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Une école primaire en bois, terre et paille

Par Marie Le Marois, le 13 juin 2023

Journaliste

L'école Simone Veil est identifiable à ses toitures débordantes, ses tours à vent et ses encadrements de fenêtre jaunes. Mais l'invisible est plus étonnant : ses ballots de paille intégrés dans ses murs. @Marcelle

Rosny-sous-Bois est une ville de Seine-Saint-Denis en pleine croissance. La municipalité doit, par conséquent, sortir de terre une école primaire par an. Pour construire des bâtiments plus durables, plus sains et moins énergivores, elle a choisi de privilégier les matériaux naturels, tels paille, bois et terre. De surcroît sourcés localement, en Île-de-France. Reportage à l’école Simone Veil qui accueille plus de 350 élèves dans ses 3000 m2 depuis septembre 2021.

 

Le plus frappant en pénétrant dans l’école Simone Veil est la température. Elle est curieusement fraîche, alors que l’extérieur avoisine les 30°. Cette climatisation naturelle « ne dépassera jamais les 25°C de tout l’été », assure Vincent, architecte chargé de mission à la direction Recherche et Innovation (bonus) de Rosny-sous-Bois.

Ce bâtiment est le quatrième projet de ce type conçu par la mairie DVD – diverses droites. Tous ont été réalisés avec des matériaux naturels, des fabrications locales et des procédés innovants. « Enfin, pas si innovants que ça. Nous avons juste mis à jour des techniques ancestrales et vernaculaires avec les moyens actuels, comme la grue », précise celui qui préfère taire son nom pour mettre en avant le travail de l’équipe. 

Pour montrer l’inédit de la construction, il nous emmène devant la zone témoin. Un rectangle vitré derrière lequel apparaissent des montants en bois garnis de paille. Surprenant de voir ce matériau oublié refaire surface dans un bâtiment de cette ampleur, qui est plus est public et scolaire. 

 

5000 bottes de paille

paille compactée
La paille compactée insérée dans l’ossature bois est visible à chaque étage grâce à une zone témoin @Marcelle

L’école, qui dispose de 3383 m2 sur trois niveaux (élémentaire en haut, maternelle en bas), a nécessité 5000 bottes de paille. Ces tiges dorées proviennent d’une ferme d’Île-de-France en agriculture biologique. Elles servent à la fois de matériau de remplissage dans l’ossature bois et d’isolant. Et offrent de nombreux avantages. La paille est en effet peu coûteuse, peu énergivore lors de sa production et durable : la construction la plus ancienne, la maison Feuillette à Montargis dans le Loiret, a 103 ans. Enfin, elle est performante contre les nuisances phoniques (le cri des enfants est absorbé) et thermiques : terminée la déperdition d’énergie. Un gain par ailleurs amplifié par la ventilation naturelle de l’air grâce à un judicieux procédé de tours à vent, de flux sortant et entrant, et d’échangeurs caloriques. 

Sans comparatif satisfaisant, il n’est pas possible pour Vincent d’évaluer l’économie d’énergie. « Mais la direction des bâtiments est assez surprise du peu utilisé », ajoute ce trentenaire. 

Concernant le risque d’incendie, présent dans l’imaginaire collectif à cause du conte des Trois Petits Cochons, il n’en est rien. « Car la paille n’est pas au contact de l’air. Elle est en plus compactée et enduite », décrypte Vincent, qui rappelle que la construction respecte les mêmes normes incendies que tout bâtiment conventionnel recevant du public.

 

 »Avec juste 5% de la production annuelle francilienne de paille, on pourrait isoler 500 groupes scolaires de 5000m²  », association Collect’IF Paille.

 

Plus de 200m3 de bois

Escalier et rampes en bois Simone Veil
Escalier et rampes en bois… massif. @Marcelle

L’ossature de la construction, sa structure (poteaux et poutres) et les escaliers sont en bois. Il provient de différentes essences locales de feuillus – chêne, peuplier, châtaignier. Massif, et non en lamellé-collé (collage de plusieurs lamelles), il est délicieusement odorant – autre élément frappant lorsqu’on rentre dans le bâtiment Simone Veil. Le plus singulier est sans doute son balcon en bois brûlé, technique de protection naturelle du bois.

Les plafonds sont en bois et chaux, et les cloisons qui séparent les classes en bois et argile. Les panneaux d’argile sont les seuls matériaux provenant d’ailleurs. D’Allemagne de l’Est, plus exactement. « Car nous n’avons pas encore de filière en France, ce qui devrait arriver avant la fin de l’année avec l’entreprise Cyclo Terre », poursuit cet architecte engagé. Ces plaques ont été isolées avec du textile recyclé, issu des vêtements mis par les particuliers dans les conteneurs prévus à cet effet. Les peintures n’ont rien d’extraordinaire au niveau couleur, si ce n’est d’être végétales et produites non loin de Paris, par Technic production, à Reims.

