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[Série] Pollution de l’air #1 : Marseille sur le point d’adopter Crit’Air

 

Par Olivier Martocq, journaliste

Marseille est la ville la plus polluée de France ! Cette affirmation largement relayée par les réseaux sociaux, mais aussi par les médias, n’est guère étayée. Elle se fonde sur des études que seuls les spécialistes sont capables de décrypter, car ce qui est vrai pour un type de polluant ne le sera pas pour d’autres. Et personne ne peut affirmer le ou lesquels sont les plus nocifs pour l’organisme, quel est le risque réel encouru ni même à partir de quels seuils de pollutions on s’expose. Marcelle m’offre de la place et du temps pour me plonger à bras le corps dans cette thématique casse-gueule.

Le premier volet est publié aujourd’hui parce que : 1/J’ai été destinataire d’une étude passionnante menée à Lille via de nouveaux outils de mesure. 2/Un point étape du projet franco-italien CLIMAERA 2017-2020 cherchant à établir s’il existe un lien entre le changement climatique et la qualité de l’air est présenté aujourd’hui. 3/ Surtout j’ai un scoop : comme à Paris, Lyon ou Lille, la vignette Crit’Air va être déployée ici… avec près de trois ans de retard.

 

[Série] Pollution de l’air #1 : Marseille sur le point d'adopter Crit'AirPour la mise en contexte générale, retour sur la notion de ville la plus polluée de France concernant Marseille. Dans sont étude annuelle, Santé Magazine livre quelques données sur les différentes pollutions de l’air. Si c’est le monoxyde de carbone qui sert de référence, alors Paris, Toulouse et Saint-Denis sont sur le « bad podium ». Si on prend les particules fines, Marseille, Paris et Lyon sont les plus mal classées. Si on y ajoute l’ozone, alors les villes du sud-est sont championnes toutes catégories. Avec Nice en pole-position devant Marseille, Toulon, Cannes, Aix-en-Provence et Avignon. Car la durée d’ensoleillement est le facteur principal… On pourrait continuer à lister comme ça des dizaines de pollutions. D’où l’impossibilité de dresser un classement définitif des villes du pays dont l’air est le plus pollué. Les spécialistes s’accordent toutefois sur un point : la donnée qui importe le plus reste le nombre de jours impactés au cours de l’année. Une ville peut être concernée par des pics de pollution passagers dus à certaines activités ou conditions météorologiques, ou être polluée de façon régulière et persistante. Dans ce funeste palmarès, avec 150 jours de dépassement des seuils règlementaires toutes pollutions confondues, Marseille serait dès lors bien en tête. Les températures élevées ont tendance à augmenter le taux de pollution dans l’air. Sans oublier la brise marine qui renvoie les fumées des usines à l’intérieur des terres. Contrairement à ce qu’affirme Jean-Claude Gaudin à longueur d’interview, le mistral n’est pas un ami mais au contraire, celui qui rabat sur sa ville tous les miasmes de Fos-sur-Mer et de l’Étang-de-Berre. Le ciel bleu, hélas, n’est pas synonyme d’air sain.

 

50 jours à des niveaux supérieurs au seuil de l’OMS

Concernant les particules fines, les fameuses PM 2,5 et PM 10 qui provoquent ces dernières années les inquiétudes les plus vives de la communauté scientifique concernant leur dangerosité pour l’homme : en 2018, les Marseillais ont été exposés plus de 50 jours à des niveaux supérieurs au seuil recommandé par l’organisation mondiale de la santé (OMS). Lille a fait encore moins bien avec 60 jours. Mais, confrontée à des problèmes récurrents de qualité de l’air, la capitale du nord s’est engagée à déployer d’ici la fin de l’année des zones à faible émission. Pour cela, les véhicules les plus polluants seront exclus progressivement des rues. Pas question de se fier aux constructeurs, une start-up a mis au point un radar révolutionnaire qui donne en temps et en situation réels la pollution de chaque véhicule, captée directement derrière son pot d’échappement. Testé en secret sous le nom de code « Meet Pampa », le dispositif a prouvé son efficacité et mis à jour quelques vérités dérangeantes sur les émissions réelles de particules fines. Loin, très loin des seuils autorisés pour les normes Euro 6, 5 ou 4 établies par les constructeurs.

