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Repenser la ville par ses toits 

Par Marie Le Marois, le 6 octobre 2023

Journaliste

Le toit du tiers lieu Coco Velten à Marseille @Marcelle

Cantonné jusqu’à présent à sa mission de couverture, le toit est désormais l’Eldorado des villes. Il offre l’air et l’espace qui manquent aux citadins, mais s’avère encore peu exploité. S’inspirant de Rotterdam, un collectif À Nous les Toits s’est créé à Marseille en 2022. Il travaille sur les usages possibles et organise des Rooftop Days qui, depuis, ont inspiré Paris.

 

Le bâtiment abritait autrefois l’ancienne Direction des Routes à Marseille. Il héberge aujourd’hui Coco Velten, tiers lieu rassemblant hébergement d’urgence, bureaux et cantine. Son toit, situé au quatrième étage, servait uniquement à protéger l’intérieur des intempéries. Il est aujourd’hui un lieu de vie avec une pépinière de plantes méditerranéennes, des ruches et une salle à manger en bois. Dans cet îlot de convivialité sont organisés ateliers et pique-niques.

Vue d’en haut, Marseille se dévoile autrement. La ville paraît plus petite, Notre-Dame-de-la-Garde à droite, les flèches de l’église des Réformés à gauche, la verrière de la gare Saint-Charles à l’arrière. Le massif du Garlaban en toile de fond. Et en bas, la vie. Des enfants qui jouent à la balançoire, des mamans qui discutent sur le banc, des basketteurs qui courent sur un terrain aménagé.

 

Le toit ouvre de nouveaux horizons

La friche Belle de Mai
La Friche Belle de Mai possède 8000 m2 de toit-terrasses @Caroline Dutrey

Sur les toits, le murmure de la ville monte – le ballon qui tape le sol, les piaillements enfantins, les jeunes qui s’apostrophent. Tandis que la plénitude du ciel descend et enveloppe le visiteur. Ils offrent perspective, calme, air et poésie. Ils sont un observatoire privilégié pour déchiffrer la topographie de la ville et confier aux piétons ses secrets inaccessibles.

Non loin de Coco Velten, le toit de la Friche Belle de Mai à Marseille s’anime l’été avec concerts et cinéma en plein air. Au bord de la Seine à Paris, le Wanderluts, niché dans la Cité de la Mode et du Design, accueille expos et activités artistiques pour petits et grands. À Bordeaux, la Méca (Maison de l’économie créative et culturelle) attire les visiteurs pour admirer la ville et la Garonne d’en haut.

Si cette ‘’cinquième façade’’ ouvre de nouveaux horizons, elle crée également de la valeur culturelle, artistique et sociale. Car elle permet de recréer du voisinage entre habitants. À Coco Velten, par exemple, les ateliers du vendredi matin réunissent les personnes du quartier autour de l’apprentissage des semis et du rempotage.  

 

♦ Le collectif À Nous les Toits rassemble Wetopia, Marseille Solutions, La Fabrique du Nous, des architectes, des habitants et des usagers. Leur objet ? Lutter pour un droit au ciel pour tous. « À Marseille, c’est souvent les gens pouvant se payer un cocktail ou un restaurant qui ont accès aux toits. Après le droit à la mer et à la nature, nous œuvrons pour l’accès au ciel », détaille Joke Quintens, fondatrice de Wetopia, association pour ‘’faire ville ensemble’’. 

 

Et des solutions

Cours d'école Simone Veil
Cours d’école Simone Veil à Rosny-sous-Bois, : 625m² recouverts de planches de châtaignier.

Les toits constituent des espaces exceptionnels dans les villes denses, où le mètre carré libre est devenu rare. Le manque de foncier a conduit, par exemple, la mairie de Rosny-sous-Bois à réaliser la cour de l’école élémentaire Simone Veil au-dessus du second étage. Les étudiants de la Kedge Business School Bordeaux bénéficient d’un City-stade au-dessus de leur tête. Quant aux joueurs de tennis, ils ont des courts perchés dans le 20e, à Paris. 

