En ce mois de l’ESS (Économie sociale et solidaire), Marcelle vous emmène à Céreste où se bâtit un projet de territoire complet autour du logement intergénérationnel. Un dossier porté par le Maire de Céreste et animé par l’association Sorenis qui fédère des acteurs très divers autour des besoins des futurs habitants et de leurs voisins alentour. Un projet récompensé des Prix régional et départemental de l’ESS. Qui entend essaimer partout en France.
C’est un des grands principes qui sous-tend notre économie capitaliste : le marché serait la réponse à tout, si tant est qu’on le laisse fonctionner librement. Épanouissement personnel, lutte contre la pauvreté… et même protection de la planète à travers l’innovation technologique.
Mais les crises économiques à l’œuvre depuis les années 1970, notamment celle des subprimes en 2007, révèlent que la machine n’est pas si bien huilée. Aujourd’hui, ce modèle semble même à bout de souffle : l’activité économique a bouleversé les équilibres naturels, menaçant nos conditions de vie sur terre. Quant aux promesses de lutte contre la pauvreté, elles n’ont de toute évidence pas été tenues.
Pire, dans certains secteurs, la marchandisation aboutit à des drames. En particulier lorsque le marché est la seule réponse face à des publics vulnérables. Preuve en sont les scandales dans les Ehpads et, plus récemment, dans les crèches.
L’ESS, économie de solutions
L’emprise du marché sur tous les aspects de notre vie semble une fatalité, accélérée par le développement des outils numériques. Pourtant, une autre forme d’économie – à la fois significative et méconnue- dessine une alternative. Son nom : économie sociale et solidaire, abrégée en ESS.
Faisant de la quête de profit un moyen -et non une fin- au service de la satisfaction de besoins essentiels, elle est portée par divers types de structures (associations, mutuelles, entreprises relevant de son champ dont les sociétés coopératives, fondations). Des structures dont la gouvernance n’est pas détenue entre les seules mains des apporteurs de capitaux. Et dans lesquelles on s’assure un partage relativement équilibré de la richesse créée (bonus).
Mais l’ESS, au-delà de ces principes, c’est aussi des projets très concrets. Des projets ancrés aux territoires, qui répondent à des besoins ignorés par le marché faute de rentabilité. Journal de solutions, Marcelle se fait très régulièrement l’écho d’initiatives de ce type, car l’ESS est une économie de solutions. Et parmi ces nombreuses initiatives qui font l’ESS, il en est une, ambitieuse, qui s’apprête à voir le jour à Céreste. Au pied du Lubéron. Dans les Alpes-de-Haute-Provence. Un projet fraîchement auréolé des Prix régional et national de l’économie sociale et solidaire.
Des projets de territoires co-construits plutôt que des opérations immobilières
Comme souvent dans les histoires de l’ESS, ce projet naît d’un collectif. Corinne Ettouati a longtemps travaillé dans l’univers du logement lorsqu’elle décide, avec d’autres, de fonder l’association Sorenis. « L’idée était de proposer aux collectivités et aux bailleurs sociaux de les accompagner pour monter des projets de territoire transversaux, qui partiraient du logement pour élargir l’opération à tout le territoire », explique Corinne Ettouati, seule salariée de l’association Sorenis. Le logement comme premier besoin identifié. Et en particulier, du logement intergénérationnel et inclusif.
Au cœur de ce projet, se trouve ainsi une résidence intergénérationnelle de 58 logements dont la moitié doit être accessible aux personnes vieillissantes ou en situation de handicap.
Mais si le projet s’arrêtait là, on ne parlerait que d’opération immobilière. Or Sorenis veut aller plus loin pour porter un véritable « projet de territoire ». Dès lors, l’association identifie les principaux besoins des habitants susceptibles de vivre dans cette résidence, et même au-delà. Vivre-ensemble pour parer l’isolement. Accès aux soins. Préservation de l’environnement. Développement économique pour les commerces de proximité souvent fragilisés dans ces territoires ruraux. Lutte contre la fracture numérique. Mobilité. « Ce sont les sept thématiques de la vie. Nous voulons que chaque habitant soit considéré dans sa globalité. Et au lieu d’aborder chaque sujet à travers un dispositif spécifique, on met en place une organisation globale ».
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Sorenis, maître en coopération
Ce qui nécessite un important travail de coopération. Car Sorenis n’est pas seule, loin de là. Le comité de pilotage du projet s’apparente à une dense toile d’araignée où se croisent le bailleur social Unicil, des collectivités locales dont la ville de Céreste qui porte le projet, l’État, des associations partenaires, des caisses de retraite et de prévoyance, la Chambre régionale de l’ESS ou encore les habitants du bassin de vie, consultés à plusieurs reprises.
