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Restez en vacances !

Par Guylaine Idoux, le 14 mai 2020

Journaliste

[Série] Le tourisme après le Corona #2. Et si l’on devait de ne plus « partir en vacances » mais y « rester » ? Le Covid-19 fait peser bien des incertitudes sur notre été. Deux possibilités : se lamenter ; ou en profiter pour penser autrement et faire d’une contrainte sanitaire une occasion de réinventer les vacances. Temporairement ou pas.

Pour être tout à fait honnête, à l’heure d’écrire ces lignes, j’aurais dû être dans une maison de l’Oxfordshire. Une parenthèse campagne anglaise, intercalée entre un reportage à Rome pour un guide gastronomique et un autre à Copenhague pour un guide tout court. Au programme : Marseille-London sur Easyjet, location d’une voiture sur Autoescape, échange de maisons sur Homeexchange (autre sujet à venir dans Marcelle), puis album souvenir commandé sur Cheerz ou Lalalab, avec clichés du fiston dévorant un fish and chips, le mari au pub devant une pale ale, bibi avec Shaun the sheep dans les prés. Peut-être même quelques clins d’œil bien choisis sur Facebook, participant, à notre humble niveau, à faire du tourisme l’une des industries mondiales les plus créatrices de richesse -et de pollution- pour la planète. Et puis… le corona. Et patatras. Les vacances, ce sera à la maison, en famille et basta.

 

À moins de 100km de chez nous
Jours de confinement S#8 1
Redécouvrir sa propre ville. Les classiques (ici la Corniche à Marseille) comme d’autres pépites cachées (on vous laisse inventer).

Déçue ? Pas vraiment, en fait. Bien sûr, le contexte sanitaire est terrible. Mais au-delà, ces vacances-là, celles de l’immobilité, de la lecture et des rêveries en pyjama, je les avais souvent appelées de mes vœux sans jamais m’y résoudre. Toujours un coin à voir, une découverte à faire, des amis à retrouver… Et puis… Un tiers de la population mondiale confinée. Des éditorialistes qui s’inquiètent d’une possible remise en cause, à long terme, de la libre circulation dans l’espace Schengen. Un président de la République, qui, le 5 mai, annonce qu’il est trop tôt pour dire si l’on aura des vacances. Et puis une limitation de la libre-circulation, dont nous, Français, avons toujours pu jouir sans entraves (contrairement à une bonne partie de la population mondiale, mais c’est une autre histoire). Aujourd’hui, nos déplacements sont limités à 100km autour de notre domicile. Même les plages pourraient rester fermées !

 

L’ère du voyage intérieur ?

Et l’impossible nous effleure : le tourisme tel qu’il est aujourd’hui pratiqué -plus ou moins hérité des années 1950 et de l’essor des Trente Glorieuses- pourrait-il muter sous la pression du corona ? Une révolution nécessaire selon les uns, inquiets des dégâts collatéraux du sur-tourisme (surfréquentation, pollution…), risquée selon beaucoup d’autres, conscients des retombées économiques majeures du secteur, notamment en France, première destination touristique au monde. Et nous dans tout ça ? Quid de la course au voyage lointain, au séjour linguistique pour les enfants, aux week-ends low-cost à Budapest, Porto et Madrid ? Comment le voyage est-il devenu le Graal absolu des « congés payés » ? Est-ce un vrai choix (un besoin) ou une pression sociale ? Angleterre, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande… Qui dit mieux ? La valeur intrinsèque des vacances se mesure-t-elle vraiment au nombre de kilomètres parcourus, de musées visités, de photos postées sur Instagram ? Contraints par l’ignoble corona, nous voici donc -bien obligés- en piste pour autre chose.

 

Justement, en voici quelques-unes (de pistes)
Le tourisme après le Corona (2/2) Restez en vacances ! 3
Se laisser surprendre (c) GI

1/ Jouer les touristes dans sa ville (ou juste à côté). Ça paraît évident et pourtant, combien d’entre nous le font ? Il y a bien un quartier ou un parc, un village ou une petite ville (dès à présent), un musée ou une galerie (dans quelques temps), que vous avez souvent eu envie de visiter sans jamais l’avoir fait ? Quelle que soit la région de France que vous habitez, elle est comme un coffre aux trésors : pleine de joyaux ! Première chose à faire : acheter le guide de tourisme de sa propre région (à commander dans une librairie indépendante bien sûr). Et si vraiment on est à cours d’idées, voir « Rendez-vous chez nous », qui en regorge. L’office de tourisme local (et ses visites guidées) est aussi une excellente ressource… une fois qu’il aura rouvert.

