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Un pont de solidarité entre Var et Congo

Par Frédérique Hermine, le 18 mars 2022

Journaliste

Michaël Latz remettant les outils agricoles à la fin de la session de formation ©DR
Michaël Latz, ancien maire de Correns et propriétaire du domaine des Aspras, poursuit l’aide à un village congolais via une ferme agroécologique, l’alphabétisation et la création d’ateliers couture pour les femmes.

 

Michaël Latz est né après-guerre au Burundi. Et même s’il est revenu encore enfant dans l’Hexagone, au début des années 60, il n’a jamais oublié ce qui le liait à l’Afrique. Le propriétaire du domaine des Aspras, à Correns, premier village bio de France au cœur du Var, s’est attaché en tant que vigneron. Mais également en tant que maire pendant quatre mandats, à la préservation de la biodiversité. Et à la défense d’une société plus juste et plus respectueuse. « Beaucoup de gens pensent que le bio est synonyme d’éthique mais ce n’est pas toujours le cas et ce n’est pas dans le cahier des charges. D’où l’importance d’encourager une démarche de développement durable global avec la RSE comme nous venons de la faire au domaine » précise Michaël qui travaille désormais aux Aspras avec ses trois fils.

vignerons de Correns
Vente aux enchères vignerons de Correns ©F.Hermine

Correns, village 100% bio

Après avoir poussé dans le village le choix collectif de l’agriculture bio et obtenu la certification dès 1997, le vigneron œuvre depuis déjà des années pour un engagement social et solidaire. « J’ai toujours essayé d’introduire une démarche éthique dans toutes mes actions. En particulier après avoir d’abord travaillé, après mes études d’agro, pour un groupe de produits phytosanitaires ».

Au début des années 2000, il lance avec la coopérative des Maîtres Vignerons de Correns une vente caritative de barriques de Côtes-de-Provence offertes par les domaines des environs dont le désormais célèbre Miraval (les lots avaient même été signés par Brad Pitt). Le produit de cette vente bisannuelle aide au financement des Villages Durables de la ferme-école agroécologique de la presqu’île de Buzi-Bulenga, près de Goma.

 

Pirogue Correns
Pirogue Correns achetée suite aux ventes aux enchères des vignerons bio de Correns ©DR

Un micro-projet sans intermédiaire

C’est dans cette région, à la frontière du Congo et du Rwanda, qu’est né Michaël il y a un peu plus de 70 ans. Pour le symbole, il rappelle que Buzi-Bulenga n’est pas loin de Bukavu, le village du Dr Mukwege surnommé « l’homme qui répare les femmes » et qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2021. Michael y a participé il y a 15 ans à la création d’une association Villages Durables avec une vingtaine de Congolais qui voulaient aussi aider leur village d’origine. « C’est un micro-projet sans intermédiaire. Les fonds récoltés bénéficiant directement aux habitants de cette presqu’île du lac Kivu, les bénévoles n’étant pas rémunérés ».

Le territoire est pourtant riche de métaux rares convoités par les fabricants de téléphonie et dappareils électroniques. Mais il est contrôlé par des milices armées financées par des multinationales plus soucieuses de garantir leurs approvisionnements que du bien-être des populations locales. Géraldine Galabrun, la compagne de Michaël, rappelle que les villageois disposent de l’équivalent de 2 $ pour vivre par mois.

 

agriculteurs
Michael et les agriculteurs de la FEAGE qui examine les plantules de café ©DR

Alphabétisation…

Grâce aux produits des ventes aux enchères de vins correnssois, l’association achète au départ sept hectares au bord du lac pour installer la ferme. Construire des préaux pour des salles de classe. Acheter une pirogue pour aider les villageois à rejoindre Goma sur la rive opposée.

