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Des propositions pour que tous puissent partir en vacances

Par Nathania Cahen, le 28 juin 2023

Journaliste

Près de la moitié des Français ne partent pas en vacances d'après une étude de l'Observatoire des inégalités ©Pixabay

[vacances #1] À l’approche des vacances scolaires, tout le monde ne plonge pas son nez dans des guides touristiques et ne gamberge pas sur les tenues à jeter dans la valise. En effet, selon les derniers chiffres de l’Observatoire des inégalités, les Français étaient 46% à ne pas être partis durant l’été 2022, dont près de 3 millions d’enfants. Une situation qui a alerté la fondation Jean Jaurès et donné lieu à une réflexion collective assortie de 15 propositions à destination du gouvernement.

Benoît Kermoal, historien et secrétaire national en charge des questions de société à l’UNSA Éducation, a participé à ces travaux et nous en explique la teneur.

 

Une méthode qui privilégie la pratique

À quand des vacances pour tous ?
Benoît Kermoal ©DR

Le rapport « Vers la vie pleine. Réenchanter les vacances au XXIe siècle » est le fruit d’un travail collectif, réalisé à l’issue d’un séminaire de réflexion qui a réuni des responsables politiques, syndicaux, associatifs, de l’enseignement et de l’éducation populaire. Avec l’idée d’accompagner le travail de certains parlementaires (NUPES) impliqués dans les travaux de la proposition de loi sur les vacances. Parce que « l’été devient le temps des inégalités ».

Les échanges, parfois émaillés de divergences (sur le montant de l’aide aux transports par exemple) ont donné lieu à 15 propositions. Assez simples, plutôt pratiques que théoriques. Elles s’articulent autour de trois axes principaux : offrir aux gens des possibilités réelles de partir en vacances, l’accès aux transports, et des colonies de vacances accessibles géographiquement et financièrement. Refaire un droit collectif de ce qui est souvent devenu un droit individuel.

 

♦ Lire aussi : Se reconstruire avec la montagne grâce à 82-4000 solidaires

 

S’épanouir grâce à une vie pleine

L’expression « la vie pleine » est une référence à la dimension historique de l’Histoire des vacances et au rôle de la gauche dans cette évolution sociétale. Une vie pleine, élargie et souhaitable, était celle qui inclurait temps de pause, de récupération, d’éducation (à travers les musées, mais aussi la nature). Une première gageüre était de la rendre possible alors que le travail constituait une valeur essentielle. Une autre était de battre en brèche les préjugés de ceux qui étaient persuadés que les ouvriers ne priseraient pas les activités nobles et en profiteraient pour s’adonner au jeu, à l’alcool, l’oisiveté…

 

Donner à tous les moyens de voyager

Vacances #1 : À quand des vacances pour tous ?
Partir au moins une fois en colonie de vacances avant l’entrée en collège © Pixabay

L’idée est d’établir un droit universel. Pour que tous puissent partir, il conviendrait d’offrir à chacun des billets de train à tarif préférentiel ou un pass. Ou des bons pour les péages correspondant à un aller-retour en auto. Et de généraliser les chèques-vacances. En 1936, lorsque les deux semaines de congés payés ont été votées, la mesure s’est accompagnée d’un aller-retour en train gratuit par personne.

Pour les plus jeunes, cela prendrait la forme d’un pass colo, soit la possibilité de partir au moins une fois avant l’entrée en collège en colonie de vacances. De manière à découvrir le pays, la nature, l’environnement proche aussi. Beaucoup de jeunes ne sont jamais allés à la mer ou à la montagne. Et il serait également souhaitable de débloquer des moyens afin de pérenniser et élargir le dispositif « Colos apprenantes », lancé en 2020 (lire bonus).

 

♦ (re)lire : Lilee, les locations de vacances accessibles aux handicapés

 

Remobiliser… les structures et les animateurs

Vacances #1 : À quand des vacances pour tous ? 1
Même le camping n’est plus accessible pour les petits budgets ©Pixabay

Si on veut que tout le monde puisse avoir des vacances, il faut des structures adaptées, qui sont moins importantes depuis l’essor du tourisme individuel, assorti de nombreuses activités payantes.

Actuellement, trop peu de jeunes passent leur Bafa ou Bafd (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur/directeur), il y a là une véritable crise des vocations. D’autre part, de nombreuses structures collectives et associatives, bien souvent municipales ou financées par les CE des entreprises, ferment ou ont fermé faute de revenus ou de financement suffisants. Parfois même concurrencées par le tourisme lucratif. Même les campings sont moins accessibles depuis que leur standing a changé.

 

Trop souvent associées au travail, à un emploi et aux « congés payés », les vacances sont aujourd’hui encore largement considérées comme une récompense alors qu’elles sont un droit, inscrit à l’article 140 de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions – ATD Quart Monde

Tout sauf un sujet subalterne

Nos propositions entendent démontrer que le principe de vacances pour tous est un sujet important. Les vacances complètent l’activité scolaire et professionnelle. Mais nous avons conscience que ce n’est pas évident pour tout le monde, qu’il faut le temps d’assimiler combien c’est essentiel. C’est la raison pour laquelle nous proposons que le sujet soit abordé au collège et lycée, à la faveur des cours d’enseignement moral et civique. Afin de montrer comment les vacances s’inscrivent dans la vie citoyenne.

