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SolarStratos, l’avion solaire qui veut gagner les limites de l’espace

Par Paul Molga, le 26 septembre 2023

Journaliste

SolarStratos est un concentré d’innovations, « un avion pour la science » ©DR

Raphaël Domjan avait déjà conçu le premier bateau à énergie solaire ayant effectué un tour complet du globe. Avec son nouveau projet, il espère tutoyer les très hautes altitudes et confirmer les qualités de ce carburant prometteur. Son premier vol stratosphérique est prévu en 2024.

 

Talonner le rêve d’Icare, sans se brûler les ailes… Depuis neuf ans, l’explorateur suisse Raphaël Domjan prépare minutieusement l’expédition hors-norme qui va le conduire à tutoyer l’espace aux commandes d’un avion mu exclusivement par l’énergie solaire. « Rêver, c’est ce qui fait progresser l’humanité. Avec ce vol record, je veux démontrer le potentiel extrême qu’on peut tirer de cette ressource », défend-il, chiffres à l’appui. « Nos sociétés brûlent chaque jour 0,3 trillons de kwh quand le soleil nous en apporte quotidiennement 1000. L’apprivoiser est un impératif pour la survie de notre civilisation », milite-t-il.

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Raphaël Domjan @SolarStratus

Vu de l’extérieur, le prototype du SolarStratos qu’il a dessiné avec une équipe d’une quinzaine d’ingénieurs et de scientifiques pour repousser les limites technologiques de l’aviation, ressemble à un planeur, en plus grand : 25 mètres d’envergure, un fuselage ovoïde pour réduire la traînée aérodynamique, un cockpit pour deux, couvert d’une verrière monobloc en plexiglas… Seules une hélice et les deux ailes couvertes de 24 mètres carrés de cellules solaires trahissent son statut de prototype.

 

 

Défis techniques

SolarStratos est un concentré d’innovations. « C’est un avion pour la science », décrit l’explorateur. Cap sur la stratosphère, une couche profonde de notre atmosphère où seules circulent les fusées et les ballons météo à une altitude comprise entre 16 et 50 km au-dessus de nos têtes. L’air et la pression y sont rares. Par-delà, c’est l’univers de météores et le vide spatial. « Cet environnement hostile requiert des réponses techniques qui mêlent les disciplines aéronautiques et aérospatiales », explique l’ingénieur Calin Gologan, le designer de l’appareil à la tête d’Elektra Solar, un spin-off du Centre Aérospatial allemand, qui s’est fait connaître avec la conception d’un monoplace solaire en 2011.

L’équipe de Raphaël Domjan ne compte pas le nombre de défis techniques à relever. Le principal d’entre eux est le flottement de la structure, ce que les ingénieurs appellent le « flutter ». « Il s’agit d’un phénomène dangereux qu’on rencontre quand des matériaux souples sont soumis à d’importants efforts aérodynamiques. Avec la vitesse du vent qui augmente sur les ailes, il peut se produire une tension telle que la rigidité nécessaire à leur maintien est insuffisante pour compenser les vibrations. La structure entre alors en résonnance. L’intensité des spasmes augmente et c’est la rupture », détaille Calin Gologan. C’est le même phénomène vibratoire qui peut surprendre les motards et qui avait précipité dans l’eau un détachement de 74 soldats marchant au pas cadencé sur le pont suspendu de Broughton en 1831.

 

Températures extrêmes

À l’altitude visée par Raphaël Domjan, le risque est élevé car la quantité d’air disponible ne fournira pas suffisamment de portance pour permettre à son avion de se maintenir en vol. Il devra donc compenser le manque de sustentation par une vitesse supérieure en bloquant le compteur à 160 km/h, deux fois la vélocité nécessaire au niveau de la mer. Des calculs sans fin ont donc été nécessaires pour trouver le juste équilibre entre la rigidité de la structure en fibres de carbone et sa légèreté (l’ensemble ne devrait pas dépasser 500 kg à terme). L’automne dernier, deux vols ont permis de valider les données tirées du ground vibration test réalisé par l’Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales (Onera). « Objectifs atteints », a conclu le pilote d’essai Gérald Ducoin.