 

La première étude en conditions réelles de circulation

Rincent Air (un bureau d’études indépendant spécialisé depuis 20 ans dans l’étude et la mesure de la qualité de l’air) a mené en 2016 une campagne de mesure des [Série] Pollution de l’air #1 : Marseille sur le point d'adopter Crit'Air 1émissions polluantes des gaz d’échappement des véhicules en conditions réelles de circulation, dans la ville de Lille, ce qui constitue une première en France. Au-delà des résultats obtenus, cette campagne pilote a conduit à la compilation d’un très grand nombre de données de mesure : vitesse, accélération, émissions de NO (oxyde d’azote), émissions de CO (dioxyde de carbone), émissions de HC (hydrocarbures imbrûlés), émissions de PM (particules fines en suspension) couplées aux données fournies pour chaque véhicule scanné (catégorie, âge, norme, type de motorisation, type de carburant, cylindrée, etc.). Cette étude montre que les paramètres dynamiques de conduite (couple conducteur/conduite) seraient des facteurs tout aussi déterminants dans la variabilité des émissions mesurées que les paramètres techniques du véhicule.

Parmi les autres enseignements : Les motorisations fonctionnant avec de l’essence ont le plus d’influence sur les concentrations de CO et de HC / Les motorisations diesel ont une influence plus importante sur les concentrations en NO et en particules / Les concentrations en CO2 dépendent davantage des autres motorisations, en particulier les motorisations hybrides essence/électricité et diesel électricité / Plus une voiture est « puissante », plus elle émet du CO2 et des HC. A l’inverse, plus elle est puissante et moins elle est émettrice de NO et de particules.

L’étude a également montrée que les normes Euro lancées pour les premières en 1992, et pour la dernière Euro 6 en 2015 ont permis tout d’abord une réduction importante du CO, des HC et des NOX des véhicules à moteur essence, tandis que les récentes ont réduit significativement les particules sur les véhicules à moteur diesel.

Le casse-tête des vignettes Crit’ Air

[Série] Pollution de l’air #1 : Marseille sur le point d'adopter Crit'Air 2La loi d’août 2015 relative à la Transition énergétique pour la croissance verte donne aujourd’hui la possibilité aux collectivités françaises d’adopter un dispositif appelé « Zones à circulation restreinte ». Ce dispositif constitue un espace délimité dans une agglomération où la circulation est limitée pour réduire les émissions polluantes issues du transport routier. Cette restriction de circulation concerne les véhicules ne répondant pas à certains critères liés à leurs émissions (type de motorisation, âge/norme Euro). En fonction de ces paramètres, les automobilistes doivent acheter un certificat de qualité de l’air (appelé vignette Crit’Air) qui classe les véhicules en 6 catégories (7 en tout puisque les véhicules les plus anciens n’ont pas accès à cette vignette). Or, ce que démontre l’étude lilloise c’est qu’environ la moitié des grands émetteurs de pollution testés étaient des voitures relativement récentes (normes Euro 4, Euro 5, Euro 6) indépendamment de leur type de carburant (essence/diesel). Car, au-delà du problème de représentativité en conditions réelles des cycles de conduite sur banc d’essai, sur lesquels se basent les constructeurs automobiles pour respecter les seuils d’émissions réglementaires, au-delà de leur triche, d’autres facteurs non mesurables peuvent expliquer ces surémissions en polluants :  le type de conduite (écoconduite, conduite sportive) / le régime moteur / le poids du véhicule (nombre de personnes dans le véhicule) / l’entretien du véhicule (filtre à particules notamment). Ainsi, les paramètres dynamiques de conduite (couple conducteur/conduite) seraient des facteurs tout aussi déterminants dans la variabilité des émissions mesurées que les paramètres intrinsèques du véhicule. D’où mon questionnement sur la pertinence des mesures de restrictions sur le point d’être annoncées à Marseille, ville populaire dont 30% des véhicules seraient hors clous… En revanche, l’intérêt du radar anti-pollution développé par Étienne de Vanssay, testé à Lille, est, entre autre, d’alerter automatiquement l’automobiliste par courrier que son véhicule est mal réglé et pollue trop. ♦