La ferme forme une quarantaine de jeunes par an. Des enfants soldats, des jeunes femmes violées, des filles-mères à qui lon apprend à devenir autonomes. Par l’alphabétisation et la création d’un maraîchage, d’un élevage de lapin ou de poulet, d’une plantation de café bio en collaboration avec Malongo… La marque s’est engagée à acheter au moins les premières récoltes et à financer une station de lavage du café. « C’est un transfert de savoir et un soutien à lorganisation et à lapprentissage de méthodes de travail pour les aider à faire. Et non à faire à leur place », insiste Michaël.

 

…et maraîchage

Les anciens enfants soldats suivent un cycle de culture pendant un an. Pas de cours théoriques mais un apprentissage sur le terrain pour les inciter ensuite à louer des terres. En général réparties selon le droit coutumier par le chef du village qui tient compte des besoins et de la taille de la famille.

Le sort des femmes est encore plus cruel et les aider est d’autant plus crucial. « Dans un contexte d’état défaillant, le viol est un outil danéantissement des villages. Les femmes violées sont souvent chassées de leur communauté comme si elles étaient fautives », explique Géraldine.

 

 

Villages durables
Geraldine avec les femmes de Villages Durables qui préparent le plan d’action ©DR

La couture pour devenir autonome

En 2019, après une journée d’échanges et de palabres avec les femmes de la presqu’île, « nous avons identifié avec elles leurs besoins qui étaient d’abord d’apprendre à lire et à écrire pour sortir des champs et devenir autonome, raconte Géraldine. Cela permet aussi denrayer un système vicié qui poussent les femmes à vendre leurs bananes sur le bord de la route. À souvent les brader pour trois fois rien afin de ne pas revenir avec au village. Et qui les oblige à remettre systématiquement largent gagné aux maris ».

Avec Christine Biffumbu de Villages Durables, l’association aide donc à l’émancipation des femmes de la presqu’île. D’abord en organisant l’alphabétisation mais également en leur apprenant à monter des ateliers de couture et à tenir leur comptabilité. Elle a déjà financé l’embauche d’une formatrice, l’achat de machines à coudre, d’outils et de tissus. « Nous leur donnons également quelques conseils sur la taille et les formes susceptibles de plaire en France, quels types d’objets se vendent le mieux. Et nous allons les aider à trouver à terme un véritable circuit de commercialisation ».

 

Goma
Geraldine avec les femmes de la presqu’ile près de Goma ©DR

En projet, une Maison de la Femme

Une quarantaine de femmes ont déjà été formées à la couture. Michaël et Géraldine rapatrient régulièrement des malles d’objets artisanaux pour les vendre en France. Et renvoyer là-bas le produit de la vente. Car, au regard de l’insécurité actuelle du pays, le tourisme n’est pas à l’ordre du jour.

Le prochain objectif est de créer une Maison de la Femme qui proposerait différentes formations. Et pourrait également devenir un lieu d’hébergement, d’écoute et de soins pour des femmes de toute la presqu’île. ♦

 

* Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

Bonus

[pour les abonnés] – 0,25 cts reversés pour chaque bouteille vendue – Humanisme et Biodiversité 

  • En attendant la prochaine vente aux enchères collective à Correns (La dernière édition a eu lieu en juin 2019 avant la crise sanitaire ; la prochaine est prévue en juin 2023), l’aide des Aspras est montée en puissance avec une nouvelle opération orchestrée depuis l’année dernière.

Le domaine viticole de la famille Latz reverse pour chaque bouteille vendue 0,25 cts à deux associations. L’une française, Humanisme et Biodiversité. Et l’autre internationale, MAS (Méditerranée Afrique Solidarité) qui soutient des initiatives d’acteurs locaux en milieu rural, en particulier Villages Durables du Congo.

  • Humanisme et Biodiversité, créée par le scientifique Hubert Reeves et présidée par le biologiste-écologue Bernard Chevassus-au-Louis, a pour maxime « Ensemble protégeons le vivant ». Elle vise à mieux faire connaitre la biodiversité par des actions de sensibilisation. En janvier dernier, un don de 20 000 euros a déjà été reversé à parts égales aux deux associations.