partie des 200 exploitations ouvertes au public dans le cadre du Salon à la ferme qui est au Salon de l’agriculture ce que le Off est au Festival d’Avignon.

Quand la France prend conscience que l’eau est un enjeu  1
Les agriculteurs de la région d’Aix-en-Provence débattent de l’évolution de leurs pratiques © Marcelle

 

L’irrigation gravitaire, toujours efficace


Nicolas El Battari exploite depuis cinq ans la Ferme Pastière. Il est producteur de céréales (blé, maïs et petit épeautre), légumineuses (pois chiches, pois cassés) et huiles (tournesol, caméline). Son modèle économique se résume en une formule : de la terre au paquet. « Je suis paysan-pastier. Toutes les céréales utilisées pour mes pâtes sont cultivées et transformées par mes soins sur place, en agriculture biologique et sans labour ».

Cependant, malgré l’absence de pluie, ses champs ne souffrent pas, car ils sont bordés de ruisseaux entretenus et équipés de mini écluses. L’eau qui s’écoule naturellement des collines alentour y est retenue. « L’irrigation gravitaire a encore de beaux jours devant elle », estime-t-il. Effectivement, quand on jette un œil dans ses canaux d’irrigation, même sous la contrainte de la sécheresse actuelle, ils sont emplis d’eau.

 

Les retenues collinaires ont alimenté la Provence durant des siècles  

Parmi les professionnels venus échanger sur place et se rendre compte de l’efficacité de ce système d’irrigation, Luc Falco, éleveur de chèvres du Rove à Cuges-les-Pins. « Si mes bêtes ne trouvent plus à s’abreuver correctement, elles ne mangent plus et dépérissent. Y compris les chèvres pourtant peu gourmandes en eau ». Pour lui, il faut revenir aux retenues d’eau collinaires qui ont alimenté les régions méditerranéennes durant des siècles.

« Les écologistes de salon les apparentent à la création des méga-bassines qu’ils combattent. Parlent impact et insertion environnementale alors qu’il n’y a rien de plus écologique, regrette-t-il. Or, c’est de l’eau qui s’écoule naturellement des collines. On se contente de la retenir et de la stocker. Ce n’est pas du pompage et il n’y a aucune énergie associée puisqu’on la laisse s’écouler dans les champs via des ruisseaux entretenus par des générations de paysans. Donc on nous interdit les retenues collinaires, mais on va faire des lacs d’altitude avec des kilomètres de tuyaux, des pompes de relevage pour alimenter en neige artificielle les stations de ski. Dans l’instruction de ces dossiers, il y a une grande méconnaissance de pratiques ancestrales qui ont fait leurs preuves durant des siècles. »

 

♦ Lire aussi : La vigne au défi du dérèglement climatique

Les conflits d’usages ne peuvent que se développer 

Luc Falco, comme tous les agriculteurs qui participent à la discussion, estime que le mille-feuille administratif français et la complexité des procédures ne permettent pas aujourd’hui de répondre à l’urgence climatique et ses réactions en chaîne.

La crainte du monde agricole est de se retrouver confronté, y compris physiquement, à des conflits d’usages. Pour Laurent Thérond, viticulteur à Ménerbes, il faut vraiment se poser la question de l’eau comme bien commun. Et comment on la partage. « On n’a jamais eu des sécheresses aussi rapprochées. Même la vigne pourtant peu gourmande en eau souffre. Qu’il n’ait pas plu cet hiver, ce n’est pas très grave, la végétation n’en a pas besoin. Mais les deux prochains mois sont cruciaux. Si de grandes quantités d’eau n’arrivent pas au printemps, alors c’est une catastrophe qui s’annonce car l’été, ici, on vit sur les réserves. Or, à ce jour, elles sont au plus bas ! Il va falloir choisir entre le touriste ou le propriétaire de résidence secondaire qui a besoin de sa piscine, faire du canoé ou du golf… et nous qui devons produire pour nourrir ».

 

Changer de modèle agricole ? 

Nicolas Giraud, le porte-parole national de la Confédération Paysanne apporte sa pierre aux débats. Exploitant dans le Jura, il fait le tour des départements dans lesquels plus de 200 agriculteurs participent à cette 3e édition du Salon à la ferme. L’occasion, là encore, de croiser les expériences. Son exploitation de moyenne montagne est pour la première fois concernée par la problématique de l’eau.

« Nous devons interroger notre modèle que cette crise de l’eau sans précédent fragilise. C’est faisable, car il y a peu de méga fermes en France, avec une moyenne à 63 hectares, pose-t-il. Comme les prix sont bas du fait de la compétitivité mondiale. Que les contraintes environnementales ne sont pas les mêmes, ce qui fausse la concurrence. Que les produits n’ont pas les mêmes qualités, ce que l’agro-industrie se garde bien d’expliquer au consommateur… Nous sommes dès lors dans une spirale viciée, dans laquelle la productivité est centrale. Résultat, il y a de moins en moins d’emplois et les engrais sont obligatoires pour augmenter le rendement à l’hectare pour permettre à l’exploitant de s’en sortir. La ferme où nous nous trouvons est un autre modèle. C’est vers lui que nous devons tendre. C’est tout l’enjeu des discussions ouvertes avec le gouvernement*. »

 

L’État s’empare de la question

Le 22 février, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement a créé la surprise – car la problématique de l’eau n’était pas au menu du Conseil des ministres – en déclarant que l’exécutif restait « extrêmement vigilant et dans l’anticipation » concernant le risque de sécheresse. « Nous sommes engagés aux côtés de celles et ceux qui nourrissent la France et les Français ». Le pays semble à son tour confronté à une problématique qui ne s’était jamais posée en terme systémique. Après la pollution, l’énergie… l’eau. Voici venue l’heure des choix stratégiques ! ♦

 

Bonus
  • Le Salon à la ferme. 3e édition avec des fermes ouvertes dans toute la France, pour découvrir, comprendre et échanger. La carte et les adresses sont en ligne.

 

  • La Confédération Paysanne et l’eau. Des positions « pour une vraie politique de l’eau. Reconnaître un « droit de l’eau » qui prime sur le droit d’accès à l’eau pour l’irrigation. Il faut garantir le respect du cycle de l’eau et sa préservation sans quoi la question de sa disponibilité est de fait remise en cause. Concevoir les systèmes d’irrigation en fonction de son système global de production et de préoccupations agronomiques. L’agriculture doit s’adapter aux ressources mobilisables et non pas l’inverse. Il faut inciter les agriculteurs à s’engager dans des systèmes durables pour une gestion responsable tant de la quantité que de la qualité de l’eau, dans des systèmes agronomiques plus vertueux (rotation des cultures, moindre recours aux pesticides, diversification…). La suite des propositions est à lire en ligne.