Les toits sont également une potentielle ressource énergétique (quand ils accueillent panneaux solaires ou éoliennes) et une clé du changement climatique (végétalisation). Le point commun entre une piscine publique dans la Sarthe, un centre commercial dans le Tarn-et-Garonne et un chai en Gironde ? Un toit végétal Vertige qui sert à la fois de régulateur thermique, d’îlot de fraîcheur et de biodiversité. Les limites sont repoussées, une forêt a même poussé sur le toit de l’École des Sciences et de la Biodiversité (Boulogne-Billancourt) avec 345 espèces animales et végétales.

Ils contribuent enfin à la sécurité alimentaire des citoyens avec des potagers en l’air. C’est le cas à Paris sur les toits de l’Opéra Bastille ou du parc des expositions de la Porte de Versailles, la plus grande ferme urbaine en toiture d’Europe. Le site Internet indique qu’elle produit 200 kg de fruits et légumes de qualité par jour.

 

Selon l’Agam (Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise), 34 % des toits à Marseille sont plats (soit 900 ha, l’équivalent du 1er + 2e + 3e arrondissement). Si on utilisait 20 % de ces toits pour stocker l’eau = 53 piscines olympiques. Si on en végétalisait 40 % = 20 parcs Borely. Si on en utilisait 20 % en terrains de sport = 260 stades Vélodrome 

 

Pourquoi pas plus ? 

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Halte des parents Marseille / Apprentis d’Auteuil – @Colombe Pigearias

Si le toit est plébiscité, son usage est encore peu présent en France. Bien sûr, notre patrimoine avec ses toits en charpente ne le permet pas et, quand bien même, pas question d’y toucher. Mais, dans les villes, de nombreux immeubles disposent de toits plats accessibles qui pourraient être utilisés et ne le sont pas. Son exploitation impose en effet étanchéité spécifique, garde-corps aux normes, entente entre les propriétaires. Et, pour les établissements recevant du public, des freins règlementaires et normatifs importants. 

Pour profiter de son toit, Coco Velten a suspendu une plateforme qui couvre l’étanchéité et installé une barrière. Mais a dû restreindre sa jauge et son ouverture au public pour des questions de sécurité. La Grande Arche de la Défense, elle, a définitivement fermé son toit au public à cause des « charges d’exploitation colossales » générées par l’ouverture aux visiteurs.

 

Une autre culture

Medina de Tunis2
Medina de Tunis lors du voyage des étudiants @Joke Quintens

Et si la principale raison du peu de toits exploités était tout simplement culturelle ? « Dans tout le Maghreb, le toit est une partie de la maison, il en est même la continuité. On y fait sécher le linge et les épices. Quand il y a beaucoup de monde – un mariage, un baptême – on va sur les toits cuisiner le couscous et partager le repas », détaille Célia, devant un café latté à la cantine de Coco Velten. L’étudiante fait partie du groupe du Master Transition des Métropoles et Coopération en Méditerranée qui a exploré les toits de la médina de Tunis au printemps dernier, une commande provenant du collectif ‘’À Nous les Toits’’.

De ce voyage d’observation, les étudiants ont rapporté dix thématiques qui seront exposées ce week-end à Coco Velten. Citons l’usage social : « les gens se retrouvent sur les toits, festoient ensemble, dorment lors des grandes chaleurs ». L’usage artistique : « sont organisés des expos, du théâtre, des concerts dont certains sont visibles de la rue ». L’usage économique : « des restaurants, des cafés… Pour ces établissements, avoir un toit est avantageux, il permet d’admirer l’ensemble de la médina ».

 

Le ‘’droit au ciel’’ pour tous

Medina de tunis
Medina de Tunis @Joke Quintens

La jeune fille raconte qu’à Tunis, le ciel est un droit pour tous. Il est ainsi possible de construire la ville sur la ville. « Les propriétaires peuvent édifier sur leur toit un appartement pour leur fils qui s’est marié, par exemple, vendre leur toit ou une partie, décider avec un voisin de connecter leur toit. Ou bien encore construire avec celui d’en face un logement qui fait le pont entre les deux bâtiments », détaille la jeune femme de 24 ans. Et de préciser : « Le propriétaire du toit est celui qui possède le rez-de-chaussée ». 

