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À l’Atecopol Marseille, les chercheurs s’engagent pour la planète

Par Maëva Danton, le 27 octobre 2023

Journaliste

Pour ses membres, l'Atecopol est un moyen de s'engager avec plus de force sur les sujets environnementaux. En s'appuyant sur un collectif réuni par des valeurs communes. @DR
En France comme ailleurs, de plus en plus de scientifiques s’engagent sur les sujets environnementaux. Prenant position et regrettant le manque d’attention qui leur est accordé, en dépit d’urgences de plus en plus palpables. C’est dans ce mouvement que s’inscrit l’Atecopol (Atelier d’écologie politique) Marseille, qui se réunit régulièrement entre les murs d’Aix-Marseille-Université. Et mène des actions de sensibilisation.

 

Dérèglement climatique, fonte des glaciers, érosion de la biodiversité… Les scientifiques sont aux premières loges de la destruction des équilibres naturels de la planète et des menaces qui pèsent dès lors sur notre survie à tous. Alors ils s’engagent. Tribunes appelant à la désobéissance civile, soutien affiché aux militants en lutte contre l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres… Parmi eux, de grands noms comme la paléontologue Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe 1 du Giec, ou encore le climatologue Christophe Cassou. Certains se regroupent au sein de structures, en France comme à l’international, à l’image des Scientifiques en rébellion. Et n’hésitent pas à mener des actions hautement symboliques pour alerter et tenter, bon gré mal gré, de mettre fin à l’inaction sur ces sujets.

 

À l’Atecopol Marseille, les chercheurs s’engagent pour la planète
Les chercheurs de l’Atecopol Marseille se réunissent régulièrement entre les murs de la faculté Saint-Charles @DR

Du labo 1.5 à l’Atecopol Marseille

Faculté Saint-Charles à Marseille, dans le bâtiment du Laboratoire population écologique et développement, une quinzaine de chercheurs se donnent régulièrement rendez-vous. Ce soir, autour de la table sur laquelle fument des tasses de thé 1336, une chercheuse en économie, un ingénieur de recherche en physique, une doctorante de l’institut des neurosciences, des mathématiciens, des biologistes, des chercheurs en informatique… Des profils très divers unis par une même volonté de s’engager sur les sujets environnementaux. Volonté qui, pour certains, ne date pas d’hier.

Car l’Atecopol Marseille – petite sœur de son homologue toulousaine dont est notamment issu le livre « Greenwashing, manuel pour dépolluer le débat public »– est la résultante d’initiatives antérieures, portées par le noyau dur de la bande. Parmi eux, Frédéric Olive, enseignant-chercheur en informatique, et Myriam Quatrini, qui s’intéresse elle aux mathématiques. « Au début, nous étions plusieurs à nous rencontrer au sein du labo 1.5, raconte-t-elle. On se retrouvait autour d’enjeux écologiques très forts. Avec l’envie d’avoir des discussions plus globales, pas se contenter de faire son bilan carbone chacun dans son coin. On voulait se donner les moyens d’agir ».

 

♦ Lire aussi : Biodiversité marine, il est urgent d’agir

 

C’est cette même équipe qui initie un événement au sein d’Aix-Marseille Université : l’initiative Avril AMU. « Ce devait être une mobilisation qui réunirait plein d’enseignants et d’étudiants sur ces sujets. On avait listé une centaine de personnes volontaires pour y participer ». Sauf que nous sommes en 2020 et que le covid-19 s’en mêle. Impossible de mettre en œuvre cet événement.

Les chercheurs s’intéressent alors de près aux Atecopol qui naissent à Toulouse et ailleurs. Des « lieux qui permettent d’avoir des discussions politiques et d’être en contact avec des personnes, au-delà de l’université ». La version marseillaise voit le jour en 2021, portée par quatre membres fondateurs issus des mathématiques, de l’informatique et des neurosciences. « Puis lors de la première réunion qui s’est déroulée dans des combles, on était une petite trentaine ».

 

Porter haut la voix de la science

L’Atecopol Marseille organise alors des événements, à l’image de ces ateliers lecture réguliers qui permettent de créer des ponts entre monde de la recherche et citoyens. Il tente de faire parler de lui auprès de la Mairie, de l’AP-HM… Espérant porter plus haut la voix de la science, trop peu écoutée sur les sujets environnementaux.