Terre crue et peinture végétale

La paille performante
L’intérieur des murs est enduit de 4 cm terre crue. @Marcelle

L’équipe de maîtrise d’œuvre ne comptait pas au départ utiliser la terre crue – « une technique davantage du sud de la France ». Mais cette ressource naturelle, aux multiples applications (bonus), s’est offerte à elle avec le gisement de terre issu de la construction du Grand Paris. L’équipe l’a valorisée comme enduit intérieur, « en couche de 4 centimètres », recouvert de plâtre. 

L’avantage de ce matériau brut, sans adjuvant ni cuisson, est d’être un excellent régulateur hydrométrique naturel : elle capte ou restitue l’humidité de l’air en fonction de l’humidité ambiante. Les bénéfices sont tels que, pour un prochain projet, des blocs de terre crue seront probablement utilisés, « maintenant qu’une filière s’est montée [Cycle Terre à Sevran, NDLR] ».

L’extérieur des murs de l’école est, lui, recouvert d’enduit chaux-sable dont l’intérêt est de laisser respirer les murs.

 

‘’Les volumes des déblais en Île-de-France ont été estimés à 400 millions de tonnes d’ici 2030. Dans un contexte de raréfaction des ressources et de production effrénée de déchets, Cycle Terre propose de réutiliser/valoriser les terres excavées non polluées pour la construction en terre crue de nouveaux quartiers du Grand Paris.’’

 

Incontournable béton

pavés en bois
Contrairement à la plupart des cours d’école imperméabilisées par le béton ou l’asphalte, celle de l’école maternelle Simone Veil est revêtue de pavés en bois. @Marcelle

Bien que l’équipe ne soit pas favorable au béton, « en raison de son empreinte carbone élevée et de sa main-d’œuvre non valorisée », elle a été obligée de l’utiliser pour la dalle et les fondations de l’école. « Nous n’avons pas encore trouvé d’alternatives », étaye Vincent qui compte essayer les pieux en bois ou métalliques sur de prochains chantiers. Il aurait également préféré que l’entreprise de charpente installe des poteaux en plusieurs morceaux de bois, plutôt qu’un seul, car la circonférence importante implique l’exploitation d’arbres centenaires. « Choisir du bois multisection offre plus de possibilités pour les scieries et une meilleure gestion forestière », insiste cet homme soucieux de l’épuisement des ressources.

Autre concession : l’utilisation de la pétrochimie pour fabriquer l’étanchéité de la cour du second étage réservée aux classes élémentaires. « On ne sait pas encore fabriquer de plans horizontaux en matière naturelle », se désole Vincent devant cet espace recouvert de planches de châtaignier. Et en plan décliné ? « Oui, cela aurait été possible, mais il aurait fallu plus de hauteur ». 

 

♦ Le béton, dont l’un des constituants principaux est le ciment, est l’un des composants les plus gourmands en carbone dans la construction. Il est en outre « plus difficilement valorisable car il faut dissocier les gravats du métal qui sert à le ferrailler », précise Vincent.

 

Des ouvriers fiers

L’équipe a sélectionné des entreprises maîtrisant les techniques de construction souhaitées. Elle a spécifié en amont un cahier des charges sévère, tout en proposant des matériaux préalablement sourcés, comme la paille. Mais « entre les entreprises qui veulent pressuriser les coûts et les autres qui font mal par méconnaissance », l’équipe, portée par ses connaissances et ses convictions, a fait preuve d’une vigilance accrue sur le chantier. 

S’il y a pu avoir quelques tensions avec des entreprises qui n’ont pas ou peu joué le jeu, les ouvriers, eux, étaient heureux et fiers de participer à ce type de construction, notamment les charpentiers. « Travailler des matériaux naturels donne de la valeur et du sens à leur métier », explique celui qui détient en plus un CAP de charpentier. Par ailleurs, manipuler des matériaux non toxiques a permis d’adoucir leur quotidien. Les plaquistes faisaient même la sieste dans les rouleaux d’isolant en coton recyclé.

 

Une meilleure qualité de l’air

Simone Veil 15 classes
350 élèves sont scolarisés à Simone Veil. Deux autres classes ouvrent à la rentrée 2023, portant l’école à 15 classes. @Marcelle

Les enfants ne remarquent rien de spécial dans cette école qui ouvre deux autres classes à la rentrée 2023. Si ce n’est que « parfois on se met des échardes quand on tombe dans la cour », déplore Aelys, une CM1. Les parents en revanche notent une vraie différence. « C’est plus chaleureux, plus écologique et l’air circule. L’école de Tom avant, c’était la fournaise ! », rapporte Sébastien, papa d’un garçon de primaire. Et le revêtement en bois ? « Ce n’est pas top, mais ça fait toujours moins mal que le goudron ! », sourit Mounia. Cette maman d’une fille en moyenne section est également sensible au côté sain du bâtiment : les enfants ne respirent pas ou peu de composés organiques volatils (COV) considérés comme la première pollution intérieure.

