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Valérie Dufayet, une Socrate dans les rues de Marseille

Par Maëva Danton, le 21 février 2022

Journaliste

Il y a six mois, Valérie Dufayet a lancé les conférences Réveil. Pour permettre des rencontres humaines autour de questions existentielles, dans un format ludique et un peu décalé. @MGP

Professeure de philosophie à Marseille, Valérie Dufayet est aussi la fondatrice des ateliers Phil’Osons et des conférences Réveil. Son intention : rendre la philosophie accessible à tous. Car elle est convaincue que cette discipline peut nous aider à mieux vivre. En nous débarrassant de certaines angoisses et fausses croyances. Tout en nous reliant aux autres.

Par petites grappes, les spectateurs prennent place sur les impeccables sièges rouges d’une des salles de l’Artplexe, ce nouveau cinéma qui trône désormais en haut de la Canebière. L’audience est familiale. Disons même, intergénérationnelle.

Ce soir, ce n’est pas un film qui retient leur attention. Mais une femme. Combinaison en jeans, escarpins rouges, voix de radio, elle est seule au pupitre pour aborder un thème qui pourrait rappeler celui d’un livre de développement personnel : « Ado/parents : mode d’emploi ». Sauf que Valérie Dufayet n’est pas une coach de vie. Elle est philosophe. Pas là pour dire ce qu’il faut faire dans une quête perpétuelle du plus. Du mieux. De la performance. Encore moins pour proposer des modèles. Mais pour donner à penser. Par soi-même. En se confrontant aux réflexions des autres, de ceux qui nous ont précédés comme de ceux avec qui l’on vit.                     

 

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De Pocahontas à Descartes en passant par Orelsan, Valérie Dufayet jongle avec des références diverses pour rendre la philosophie plus ludique et accessible. @MGP

Penser ensemble


Devant l’assemblée captivée, elle jongle avec les références et les époques. Après un propos introductif sur le conte de Pocahontas, elle embraye sur une citation de Charlie Chaplin. S’attarde sur une œuvre de Léonard de Vinci. Égraine quelques chiffres sur la sociologie de la famille de l’Ancien Régime à nos jours. Cite Françoise Dolto. Platon… Et souvent, Socrate.

Car Socrate est une figure qui l’inspire. Pas seulement parce que sa pensée a été fondamentale dans l’histoire de la philosophie (voir bonus). Mais parce que la philosophie qu’il prône est une philosophie décomplexée, ouverte à tous. Elle n’est en aucun cas l’apanage d’une élite privilégiée. « La philosophie de Socrate se pratique dans la rue, dans l’échange. Il s’étonne des points de vue des autres et essaie de les comprendre » observe Valérie Fayet.

Penser avec l’autre. Se nourrir de la rencontre. C’est justement l’objet de la « conférence réveil » de ce soir et de celles qu’elle organise depuis l’été 2021, à raison de deux rendez-vous par mois. « Après deux ans de privation de liens, j’avais besoin de rencontres en physique. J’ai beau apprécier les conférences en ligne, rien ne vaut le rapport humain. » Pour renouer ce lien, elle propose des « conférences vitaminées sur des sujets actuels ». Invitant régulièrement « des personnes qui parlent d’un sujet sur lequel on ne les attend pas ». À l’image de la chamane Corine Sombrun venue s’exprimer sur les neurosciences. De quoi donner au public l’occasion de s’étonner. Tout en abordant des questions existentielles.

 

La philosophie, source de « liens extraordinaires avec les gens »

La philosophie, Valérie Dufayet s’y est plongée au lycée. « En fait, je rêvais d’être journaliste depuis longtemps ». Sauf qu’elle a très peu fréquenté les salles de cours, occupée par un boulot de serveuse. « Puis quand j’ai voulu tenter ma chance dans le journalisme, mon prof de philo m’a dit que je manquais trop de culture générale et m’a recommandé de choisir la philosophie pour combler mes lacunes. C’est ce que j’ai fait. Et finalement j’y suis restée. ».

Elle découvre là une manière de nouer « des liens extraordinaires avec les gens ». De plus, cette discipline « nous accompagne pour trouver nous-mêmes des solutions à nos questionnements ». Et à mieux savourer la vie.

D’ailleurs, Valérie Dufayet aime à comparer philosophie et arts de la table. À une époque où l’information est abondante et parfois indigeste, la philosophie permet de se débarrasser des fausses croyances qui nous parasitent et d’ordonner cette information pour mieux la digérer. En lui donnant du sens. En la confrontant à la raison, aux autres et à l’histoire.