La possibilité d’exploiter les toits dans le pays est étroitement liée au dialogue social. Grâce à lui, « la ville vit, elle est en perpétuelle mutation ». Elle est aussi avant-gardiste avec ses systèmes de récupération d’eau de pluie et ses panneaux solaires. Célia en est persuadée : il suffit d’emprunter à « l’architecture médinale » pour penser la ville de demain.

 

Lieux de vie perchés au nord de Marseille 

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Smartseille -@ Colombe Pigearias

Parce qu’elle pense que l’utilisation des toits représente un enjeu majeur de la ville durable, Euroméditerranée (EPAEM) s’inspire depuis de nombreuses années de la rive sud du bassin Méditerranéen. Cet établissement public intervient dans l’aménagement du territoire nord marseillais –  480 hectares du Mucem au marché aux puces, en passant par la gare Saint-Charles. Il souhaite systématiser la possibilité de valoriser les toitures pour toutes nouvelles opérations immobilières. Objectif : 80% de toitures accessibles dès le début pour être utilisées un jour. Et 25% de toitures pour accueillir des fonctions collectives ou privatives. Concernant les autres toitures – au-dessus de 50 mètres pour le logement, 28 mètres pour le tertiaire, l’objectif est qu’elles soient productives d’énergie ou végétalisées. Et contribuent à la gestion des eaux de pluie.

Une des récentes réalisations est l’IMVT (Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires) en face de Coco Velten. Les architectes ont intégré dès la construction un toit-terrasse. Même si, au dire de certains étudiants, « il fait trop chaud là-haut avec la réverbération », cet espace monumental leur permet en cœur de ville de prendre l’air. Entre ciel et terre.♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Société » et partage avec vous la lecture de cet article*

Bonus

[pour les abonnés] – Le toit des médinas – Ce que dit la loi des toits – Les toits d’Euroméditerranée, à Marseille – Les Paris Rooftop Days

  • Le toit des médinas, un espace historiquement féminin. Célia, étudiante en Master Transition des Métropoles et Coopération en Méditerranée, raconte que « les femmes ne descendaient pas dans la rue. Elles circulaient de toit en toit, s’interpellaient d’une cour à l’autre. Le toit était également pour elles une manière de voir ce qui se passait dans la rue. Car les Tunisiens construisaient les maisons autour d’un patio intérieur et non vers l’extérieur ». 

 

  • Que dit la loi pour les toits ? Joke Quintens, fondatrice de Wetopia : « Ce sont les règlements d’urbanisme de chaque ville qui permettent ou pas l’évolution des toitures existantes. Par exemple : les normes de protection du patrimoine contraignent le centre-ville de Marseille. À cela s’ajoutent les lois nationales relatives au classement des bâtiments. Et qui induisent des normes de construction et d’usage. Exemple : au-dessus de 28 mètres pour un immeuble de bureaux, la terrasse n’est pas accessible, sauf si l’immeuble est classé de grande hauteur… Induisant des contraintes supplémentaires. Globalement en France, les règles ne sont pas faites pour promouvoir simplement l’usage des toitures ».

 

♦ La loi Climat et Résilience renforce, depuis le 1er juillet 2023, l’obligation d’intégrer des procédés de production d’énergies renouvelables ou de végétalisation aux toitures de certains bâtiments

 

  • Euroméditerrannée et les toits : Les toits sont déjà accessibles à la Friche La Belle de Mai, le MUCEM, au musée Regards de Provence, aux Terrasses du Port, au groupe scolaire Ruffi. Ainsi que sur plusieurs bâtiments de logements (îlot M5, AVA, Smartseille…). Les opérations en cours et à venir sur le périmètre qui prévoient un accès au toit : parking Silo sportif, Cité scolaire internationale, groupe scolaire des Fabriques, La Tulipe, IMVT et plusieurs opérations de logements (îlots des Fabriques, îlots Cazemajou, les Échelles). 

 

  • Les Paris Rooftop Days est un événement annuel visant à faire découvrir le potentiel des toits parisiens au grand public, aux professionnels du bâtiment. Et aux élus en charge des politiques urbaines. Ils sont sponsorisés par la CSFE (Chambre syndicale Française de l’Étanchéité), l’Adivet (Association française des toitures et façades végétales). Ainsi que Roofscapes (startup d’adaptation climatique des toits).