La paille, la terre crue et le bois offrent en effet, par rapport aux matériaux industriels, une meilleure qualité de l’air. Et les assemblages sont réalisés mécaniquement, « la colle est proscrite dans notre cahier des charges. Les COV font l’objet d’un contrôle strict », insiste Vincent. « Toutefois, il y a toujours des matériaux qui passent à travers les mailles du filet ». 

 

Entièrement recyclables et compostables

Bassin de récupération des eaux de pluie
Bassin de récupération des eaux de pluie. @Marcelle

Ces matériaux sont entièrement recyclables et compostables. Cela signifie que la rénovation ou démolition d’une telle construction n’engendre pas de déchets difficilement valorisables, contrairement au béton. Elle peut également « être décomposée et recomposée par la nature. Et certains de ses matériaux, comme la paille ou le bois, réutilisés pour d’autres constructions », argumente-t-il, tout en cueillant une dizaine de fraises (excellentes) dans le jardin pédagogique qui jouxte un bassin de récupération d’eaux pluviales (bonus). L’école Simone Veil aura coûté 10,5 millions d’euros. « Plus cher par rapport à d’autres écoles, mais plus durable et moins énergivore », martèle ce convaincu de l’économie à long terme.

Encore quatre chantiers prévus à Rosny-sous-Bois, dont une construction de la même taille et une rénovation – une école des années 1960 tout en béton qui sera isolée en paille. Si Vincent maîtrise parfaitement toutes ces techniques, il cherche à aller toujours plus loin. Il envisage ainsi, pour d’autres projets, la paille porteuse : « des bottes qui porteront les étages sur la façade ». Longtemps délaissé, ce matériau écologique, économique et résistant est bien celui des constructions d’avenir.♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « aménagement » et partage avec vous la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] La Direction recherche et innovation de Rosny-sous-Bois – Architecture citoyenne – La terre crue – La récupération des eaux de pluie –

  • Direction recherche et innovation. Avec l’expansion de la ville de Rosny-sous-Bois (plus de 46 000 habitants), amplifiée avec l’arrivée prochaine de la ligne 11 du métro parisien (RATP), la mairie est obligée de construire écoles primaires et centre de loisirs. De ce besoin est née la nécessité en 2011 d’une maîtrise d’œuvre en interne pour des questions de coûts et de temps. « Externaliser nécessite de faire appel à un marché public. On perd donc du temps et de l’argent », explique Vincent.

La Direction recherche et innovation, initiée par Emmanuel Pezrès et composée d’architectes et d’ingénieurs, est par ailleurs au service de la collectivité et « au service des Rosnéens, des générations actuelles et futures. Nous cherchons donc des matériaux qui ne dégradent pas l’environnement et qui se détériorent le moins possible ».

 

  • Une architecture citoyenne. Outre l’aspect écologique, l’équipe de maîtrise d’œuvre de Rosny-sous-Bois a cœur de construire en favorisant l’humain. Elle a choisi des entreprises en grande majorité à moins de 15 kilomètres à la ronde, dont certains sont d’insertion professionnelle. Et organisé des chantiers participatifs. Elle a par exemple animé des ateliers bois brûlé à la ferme pédagogique de Rosny. 

 

 

  • La construction en terre crue peut être mise en œuvre selon différentes techniques. Citons le pisé (mélange de terre, sable et argile monté par tassement dans un coffrage). Le torchis (mélange de terre argileuse et paille retrouvé principalement dans les maisons à colombages). Ou les briques de terre crue.

 

  • Bassin de récupération d’eau de pluie. Le bassin de l’école Simone Veil permet de recueillir les eaux pluviales directes. Et celles qui coulent de la cour des maternelles. Cette cour possède en effet un revêtement perméable formé de pavés en bois – « du robinier, essence française la plus résistante », explique Vincent. Seule une petite partie est imperméable autour du toboggan – « car, hélas, plus facile pour faire rouler les tricycles ». La construction de l’école comporte également une cuve de récupération d’eau de pluie de 30 m3 qui sert à arroser les espaces verts. L’école a par ailleurs la particularité d’avoir des toilettes sèches extérieures. Les enfants n’ont aucune peine à les utiliser. « Les adultes, un peu moins », sourit Vincent.