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Encourager l’éducation morale et civique…

Par Olivier Martocq, le 2 novembre 2020

Journaliste

Photo Giovannacco - Pixabay

Depuis trois ans à Marseille, une quinzaine de professeurs épaulés par deux inspectrices d’académie proposent des formations spécifiques en éducation morale et civique (EMC) aux enseignants qui travaillent dans les collèges et lycées de la ville. L’assassinat de Samuel Paty bouleverse une profession jusqu’à présent peu intéressée par ces thématiques !

Pour inculquer l'éducation morale et civique... 2
@ XDR

Dans le jargon des journalistes, cela s’appelle un micro-trottoir. C’est contestable car donner la parole à des gens pris au hasard dans un même quartier n’a pas valeur de sondage mais ouvre parfois au reporter des pistes de réflexion qu’il ne soupçonnait pas. L’écoute des propos d’une bande de collégiens à la veille de cette rentrée scolaire si particulière permet par exemple de se faire une idée des interrogations auxquelles vont devoir répondre les enseignants dans les jours à venir. Si tous condamnent sans appel le meurtre sauvage de Samuel Paty, ils émettent en revanche des réserves sur la possibilité d’aborder n’importe quel sujet de société en cours. « Il faut respecter des limites, comprendre que ça peut choquer certains. On a droit de ne pas trouver ça normal », explique Sirine, élève en classe de 3e. Pour Mathilde, « chaque prof est différent, chaque prof fait ce qu’il veut. Mais à l’école, on nous a toujours appris qu’il ne fallait pas parler de religion ». Et Mohand de conclure : « Il faut faire attention parce que les caricatures blessent les musulmans qui ne peuvent pas adorer des images de Dieu ». Point positif, ces jeunes attendent beaucoup des discussions qu’ils auront dans la semaine sur ce sujet avec leurs professeurs.

 

Une prise de parole spécifique 

Medhi Chouabi qui enseigne les Sciences économiques et sociales (SES) dans des établissements en Zone d’éducation prioritaire a mis un soin particulier à préparer cette rentrée. « Il faudra leur expliquer qu’à aucun moment il ne s’agit de prendre position en termes de pratique religieuse ou de dénonciation, mais expliciter clairement ce qu’est la liberté d’expression ainsi que la laïcité qui la garantit. Des notions bien trop floues pour la plupart de ces jeunes ». Mehdi Chouabi a travaillé le sujet avec un groupe interdisciplinaire composé d’une quinzaine de professeurs et de deux inspecteurs d’académie. Depuis trois ans, ce groupe propose des formations spécifiques en éducation morale et civique (EMC) aux enseignants des collèges et lycées des quartiers nord.

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Marc Rosmini

Marc Rosmini, par ailleurs pilier de Marcelle (re-lire ses tribunes), en est l’un des fondateurs. Il note que la loi de 1905 (sur la séparation de l’église et de l’État) n’est pas ou mal connue des enseignants : « Beaucoup n’ont pas pris le temps de la réflexion sur ses fondements qui sont complexes ». Et ce professeur agrégé de philosophie de déplorer que cette question, et plus généralement les problématiques qui relèvent de la morale et du civisme, ne soit pas abordées dans la plupart des concours de l’Éducation nationale. « Ces thématiques nécessitent de mettre en place une forme de raisonnement, d’interpellation des élèves, pointe-t-il. Ça se travaille, c’est une méthode. Or la formation en EMC n’est pas obligatoire. Elle est optionnelle et très peu demandée car il s’agit d’une discipline qui, jusqu’à présent, faisait figure de variable d’ajustement dans les emplois du temps ». Les chiffres sont éloquents : quelques dizaines de professeurs s’inscrivent à ce programme-pilote dans une académie qui compte près de… 40 000 enseignants !

Apprivoiser le débat
Encourager l'éducation morale et civique...
Sur les réseaux sociaux, l’humour perdure.

Sur le portail « citoyenneté » du site internet de l’académie d’Aix-Marseille, le groupe est pourtant clairement référencé. Programmées sur une journée, ses formations accueillent une dizaine de professeurs. Elles sont dispensées par trois enseignants issus de disciplines différentes pour favoriser un regard croisé et tiennent compte de l’âge et de la typologie des élèves devant lesquels leurs collègues s’exprimeront. Elles portent sur le fond, la loi ou encore les règlements qui s’appliquent au sein de l’Éducation nationale. La pratique y occupe une place centrale, notamment le comportement à adopter face aux élèves. Avec un paradoxe notable d’après les formateurs : la plupart des professeurs, à l’image de nombreux Français, n’ont pas l’habitude de débattre dans leur vie de tous les jours. La séance commence donc par ce type d’exercice très concret. Il y a ensuite la fourniture d’outils pédagogiques simples, comme prendre l’habitude de séparer la classe en deux groupes, sur le modèle pour et contre. Une fois dégagée de l’affect, la restitution reste un moment important. Les enfants reviennent sur la thématique potentiellement conflictuelle sous forme de vidéos, de post façon réseaux sociaux ou, plus classique, d’exposés. « Nous n’avons rien inventé. Socrate expliquait déjà que les débats inutilement polémiques découlent de problèmes mal posés » !

 
L’éducation civique doit sortir de l’école 
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Fazia Hamiche

Présidente de l’association Citoyen en Action de Proximité (CAP), Fazia Hamiche note la dérive dans les quartiers sensibles d’une jeunesse en manque de repères. « Il y a la faillite des parents qui ont démissionné sur l’éducation de leurs enfants en raison du combat permanent que cela représente. Et pour ces derniers le poids considérable dans leur vie des valeurs et autres codes véhiculés par les réseaux sociaux ». Le résultat pour cette militante active d’« un vivre ensemble rendu possible parce que la loi de 1905 fédère autour des valeurs de la république », il faut repenser le système. « L’école doit être le lieu de transmission du savoir. C’est ailleurs que les bases de la vie en commun doivent être inculquées ». Pour Fazia Hamiche, le service civique est une approche intéressante, mais de portée bien trop limitée. Elle constate que « le passeport citoyen » qu’elle a mis en place dans des classes de primaires a obtenu des résultats. Tout comme « le collège des aviateurs » qui met en contact des élèves de 4ème et 3ème avec l’armée de l’air au cours de journées découvertes sur la base aérienne de l’École de l’air à Salon-de-Provence. Les pompiers du SDIS 13 qui entrent dans ce programme cette année devraient renforcer le plébiscite rencontré par la proposition.

 

Sortir de la preuve du concept 

Jusqu’à « l’horreur Samuel Paty », force était de constater que l’initiative lancée par les professeurs à destination de leurs collègues ne rencontrait que peu d’échos. Idem pour celle de CAP dans l’intention d’établir des passerelles entre les futurs citoyens et des structures-cadres de la République. En langage de startupper, on dirait qu’elles s’apparentent à des preuves de concept (POC). Une fois qu’elles ont démontré leur efficacité, comment passer à l’étape suivante, qui serait par exemple de les étendre à toutes les ZEP (Zone d’éducation prioritaire) ? Pour le coup, vu l’organisation administrative française de plus en plus complexe et incompréhensible, Marcelle n’a pas la solution ! ♦

*LE ZEF, parrain de la rubrique « Éducation », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité*

 

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