Commander les petits plats. Ce qu’il y a de bien aussi avec les vacances à la maison, c’est que le portefeuille respire. En haute saison, le soleil chauffe, les prix aussi. Rester à la maison, ou tout près, c’est aussi économiser sur les transports et des hébergements hors de prix. L’occasion de se lâcher sur d’autres postes budgétaires, à commencer par la restauration. Crise du Covid oblige, de nombreux chefs ont mis en place des menus à emporter, tel Nestou, l’un des derniers-nés de la planète gourmande à Marseille. L’offre monte sérieusement en gamme, jusqu’aux tables étoilées. Alexandre Mazzia, à Marseille, propose ainsi la livraison de cagettes de produits bruts, pour importer « l’esprit Alexandre Mazzia » à la maison. Surtout, c’est une consommation solidaire ; commander au restaurant, c’est aussi soutenir une activité économique en danger.

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Depuis la terrasse d’un hôtel de Marseille (c) Sofitel Vieux Port – Staycation

2/ Aller à l’hôtel à côté de chez soi. La bonne idée d’une petite start-up, Staycation, qui met en vente sur son site des nuits d’hôtels à prix négociés, le mercredi à 9 heures pour le week-end qui suit (bonus). La petite entreprise ne connaissait pas la crise, avant que la crise du Covid ne lui coupe les ailes. On parie sur un redécollage rapide, tant l’idée est séduisante. « On parle de circuits courts dans la gastronomie, jamais dans le tourisme. C’est le moment de lui redonner du sens. Pour un hôtel, c’est se connecter à ses voisins et au-delà tout le quartier, en ouvrant son restaurant, en vendant les produits des artisans du quartier, en laissant les voisins profiter de son patrimoine », explique Kevin Hutchins, fier d’annoncer justement l’arrivée d’un fleuron patrimonial, l’Intercontinental Hôtel Dieu de Marseille, dans le catalogue.

 

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Randonnez chez vous ! Photo GI

3/ Prendre un abonnement au club de randonnée (vélo, course…) local. Pas une région de France sans le sien ! Notre pays n’est pas devenu la première destination touristique au monde par hasard, les touristes du monde entier rêvent de le découvrir, dont de nombreux randonneurs (ou cyclistes, tels ces milliers de Néerlandais, Allemands et Américains qu’on croise sur les petites routes de Provence aux beaux jours). Pourquoi ne pas en faire autant ? La Fédération française de randonnée pédestre vous donnera tous les contacts nécessaires. Une paire de chaussures, une gourde, un masque… Et hop ! À Marseille, mention spéciale à l’un des clubs pionniers de France, les Excursionnistes marseillais, et son impressionnant programme à l’année. Le club annonce son redémarrage progressif, avec toutes les précautions requises ♦

 

Bonus

  • Staycation. Nom d’une start-up française lancée à Paris par Mathieu Dugast, Mathieu Ecollan et Kevin Hutchins,
    Le tourisme après le Corona (2/2) Restez en vacances ! 6
    Réenchanter le coin de la rue, ici sur le toit de la Cité Radieuse à Marseille (c) GI

    dont l’offre s’est récemment élargie au sud de la France. « Nous pensons qu’il est possible de dissocier l’hôtel du voyage, comme au temps des « grands hôtels » des années 1950. On y donnait rendez-vous, on venait s’y restaurer. Nous parions sur un retour de cet ancrage, de cette connexion au quartier ». C’est aussi un terme anglo-saxon né de la crise américaine des subprimes en 2008. Celle-ci ayant ruiné des dizaines de milliers de familles, les Américains, toujours pragmatiques, avaient alors lancé la tendance des vacances à la maison. Et lui donnaient même un nom, « staycation », donc, né de la contraction de « staying » (rester) et « vacation » (vacances).

 

« Voir d’un nouvel œil les vacances de proximité »