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Rap : ces Marseillais qui transforment le plomb en or* !

Par Olivier Martocq, le 13 novembre 2020

Journaliste

Marseille et le rap, c’est une histoire qui démarre il y a 32 ans avec la naissance d’IAM. Aujourd’hui, non seulement le groupe est toujours actif musicalement mais il a généré une économie à part entière dans la musique et le cinéma. Sans parler de carrières hors normes pour des Soprano et autres Jul. Paradoxalement, ce qui pourrait constituer un atout pour la cité phocéenne a été jusqu’à présent ignoré par les institutions et le milieu de la culture !

Le phénomène musical mondial du moment est marseillais. Sorti mi-août, le clip « Bande organisée » qui réunit dans un même album les rappeurs phocéens de la génération 2020, dépasse les 173 millions de vus sur YouTube. Et sa diffusion s’accélère de jour en jour : 33 millions de nouveaux clics en une semaine. Un record jamais vu dans l’histoire de la chanson française.

Fiers d’être Marseillais !

Rap : ces Marseillais qui transforment le plomb en or ! * 6Sur le plan musical, le morceau est un patchwork improbable. Les fondamentaux du rap sont présents mais soudain une samba brésilienne impose une autre rythmique. « Zumba Cafew Carnaval » de Soso Maness est d’ailleurs devenu le tube dans le tube. Autre remarque, le clip sort des standards habituels pour ce qui est de la durée, puisqu’il s’étire sur près de 6 minutes. Soit le double d’un morceau de classique calibré pour générer un maximum de passages en radio.

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@ 13 Productions

Au-delà de la musique, le scénario met en scène le Marseille populaire des cités, sans oublier ce qui cimente depuis des générations toutes les classes sociales de la ville : l’OM et le Stade Vélodrome. La maxime locale « fiers d’être Marseillais » fait un retour en force avec ce succès planétaire. Un sentiment général résumé par Cherif : « Ce n’est rien 173 millions de vus quand chaque être humain sur terre a une partie refoulée de Marseille en lui ». Enfant des quartiers, comme on qualifie les jeunes des cités ici, Cherif est aujourd’hui cadre.

Enzo a suivi un parcours identique. Pour lui, ce clip illustre avant tout la fraternité au sein d’un milieu, celui du rap, où c’est loin d’être la règle. Surtout, il est représentatif de la solidarité que l’on retrouve dans les quartiers et les grandes cités de Marseille. Pas seulement celles des « QN », ces quartiers Nord systématiquement ciblés par les médias pour stigmatiser toutes les dérives de la société. Celle de Jul par exemple, se trouvait à l’autre bout de la ville. « Ils ont une notoriété énorme mais ils sont restés eux-mêmes, confie Enzo. Je suis fier de ça pour le coup ».

 

Un business à part entière
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Soso Maness @Ludovic Tourte

Les vues sur YouTube, ce ne sont pas des ventes d’albums. Mais les sources de revenus vont être multiples pour les rappeurs qui ont participé à l’aventure. Zino Rue les connaît bien. Il a fait partie d’un groupe en vogue il y a 10 ans, « Révolution urbaine ». Lui aussi est sorti des cités. Il s’est lancé dans les affaires en créant « La Firme » une société qui les met en relation avec des marques. « Ça braque les projecteurs sur les plus grands et assoit leur notoriété. Mais c’est surtout un tremplin financier pour les moins connus, avec derrière la possibilité de lancer ou relancer leur carrière. Soso Maness fait partie de ceux-là. Il est en train d’exploser. Les gens découvrent son album « Mistral », superbe et pourtant passé inaperçu ! »

Au-delà du phénomène « Bande organisée », le rap est depuis trente ans un acteur à part entière de l’économie marseillaise. Studios d’enregistrements, salles de concert, cinéma (le succès de « Taxi » a par exemple permis à la cité phocéenne d’occuper une place importante dans cette industrie qui va installer dans la foulée des studios où va éclore entre autres la série « Plus belle la vie ») et surtout carrières hors normes, comme celles des groupes IAM et de la Fonky Family, ou en solo pour Soprano et Jul. Autant d’ambassadeurs que le Marseille institutionnel a superbement ignorés, notamment en 2013 lorsque la ville avait été désignée capitale européenne de la culture.

