[bref] Marcelle a organisé un échange fructueux avec les associations Ramina et SOS Méditerranée à l’issue d’une projection du film ‘’Moi, Capitaine’’ (primé à la Mostra de Venise). Une belle occasion de mettre en lumière leur travail remarquable. Et d’évoquer ces jeunes qui entament des traversées au péril de leur vie.
La caméra de Matteo Garrone suit Seydou et Moussa, deux jeunes cousins sénégalais dans leur odyssée pour atteindre l’Europe. Premier trajet en bus, joyeux, bon enfant pour ces jeunes férus de rap, en quête de célébrité. Puis l’horreur. Le désert, les prisons libyennes, la torture, l’esclavagisme. Enfin, la Méditerranée et son immensité que Seydou doit affronter seul à la barre, lui qui ne sait pas piloter un bateau. Ni même nager. Les images sublimes le disputent avec l’horreur. L’entraide avec la férocité humaine. L’abattement avec la résilience. ‘’Moi, Capitaine’’ est une histoire vraie. Celle des mineurs exilés que l’on retrouve à Marseille, dont la majorité viennent de l’Afrique de l’Ouest.
De nombreux mineurs parmi les rescapés en mer
Dans le hall du cinéma Les Variétés, à Marseille, Manon*, bénévole de SOS Méditerranée, explique que oui, il y a beaucoup de Seydou et de Moussa parmi les personnes rescapées. Depuis le début de ses actions, en 2015, cette association de sauvetage en Méditerranée a porté secours à plus de 39 000 personnes. « Environ 25% sont des mineurs et 79% de ces mineurs sont non accompagnés ». Ce partenaire du film ‘’Moi, Capitaine’’, dont la mission est de « sauver, protéger et témoigner », retrouve dans le film les témoignages collectés sur son bateau. « Il y a tout un parcours en amont de la traversée en mer qui est très bien retracé ».
La jeune femme explique que l’arrivée à terre, en Italie, est un des moments les plus durs de la mission de cette ONG. « Les équipes à bord savent très bien toute la dureté de la suite du parcours et ne veulent pas non plus trop en dire. Car le moment sur le bateau est comme un espace temps, une parenthèse, entre un moment très dur et un autre très dur. Et oui, le chemin n’est pas terminé ».
Arrivés en Italie, ils sont au début d’un deuxième voyage
Sandra*, vice-présidente de Ramina, confirme que les jeunes comme Seydou et Moussa, s’ils sont bien arrivés en Italie, sont au début d’un deuxième voyage qui n’est pas des moindres. « Sachant que ce sont des jeunes qui arrivent avec leur fatigue, leurs blessures, leurs traumatismes ».
Cette association marseillaise, qui s’appuie sur des bénévoles dont 70 hébergeurs, veille à ce que ces mineurs isolés, dont la majorité a environ 16 ans, ne soient pas livrés à eux-mêmes, aient un toit et que leurs droits soient respectés. Ils sont considérés comme des enfants et comme tout enfant, ils ont des droits. Cette prise en charge relève de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui évalue leur minorité. « Les délais à Marseille prennent une à deux semaines , quand tout va bien. Sinon plusieurs semaines, voire plusieurs mois ».
Si l’ASE ne reconnaît pas leur minorité, ces jeunes se retrouvent dans la rue, « quels que soient le temps, leur santé, leur état psychologique ». Ils peuvent ensuite passer devant un juge des enfants qui va infirmer ou confirmer leur minorité. L’année 2023, Ramina a été en contact avec 700 jeunes, « sachant qu’on n’est pas les seuls et que certains MNA échappent aux radars ». Actuellement 150 mineurs sont dans la rue, sans solution d’hébergement. La loi asile et immigration ? « La notion d’asile ne s’adresse pas aux mineurs, contrairement aux majeurs. Son statut d’enfant prévaut sur sa nationalité, sa provenance et son statut administratif ».
Souvent des rupture familiales à l’origine
Dans l’assemblée, un adolescent demande pourquoi il y a si peu de prévention dans les pays, « pour expliquer aux jeunes que c’est dangereux ? ». Ramina pense qu’il y a des ONG sur place qui avisent les jeunes sur les risques encourus. Mais leur migration est souvent motivée « par des ruptures familiales, un deuil, une grande pauvreté ». Et l’espoir de faire partie de ceux reconnus comme mineurs. Manon évoque également la notion du rêve : « Comme tout le monde, ils ont envie d’aller voir ailleurs ». Elle insiste néanmoins sur les raisons de départ qui « sont aussi multiples que le nombre de personnes qui tentent la traversée ».
Ce qui est certain, c’est le cumul des traumatismes. Le traumatisme du voyage, de la Libye – le chemin le moins cher, mais aussi le plus dangereux et le plus traumatisant. « 80% de ceux passés par ce pays ont été torturés, abusés sexuellement ou esclavagisés. Donc oui, ils arrivent en mauvais état », insiste Manon. Et les épreuves se poursuivent. « Ils n’imaginaient pas que ça pouvait être aussi dur, qu’on pouvait dormir à 15 ans dans la rue », ajoute Sandra.