« Nous avons voulu créer une organisation qui rassemble toutes les personnes concernées. De cette manière, tout le monde donne un peu. C’est moins lourd pour la société et pour chacun. Et l’impact est plus important ».
Au milieu de cette toile, Sorenis orchestre le bon fonctionnement du projet en mettant en confiance les acteurs et en permettant le travail de co-construction. « Notre force est notre neutralité. En tant qu’association, on n’a pas d’intérêt économique dans le fonctionnement de la structure. Entre nous, on parle de tout : d’argent, de qui finance quoi, des difficultés rencontrées … » L’association, de par son statut, est par ailleurs en mesure de collecter des dons. « De cette façon, on peut accéder à différents types de soutiens. Comme des dons ou du mécénat de compétences ». De quoi faire s’entrelacer des sources de financement diverses (bonus).
58 logements mais 5700 habitants concernés
Si la toile d’araignée est aussi large, c’est parce que le projet a vocation à profiter à l’ensemble du bassin de vie qui entoure Céreste. Soit 12 communes et 5700 habitants concernés.
Très concrètement, il faut imaginer ce projet comme un petit village à quelques pas du centre de Céreste. À côté de la résidence intergénérationnelle, se trouveront de petits logements en accession sociale ayant vocation à accueillir de jeunes ménages. Façon de générer une forme de mixité sociale tout en favorisant l’accès des jeunes à la propriété. Autour : plusieurs lieux de vie. Une maison partagée 100 % inclusive, mise à la disposition de la ville qui pourra y installer des dispositifs d’intérêt général. Un espace numérique destiné à résorber la fracture numérique avec, pourquoi pas, la tenue de séances de télémédecine en visioconférence, pour des consultations avec des spécialistes non disponibles sur le territoire.
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Le projet comportera aussi un espace de bricolage où il sera possible de réparer du petit matériel. « Pour cela, on s’appuiera sur les compétences des habitants et notamment des seniors ». Cet espace de réparation pourrait aussi servir à remettre d’aplomb le coûteux matériel de personnes en situation de handicap. « Nous avons des discussions sur ce sujet avec APS Prévoyance ».
Une autre salle sera accessible au tissu associatif local et aux écoles pour divers types d’actions. Tandis qu’une salle de conférence dotée d’une cuisine permettra l’organisation de moments de partage. « Les gens qui vivent seuls pourront venir manger avec d’autres, en apportant leur propre repas s’ils le veulent». Et en guise de touche finale, le lieu sera agrémenté d’un potager partagé doté d’un composteur collectif.
Mais ce « petit village » -dont la livraison est prévue pour 2025- ne sera pas coupé du monde. Loin de là. « Nous travaillons avec le département sur la mise en place d’un cheminement sécurisé qui permettra aux habitants de se rendre jusqu’au village. Car nous voulons que les gens puissent avoir une vie harmonieuse avec l’extérieur. Et c’est important pour les commerçants ».
Valoriser ce qui n’a pas de prix
Inspiré d’un précédent projet mené par Sorenis à Entraigues-sur-la-Sorgue pour lequel une étude d’impact s’apprête à voir le jour, celui-ci a vocation à essaimer ailleurs. Partout en France.
« Nous proposons une réponse globale, pérenne, reproductible facilement et rapidement. Mais pour cela, nous avons besoin d’un soutien de l’État qui pourrait se regrouper avec des collectivités locales, des caisses de retraite… » Des discussions sont en cours. « Nous voulons montrer que c’est possible. Et que la société a intérêt à adopter une vision globale des choses ».
Une vision qui aborde les besoins des personnes dans leur ensemble. Avec un certain sens du soin : « la première des valeurs de l’ESS est de remettre l’humain au cœur de la vie ». Une vision qui dépasse en outre le seul cadre financier, bien que ce type d’approche permette, assure Corinne Ettouati, de réaliser des économies. « Il faut se demander ce qui se serait passé pour ces habitants si ce projet n’avait pas existé. Quels coûts auraient été induits ». Reste que tous les apports de celui-ci ne seront pas mesurables. Combien vaut la cohésion sociale ? Quel prix pour une vie mieux remplie ? D’un repas pris avec d’autres plutôt que seul ? Difficile à dire. Et c’est là l’une des principales difficultés que rencontre l’ESS : faire valoir ce qu’elle apporte à la société. En particulier quand cela n’a pas de prix. ♦
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