 

« Marseille capitale rap ! »
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Keny Arkana @Ludovic Tourte

La bande-annonce balancée sur les réseaux sociaux par Jul enregistre déjà plus de 300 000 vus ! Ce documentaire d’ores et déjà culte (diffusion samedi 14 novembre à 22h30 sur France 5 et lundi 16 novembre à 23h05 sur France 3 PACA) est signé Didier D. Daarwin, un proche d’Akhenaton, et Gilles Rof. Ce dernier, confrère, correspondant du Monde à Marseille, suit depuis l’origine l’émergence de ce mouvement musical pour des journaux spécialisés. D’où une parfaite connaissance de ce milieu et des liens tissés de longue date avec ceux qui sont aujourd’hui des stars difficilement abordables. Des artistes qui prennent du recul, capables d’analyser l’évolution de ce mouvement musical urbain et les raisons de son ancrage profond à Marseille. « Aujourd’hui, ils ont créé un écosystème indépendant des médias et des majors de la musique. Ils ont le lien direct avec le public via les réseaux sociaux. Ils sont totalement libres artistiquement et financièrement », analyse Gilles Rof. Dans ce reportage émerge une femme, une seule : Keny Arkana, qui ne parle jamais à la presse. « Politiquement c’est la plus militante. Pour elle, le rap colle à la réalité sociale de Marseille, décrypte le journaliste. Le drame de la rue d’Aubagne en 2018 comme l’assassinat d’Ibrahim Ali par des colleurs d’affiches du Front National en 1995 auront marqué des étapes de cette culture ».

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Vers la fin de l’ostracisme ?
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Soprano @Ludovic Tourte

Durant ses 25 ans de règne à la mairie, Jean-Claude Gaudin et ses adjoints à la culture n’ont pas voulu reconnaître ce mouvement qui va au-delà du seul registre musical. Cette culture des cités n’intéressait pas une ville qui misait sur une image soft pour attirer les touristes du monde entier. Avec Michèle Rubirola, l’ostracisme n’est plus de mise. Elle entend mettre en avant tous les talents de la ville, « notamment ces jeunes qui ont vécu le pire ou l’injustice, et qui, artistes, transforment le plomb en or »*. La maire de Marseille, comme à son habitude sort du politiquement correct et fixe un cap clair : « La culture populaire, la culture urbaine, ceux qui veulent prendre la parole, ceux qui ont cette énergie qui dévore et pousse vers l’avant, ceux-là ont été trop longtemps négligés dans cette ville. Il est temps de se mettre au travail pour dénicher nos talents et les porter. »

À quand Akhenaton, Soprano et autres Jul ambassadeurs de Marseille ? Après tout, ils ont des millions de followers partout dans le monde, davantage que l’OM et leur talent est moins aléatoire que celui des joueurs qui composent le 11 phocéen !  ♦

 

À quoi peut ressembler une start-up sociale ? 5

*RushOnGame, parrain de la rubrique « Économie », vous offre la lecture de l’article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés] Le livre « Entre la pierre et la plume » par IAM et Baptiste Bouthier – Parce que Marseille est la première ville corse, un rap des champs par ACP –

  • Et parce que Marseille est la première ville corse – le rap des champs par ACP

Pitch de son agent : « C’est un artiste aux racines profondes, apportant un renouveau au rap français ainsi qu’à la musique insulaire. Anthoni reste fidèle à ses valeurs, il fait naître dans son rap un style exclusif propre à lui-même, utilisant la langue corse à ce jour peu présente, plus universelle et ouverte sur le monde en la mêlant à la langue française. Artiste hors normes, véhiculant un attachement aux valeurs humaines, ACP déroute l’auditeur de par la véracité de ses textes, et par son rythme qui vous entraîne brillamment dans un rap moderne et mélodieux en dessinant son parcours sans détour. » Sortie de son nouveau clip “ Veru ” le mercredi 18 novembre.

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  • Un livre – « Entre la pierre et la plume » par IAM et Baptiste Bouthier

Rap : ces marseillais qui transforment le plomb en or ! * 5Pitch de l’éditeur Stock : Pour la première fois en trente ans de carrière, IAM n’a pas pris le stylo pour écrire un nouveau titre choc, mais pour signer un livre témoignage. Akhenaton, Shurik’n, Kheops, Imhotep et Kephren, les cinq membres du plus célèbre groupe de rap français, prennent le temps de parler de leur univers et des inspirations de leurs textes riches et référencés. Marseille, le rap, le cinéma, le racisme, l’Asie, l’Égypte, ou encore les injustices et l’exclusion : à travers les grands thèmes centraux de sa discographie, le groupe se raconte, se confie, s’explique et s’engage, comme toujours.
En quoi sont-ils constitutifs de l’identité d’IAM ? Quel regard portent-ils aujourd’hui sur ces sujets qui traversent leurs morceaux depuis leurs débuts ? En s’appuyant sur les textes des quelques centaines de chansons qu’ils ont signées depuis 1989, les auteurs de « L’École du micro d’argent », « Demain c’est loin », « Je danse le mia » ou encore « La fin de leur monde » se dévoilent comme jamais, quelques mois après la sortie de leur neuvième album, « Yasuke ».