L’autre défi est celui des températures extrêmes, de l’ordre de moins 60 degrés, auxquelles seront soumis les équipements et le pilote. Une combinaison spatiale pressurisée, alimentée elle aussi par l’énergie solaire, est prévue pour l’explorateur. Mais pour protéger l’électronique, l’équipe doit encore concevoir des systèmes capables de compenser l’absence d’humidité nécessaire à leur régulation thermique. « Ni trop chaud, ni trop froid. Encore un équilibre délicat à trouver », soupire Roland Loos, directeur du projet.

 

 

Sept heures de vol

Une centaine d’heures de vol d’essai a déjà été effectuée. « Nous défrichons un terrain inconnu qui nous oblige à avancer pas à pas, en réglant chaque problème à mesure qu’il se présente », explique Raphaël Domjan. En juillet 2018, l’avion a par exemple subi une importante avarie lors d’un test de résistance à terre, contraignant l’équipe à repenser la résistance de la structure dans des situations de vol extrême.

Passés ces réglages, l’aéronef devrait éprouver sa solidité à 10 000 mètres d’altitude, dans la couche troposphérique de l’atmosphère où circulent les avions de ligne. Ce test sera décisif pour programmer le premier vol stratosphérique envisagé l’an prochain. La mission durera environ sept heures : trois à quatre heures pour atteindre l’altitude requise, 15 minutes la tête dans les étoiles, puis trois heures pour regagner la terre. Passée la couche dense de l’atmosphère qu’il devra traverser à l’aide de batteries, l’avion disposera plus que de l’énergie nécessaire pour se propulser.

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Un budget de 10 millions d’euros

Grâce au froid qui accroît le rendement des cellules photovoltaïques, et à la moindre filtration des rayons solaires, les panneaux bénéficieront de 30% de ressources supplémentaires comparé au niveau de la mer, contrairement aux avions à énergie thermique qui perdent leur rendement en altitude à mesure que diminue l’oxygène nécessaire à la combustion du carburant. L’hélice fournira également de l’énergie, comme les voitures électriques quand elles freinent. « Le rendement énergétique de SolarStratos à ces altitudes est de 95% contre 25% pour les moteurs à énergie fossile », compare l’explorateur.

Pour démontrer ce potentiel pour l’aviation du futur, l’expédition nécessitera un total de 10 millions d’euros. Soit trois fois moins que le navire PlanetSolar qu’il pilote autour du monde en 2012, et à peine 6% du budget réuni par Solar Impulse, l’avion solaire de Bertrand Piccard. Aucun avionneur ne figure parmi ses partenaires. Mais Raphaël Domjan a déjà son idée pour valoriser le travail de son équipe : l’aviation de loisir. Rien qu’en France, l’activité mobilise 2300 avions et 40 000 pilotes. ♦

 

Bonus
  • 50 ans de conquête solaire

1974 : Le Sunrise 1 inaugure le premier vol solaire sur un lac salé de Californie. Il tourne 20 minutes, sans pilote, à une altitude de 100 mètres à l’aide de 4.096 cellules sur son aile.

1978 : Solar One équipe un planeur de l’époque d’une propulsion solaire. Il peine à décoller.

1980 : Le Gossamer Penguin embarque le fils de son créateur âgé de 13 ans pour réaliser le premier vol solaire habité. Il a une envergure de 22 mètres et ne pèse que 31 kg.

1990 : Le planeur électrique Sunseeker 1 franchit les États-Unis d’est en ouest en 21 étapes.

2001 : La Nasa envoie son prototype Helios à 32 km au-dessus du Pacifique. Il a une envergure de plus de 82 mètres et compte 180 m2 de panneaux solaires. Il s’écrase en 2003.

2009 : Le Sunseeker 2 franchi les Alpes

2015 : Solar Impulse 2, version modernisée d’un premier prototype conçu 5 ans plus tôt, embarque Bertrand Piccard pour un tour du monde en 17 étapes.

2017 : SolarStratos effectue son premier vol inaugural en Suisse.