« Il y a une déception de la communauté scientifique, et même une usure, de voir que le format classique d’expertise qui a dominé depuis les années 1990 ne fonctionne plus », regrette Marie Jacqué, chercheuse en sociologie. Un manque d’écoute contre lequel il s’agit de se lever. « Nous considérons que nous avons une responsabilité vis-à-vis de la société, pense Manuel Mercier, chercheur à l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm). Nous nous engagerons à sortir de la confortable neutralité dans laquelle on place généralement les scientifiques. Et usons de la liberté académique que nous avons pour avoir une posture critique, qui est un pilier du travail universitaire ». Marquant un silence, il interroge : « Est-ce que savoir et ne pas agir, c’est vraiment savoir ? ».

 

À l’Atecopol Marseille, les chercheurs s’engagent pour la planète 1
Partout dans le monde, des scientifiques se soulèvent pour alerter sur les enjeux environnementaux. @DR

Une « contribution précieuse à apporter aux débats de société »

La posture critique comme pilier du travail universitaire ? La question divise parfois. Au CNRS, le Comité d’éthique (Comets) a émis un avis sur le sujet. D’une part, il souligne que « tout chercheur a la liberté de s’engager publiquement » et que les chercheurs ont même « une contribution précieuse à apporter aux débats de société. Leur liberté d’expression doit être particulièrement protégée, surtout à une époque où divers courants cherchent à la limiter ». D’autre part, le Comets souligne la nécessaire responsabilité des chercheurs au travers de ces engagements, la parole de ceux-ci ayant « un poids particulier dans l’espace public ».

Avec l’Atecopol – qui compte 70 membres dont un noyau actif plus restreint-, l’enjeu est aussi d’avoir un impact sur la large communauté que constitue l’université d’Aix-Marseille, comme le rappelle Frédéric Olive. « Aix-Marseille Université, c’est 10 000 étudiants et salariés, l’impact d’entreprise est gigantesque. Il n’y aura pas de transition en France si d’aussi grosses structures n’y participent pas ». Pour ce, l’Atecopol aimerait par exemple proposer des formations sur ces sujets, ou faire infuser ceux-ci dans les programmes des enseignements existants. Il organise également des séminaires dénommés SemEcol, sur des sujets aussi variés que « Modifier le vivant » ou « Gouverner la science ».

Débattre et décloisonner les savoirs

Des sujets opérationnels qu’aborde régulièrement l’Atecopol lorsqu’il se réunit.  « Dans nos réunions, on passe beaucoup de temps à échanger », sourit Manuel Mercier. « On évite de donner des cadres trop structurants, complète Marie Jacqué. Il y a déjà bien assez de normes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ici, l’enjeu est de parvenir à construire ensemble sans suivre de ligne précise. De débattre et de décloisonner les savoirs ». Et ce, par-delà les réflexes intellectuels et jargons propres à chaque domaine de recherche.

Ainsi, s’entremêlent à la discussion des remarques sur l’actualité. Une analyse de la politique environnementale d’une institution. Les grands projets du moment. Notamment la formation d’élus de la Ville quant à l’impact environnemental des outils numériques. S’ensuivent quelques boutades. Un débat sur la pertinence de rejoindre un collectif national… Mais aussi des considérations plus philosophiques, sur les liens entre santé et écologie. Sur la conjonction entre politique environnementale et prévention en santé. Sur le coût et l’intérêt des médecines de pointe. Ou encore sur la manière dont « l’approche écologique amène à réfléchir autrement à la santé, au corps, au soin… »

Des discussions libres qui permettent de souder un collectif. Collectif que beaucoup sont venus trouver ici, comme un antidote à l’impuissance. C’est ce que tient à souligner Thierry Moutin, professeur océanographe à Institut Méditerranéen d’Océanologie, avant que la réunion ne s’achève. « Cela nous fait beaucoup de bien d’être ensemble. De ne plus être seul dans son coin, en ayant l’impression de parler seul. Ce côté amical de l’Atecopol, c’est super important ». ♦

Bonus

  • Les ateliers lectures – L’Atecopol organise régulièrement des ateliers lecture autour de livres sélectionnés par ses membres. Ateliers qui ont lieu en divers lieux de Marseille. Le prochain rendez-vous est prévu le mercredi 15 Novembre à 18h00 à la Base (3, rue Pierre Roche, Marseille 4e). Il sera question du livre de Bruno Villalba intitulé « Politiques de Sobriété ». Les prochains rendez-vous sont à retrouver sur le site de l’Atecopol Marseille.