 

 

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Parents, ados, grands-parents .. Avec cette conférence, Valérie Dufayet montre que malgré l’appartenance à des générations différentes, nous partageons des questions existentielles similaires. @MGP

Un grand banquet

Filant la métaphore, Valérie Dufayet assure qu’elle prépare ses conférences comme « un grand banquet ». En amont, elle discute avec ses proches, ses élèves. Elle puise dans ses références propres. Fouine dans les livres et la culture populaire pour sélectionner les ingrédients qui lui font envie. « Puis toute l’inventivité est de mettre ensemble ces éléments ». Pour qu’à la fin de ses conférences, les convives ressortent nourris mais pas ballonnés. L’appétit ouvert.

Cette cuisine de l’esprit, Valérie Dufayet la partage aussi avec un plus jeune public. Professeure de philosophie au lycée Provence et à l’école de journalisme MediaSchool, elle a également lancé il y a une quinzaine d’années les Ateliers Phil’Osons, destinés notamment à de jeunes enfants. « Au début j’étais sollicitée pour intervenir dans des classes sur des thèmes tels que le bonheur, l’identité, l’amitié. Puis j’ai voulu structurer ces séances et les rendre plus qualitatives ».

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En faisant philosopher tous les publics, Valérie Dufayet veut aussi les relier les uns aux autres @MGP

Pas d’âge pour philosopher

Désormais, elle exerce les esprits d’enfants dans plusieurs structures telles que le Théâtre de la Criée. « Pendant que les parents regardent une représentation de Tartuffe, moi je parle mensonge et peur avec les enfants », illustre-t-elle tout en s’émerveillant de l’aptitude de ce public à penser hors des sentiers battus. « Si leurs parents voyaient ce qu’ils pensent, ils seraient très étonnés ! ».

De tels ateliers sont également menés au sein d’Instituts médico-éducatifs, auprès de jeunes en situation de handicap. Une façon « d’amener au monde » un public qui en est parfois quelque peu coupé le temps de l’enfance.

Dans la salle de cinéma, l’heure s’écoule. L’énergie de Valérie Dufayet ne faillit pas, de même que l’attention de son public. Un public chez qui elle éveille la raison autant que l’émotion. Un texte déchirant sur l’amour fusionnel de Victor Hugo pour sa fille. Des réflexions de Spinoza, Descartes ou Bergson. Des observations biologiques sur le comportement de l’autruche vis-à-vis du danger. Puis un clip. Celui de la chanson Pocahontas interprétée par Grand Corps Malade.

Il y est question de la famille, des souvenirs, du cycle de la vie, des générations qui se suivent et qui, finalement, se ressemblent beaucoup plus qu’elles ne le croient. Avec ces phrases par lesquelles Valérie Dufayet tient à clore la rencontre : « Au milieu des nouveaux cris on s’dira qu’on a réussi. À fabriquer ce manteau, qui nous protège la vie. Ce confort impalpable, ce tremplin, cette béquille. Ce miracle anodin, on a fait une famille ». Note douce qui confère au buffet un sentiment d’achèvement. Et nourrit en même temps l’envie de se retrouver. Pour explorer encore les horizons infinis de la pensée. ♦

 

Bonus
  • Plus d’informations sur les Conférences Réveil- Proposées à raison de deux fois par semaine à Marseille, ces séances devraient prochainement atteindre d’autres villes telles que Toulon ou la Grande Motte. Pour en suivre l’actualité, connaître les modalités et s’inscrire, rendez-vous sur le site des ateliers Phil’Osons.

 

  • Socrate – Né en 470 avant Jésus Christ, il est considéré comme le père de la philosophie moderne. Issu d’une famille modeste, il ne se fait pas connaître par la fondation d’une école mais par une philosophie de la rue, destinée tant aux classes aisées qu’aux plus modestes. Guidé par la maxime « Connais-toi toi-même » découverte au fronton du temple d’Apollon à Delphes, il veut aider les consciences à se révéler en se débarrassant des fausses croyances et en faisant preuve d’humilité. Pour ce faire, il prône et met en application le dialogue contradictoire, convaincu que la vérité naît d’un profond travail de l’esprit et de la confrontation à l’autre. Par sa propension à tout remettre en cause, y compris les traditions et certitudes de son époque, Socrate inquiète. Il sera condamné à mort en 399 avant Jésus-Christ.
  • Les conseils de Valérie Dufayet pour s’adonner à la philosophie – «D’abord, demandez à votre libraire. Il peut rapidement vous orienter vers ce dont vous avez envie. Il y a aussi Philosophie magazine qui est excellent, même pour un débutant. Vous pouvez également taper sur votre moteur de recherche le mot philosophie avec les thèmes qui vous intéressent : famille, vie, amour… On trouve des textes et de superbes conférences. En fait, il faut accepter de s’octroyer une flânerie. On regarde si ça nous plaît et si ce n’est pas le cas, on passe à autre chose. La philosophie, on a tendance à l’aborder comme un premier amour en étant hyper idéaliste et exigeant. Je pense qu’il faut en fait l’appréhender comme un second amour, plus sereinement, avec moins d’attentes. On prend ce qui vient, sans quête de performance ».