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Comment remédier aux inégalités de santé ?

Par Lorraine Duval, le 7 décembre 2023

Journaliste

En France, selon l’INSEE, 13 années d’espérance de vie séparent les 5% d'hommes les plus pauvres des 5% les plus riches ©illustration Pixabay
Dérivées de nos modes d’organisation éducative, sociale et politique, les inégalités affectent sérieusement la santé. L’espérance et la qualité de vie sont loin d’être les mêmes selon qu’on est pauvre ou mieux nanties. Dans un essai paru en 2022 et intitulé « Santé. Les inégalités tuent », le Pr Alfred Spira et le Dr Nicolas Leblanc décryptent ce phénomène, ses mécanismes et ses origines. Et, surtout, proposent des pistes à même d’y remédier.

 

La différence d’espérance de vie à la naissance en France est aujourd’hui de treize ans entre les plus pauvres et les plus fortunés. Autrement dit, ce que les médecins américains appellent le « shit-life syndrome » (à traduire par syndrome de la vie de merde, lire bonus), est mortel.

Ce constat atterre autant qu’il passionne deux médecins. Alfred Spira, professeur d’épidémiologie, est très impliqué dans les enjeux de santé publique, en matière d’environnement et de dynamique sociale notamment. Nicolas Leblanc lui exerce comme médecin de santé publique. À l’aune de données, statistiques, recherches historiques, comparaison à l’échelle de l’Europe ou du monde, ils décortiquent le phénomène et surtout réfléchissent aux moyens de combattre ce qui ne saurait être une fatalité.

 

L’espérance de vie, un marqueur essentiel

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Louis René Villermé ©DR

Au milieu du 19e siècle, un médecin français, Louis René Villermé, fit une découverte qui allait révolutionner les représentations : la durée de vie, ce que l’on nomme aujourd’hui l’espérance de vie à la naissance, est bien moins déterminée par des forces occultes ou la volonté divine que par l’aisance, le niveau des revenus et d’éducation, la profession et l’habitat. Presque deux siècles plus tard, la donne n’a pas changé, les plus pauvres meurent plus jeunes !

De fait, les données socio-démographiques et épidémiologiques montrent de fortes inégalités sociales dans les risques de maladie et de décès. En France, selon l’INSEE, pour les hommes, 13 années d’espérance de vie séparent les 5% les plus pauvres (environ 470 euros mensuels pour vivre et une situation similaire aux pays d’Asie ou d’Amérique du sud) des 5% les plus riches (au moins 5800 euros mensuels). 71,1 ans pour les uns, 84,4 ans pour les autres. Pour les femmes, 8 années d’espérance de vie séparent les deux extrêmes. Et pour tous cette fois, une espérance de vie qui a globalement reculé de six mois depuis 2020 et la déferlante Covid-19.

 

L’impact des inégalités territoriales et environnementales

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La moitié des personnes vulnérables souffre de problèmes de santé chroniques ©DR

Profondément sociales, les inégalités de santé sont aussi territoriales et environnementales. Elles découlent des conditions dans lesquelles les personnes naissent, grandissent, sont éduquées, vivent, travaillent, vieillissent…

La situation des migrants en France, comme en Europe, a élargi la cohorte de ces personnes précaires et vulnérables qui rencontrent des difficultés pour traiter leurs problèmes de santé, bien souvent chroniques (pour plus de la moitié). De plus, l’éventail des pathologies pour lesquelles des inégalités de mortalité sont constatés est très large, de la tuberculose à la démence, des cardiopathies (AVC ou infarctus du myocarde) aux blessures. Et même aux suicides. Du reste, le retard ou le renoncement aux soins est fréquent dans ces catégories de population.

Quand s’ajoute au tableau le Covid-19, une maladie nouvelle qui déferle subitement sans qu’on sache la prévenir ou la guérir et les inégalités, y compris de santé, se creusent encore. Cela nous fait par ailleurs prendre conscience de la fragilité de notre espèce : nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne du vivant.

 

Perspectives et solutions

« La tâche semble incommensurable », reconnaissent nos deux auteurs. Néanmoins, « en dépit des défis à relever, les possibles sont à portée de main ». Et les lendemains de cette période de crise sanitaire due au Covid-19 leur semblent justement propices. « La pandémie de Covid-19 est un symptôme d’un modèle victime d’une maladie grave, chronique mais guérissable, celle du développement insoutenable et inégalitaire ».

L’histoire révèle que les épidémies frappent plus durement les classes laborieuses. Dans le cas du Covid, outre un âge avancé, le second facteur de risque reste le fait d’être porteur d’une comorbidité – une maladie chronique tels cancer, obésité, diabète, hypertension…-, souvent amplifiée par les inégalités sociales.

 

Le bon moment

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Accorder plus de valeur à la prévention et à la recherche ©Pixabay

Il est donc temps. D’une part car les besoins sont criants, immenses. D’autre part, parce que les connaissances sont suffisantes pour lancer l’action. Le tandem estime que les manières de corriger cette situation dépendent de la volonté d’agir, de l’agilité de décision, des choix d’allocation des ressources.

Leur solution ? Un nouveau modèle de développement collectif, plus ambitieux que des ajustements. À même de faire en sorte que la vie ne soit pas une course d’obstacles pour certains et une promenade de santé pour d’autres. Qui relierait l’économique, le social et l’environnemental (car les épisodes de désordre climatique frappent davantage les plus vulnérables).

Il faudrait aussi accorder plus de valeur à la prévention et à la recherche. Si plus de 200 milliards d’euros sont consacrés à soigner chaque année en France, la prévention institutionnelle n’est elle dotée d’à peine plus de 6 milliards par an. Avec des perspectives accessibles et bornées dans le temps.

 

Panier alimentaire et revenu universel d’existence

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Une bonne santé passe par une alimentation équilibrée ©DR

Il est également important de renouer avec l’essence des mots « sécurité sociale ». Élargir la solidarité à la santé ainsi qu’à ses facteurs. Par exemple garantir un panier alimentaire sain à la population en favorisant les producteurs locaux. Avant la pandémie, la précarité alimentaire touchait déjà jusqu’à 5,5 millions de personnes en France. Insuffler des solidarités nouvelles, comme un revenu universel d’existence. Faire en sorte que le système de santé puisse répartir les compétences, les ressources, autant en amont qu’en aval des maladies.

Enfin, vu l’ampleur de la tâche, le pilotage d’une telle politique devrait être porté au plus haut de l’État, par un ministère de grande ampleur ou une structure interministérielle. D’un point de vue administratif, il faudrait outiller un plan transversal car la réduction des inégalités sociales passe par des actions concernant conjointement l’économie, l’éducation, le travail, l’urbanisme et le logement, l’isolement social et la pauvreté. Bref de quoi bâtir un écosystème de la santé plus solidaire et universel. ♦

 

« Santé. Les inégalités tuent », par Alfred Spira et Nicolas Leblanc. Ed du Croquant. Février 2022. 158 pages. 12 euros.

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