Certains jeunes émettent bien sûr des regrets. « Ils disent que, s’ils avaient su, ils n’auraient pas entrepris ce voyage », poursuit la vice-présidente. Juliette, une bénévole, rappelle que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dispose de dispositifs d’aides au retour.
Libye la route migratoire la plus meurtrière
SOS Méditerranée intervient principalement entre la Libye et l’Italie. « La route maritime migratoire la plus meurtrière depuis 2014 », rappelle Manon. L’association secourt les embarcations comme celles qu’on voit dans le film, « et il y en a énormément ». Il existe différentes façons de les repérer : des patrouilles à la jumelle, des ONG partenaires dans les airs. Parfois les gardes-côtes italiens. Et « parfois des appels Alarm Phone, le numéro que Seydou compose dans le film, qui nous signale une embarcation en détresse, pas très loin de là où nous sommes ».
Mais pour agir, Manon rappelle que l’association doit obtenir l’autorisation des gardes-côtes. « Donc si on est en zone italienne, il faut qu’on ait l’accord de l’Italie pour agir. Pour les zones libyennes, sans réponse des autorités, on demande une coordination aux autorités italiennes. Toutes nos opérations s’effectuent avec leur accord ».
39 500 personnes sauvées depuis le début par SOS Méditerranée
Depuis le lancement de sa mission, l’ONG a porté secours à 39 500 migrants. « Au début, on pouvait sauver plus de personnes ». Désormais, un décret italien (suite à l’errance de l’Ocean Viking en 2022 avec à bord 230 rescapés, NDLR) les oblige à faire un seul sauvetage à la fois. « Quand on remonte, on nous désigne un port d’Italie. Souvent dans le nord pour qu’on perde du temps lors de notre remontée. Et on n’a pas le droit de dévier de notre trajectoire pour aller sauver une autre embarcation si elle se situe non loin de là où on se trouve ».
Dans les faits, l’association prend la responsabilité de porter secours à d’autres personnes. L’Ocean Viking est par conséquent souvent « détenu » : « Le bateau est à quai, une dizaine de jours, un mois, deux mois, trois mois. Tout est bon pour nous laisser à quai. Et qu’on n’aille pas sur zone sauver des vies », déplore la jeune fille.
Et des milliers de migrants qui périssent
Les migrants partent en mer avec très peu de carburant, souvent de nuit. On leur dit qu’en quatre à cinq heures, ils ont atteint les côtes italiennes. Comme dans le film, « C’est plutôt entre trois à cinq jours de navigation. La plupart du temps, dans des bateaux gonflables qui chavirent rapidement », rapporte Manon. « La situation est telle que si on n’intervient pas, il y a peu de chance qu’ils parviennent à terre ». D’autant que les seuls bateaux de sauvetage sont ceux des ONG.
« Il n’y a plus de bateaux mandatés par l’État Italien », souligne Sandra. « C’est plus de la protection de frontière », déplore Manon. L’agence nationale de l’immigration avance le nombre de 21 000 personnes péries depuis 2015. « Mais il est largement sous-estimé », assure la représentante de SOS Méditerranée, qui milite pour une gestion plus globale du sauvetage en mer. « Cet été, on a pu sauver en une semaine plus de 600 personnes. Car toutes les opérations de sauvetage étaient centralisées par les garde-côtes italiens. Il y a juste une non volonté politique ». ♦
*Pour des raisons de sécurité, seuls les prénoms sont indiqués
Bonus. Autres questions
- Si quelqu’un est reconnu comme mineur, que lui arrive-t-il à 18 ans ?
S’ils sont reconnus comme mineur, ils sont pris en charge par l’ASE, « comme n’importe quel enfant français (besoins vitaux, scolarité, etc.) », précise Sandra. Et normalement, à l’approche de leurs 18 ans, si tout se passe bien, l’ASE leur fait un contrat jeune majeur, qui va les suivre et les protéger jusqu’à peu près 21 ans. Le temps qu’il finissent une formation diplômante et qu’ils soient autonomes. À 18 ans, il y a une demande de régularisation auprès de la Préfecture, « qui peut être paradoxalement refusée ».
- Existe-t-il, en France, une forme d’esclavage, comme en Libye ?
Sandra répond que ces jeunes sont des proies faciles pour des réseaux criminels, car ils sont seuls et démunis. Mais ils y échappent « car ils ont très envie d’aller à l’école, d’apprendre un métier, d’aller travailler. Ils ont le respect des adultes, on les voit chez les hébergeants. Moi même je suis hébergeante ». Les jeunes filles sont plus facilement captées, notamment par la prostitution. Mais heureusement, « leur minorité est souvent reconnue et leur mise à l’abri immédiate » .