 

Tourisme de masse

Vacances #1 : À quand des vacances pour tous ? 3
« On respecte d’autant mieux la nature qu’on la connaît » ©DR

La période est propice à interroger cette évolution du tourisme vers son industrialisation et une dimension lucrative, la multiplication des vols low cost. Les questions liées au respect de la nature se font plus pressantes. Car à quoi bon un temps de respiration si la planète étouffe… Or on respecte d’autant mieux la nature qu’on la connaît.

 

♦ (re)lire l’article : Julie a accueilli un enfant privé de vacances

 

Les vacances, sujet politique

La question relève de la vie de la cité : avoir des temps de répit, de respiration, de satisfaction permet de travailler mieux.

Nous proposons donc la création d’une « agence nationale des vacances » qui aurait pour mission de trouver et gérer l’argent nécessaire à un tel programme. On peut imaginer taxer les structures du tourisme qui génèrent des bénéfices très importants, ou un impôt dédié. Pour le seul opérateur numérique Airbnb, le montant global de la taxe de séjour en 2022 a représenté 148 millions d’euros. Nous recommandons de généraliser à l’ensemble du territoire l’augmentation de 10% des plafonds et planchers de la taxe de séjour. Les montants supplé­mentaires collectés seraient mis à la disposition des communes pour réserver des chambres d’hôtel et des gîtes, mis à la disposition des familles allocataires des aides aux vacances.

Il ne s’agit évidemment pas d’étatiser les vacances, mais de laisser l’État gérer ce dossier. ♦

♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] – L’histoire, depuis « Le grand air » à la semaine de 35 heures – Des chiffres sur les vacances – Les colos apprenantes –

  • L’histoire

Avant 1914, la SFIO crée « Le grand air », la pre­mière colonie de vacances du parti des socialistes. Elle permet aux enfants de travailleurs socialistes à faibles revenus de partir se ressourcer en Bretagne.

En 1919, la journée de travail de huit heures est instaurée avec le repos hebdomadaire et la fameuse semaine an­glaise, où le travail s’arrête à midi.

En 1936, le Front populaire instaure les quinze jours de congés payés. Au-delà de l’image d’Épinal et de l’offre de transports attenante, ce droit ouvre la voie à la structuration, notamment au niveau des municipalités, des activités de loisirs pour ceux qui ne se déplacent pas pour leurs vacances.

En 1956, lors du vingtième anniversaire du Front populaire, le socialiste Guy Mollet instaure la troisième semaine de congés payés.

1968 : 4e semaine de congés payés

1982 : Le gouvernement socialiste du premier mandat de François Mitterrand octroie la cinquième semaine de congés payés

2000 : mise en place de la semaine de trente-cinq heures

 

♦ (re)lire : Et si la paresse était une ressource

 

  • Quelques chiffres
Vacances #1 : À quand des vacances pour tous ? 2
Un enfant sur dix ne part pas en vacances ©Pixabay

« Près de la moitié des Français ne partent pas en vacances » : les chiffres de l’étude menée par L’Observatoire des Inégalités.

Près de 3 mil­lions d’enfants (3-18 ans) ne seraient pas partis en vacances durant l’été 2018 (chiffre ATD Quart-Monde). Pour l’Insee, c’est un enfant sur dix de moins de 16 ans en 2021.

En 2022, 37% des bas revenus sont partis en vacances, lorsque 72% des hauts revenus l’ont fait. Enfin, 81% des cadres et professions intermédiaires supérieurs partiront en vacances contre 56% des ouvriers. Il en va de même entre ceux habitant l’agglomération parisienne (78%) et ceux issus de communes rurales (54%), et entre les catégories aisées (78%) et modestes (52%), voire pauvres (42%)

En soixante-dix ans, le nombre de touristes voyageant à l’étranger est passé de 25 millions à 1 milliard en 2012. Ils pourraient être1,8 milliard en 2030. Durant cette même période, les dix premières destinations mondiales sont passées de 90% à 44% du marché touristique mondial.

En 2019, les CAF ont versé environ 91 millions d’euros d’aides aux vacances, pour 200 000 familles bénéficiaires et 500 000 enfants et jeunes.

Durant l’année scolaire 2020-2021, 32 000 lieux d’accueil étaient ouverts. Pour 11 millions d’en­fants de 3 à 17 ans, 2,75 millions de places de centre aéré disponibles sur l’ensemble du territoire français.

 

  • Les « Colos apprenantes »

Le dispositif a été lancé en 2020. Labellisés par l’État, les organisateurs de séjour offrent aux enfants un apprentissage renforcé dans les domaines éducatifs ou culturels. En parallèle des activités classiques de loisirs. Le dispositif vise la mixité sociale en incluant des enfants issus des quartiers prioritaires de la ville et des zones de revi­talisation rurale. Dotées d’un budget de 41 millions d’euros, les « Colos apprenantes » ont permis à 84 000 enfants de bénéficier de ce dispositif très sti­mulant. L’expérience a été un véritable succès, mais se retrouve aujourd’hui menacée faute de finance­ment public.