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Intérim pour salariés handicapés : entre opportunités et difficultés

Par Agathe Perrier, le 16 novembre 2023

Journaliste

Au sein de l'EATT Eureka Handicap, Sandrine Colonna et Alicia Fenech s'occupent de faire matcher offres d'emploi et salariés intérimaires © Agathe Perrier
Pour réduire le taux de chômage des personnes en situation de handicap, des agences d’intérim spécialisées ont vu le jour partout en France. Mais en Provence-Alpes-Côte d’Azur, une seule des deux enseignes créées a perduré. Eureka Handicap est ainsi devenu l’unique interface pour les quelque 42 000 demandeurs d’emploi handicapés de cette région. Si le travail ne manque pas, la structure souffre néanmoins d’un manque de notoriété et, tenaces, de préjugés qui collent toujours aux salariés handicapés. Plus de 450 CV sont actuellement disponibles ! 

 

Il est plus difficile pour une personne en situation de handicap de trouver un emploi que pour quelqu’un de valide. Une réalité toujours d’actualité : le taux de chômage des travailleurs handicapés atteint 12% en 2022, contre 7,2% pour la population générale. C’est toutefois son plus bas niveau depuis huit ans, preuve que les choses s’améliorent (voir bonus). Une des explications selon l’Agefiph, l’association chargée de soutenir le développement de l’emploi des personnes handicapées, est la « diversification des solutions d’accompagnement vers et dans l’emploi ». Par exemple, cette expérimentation de 2019 qui a insufflé la création d’entreprises adaptées de travail temporaire (EATT). En d’autres termes, des agences d’intérim dédiées aux personnes en situation de handicap. Il en existe 34 actuellement en France, en test jusqu’à cette fin d’année 2023. Passé cette date, une évaluation sera remise au gouvernement pour en mesurer les effets et décider de la suite.

 

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Eureka Handicap est la seule EATT en Paca pour aider les 42 000 demandeurs d’emploi « bénéficiaires de l’obligation d’emploi » dans leur recherche d’un emploi en intérim © Photo d’illustration, Pixabay

Une seule agence pour toute la région Paca

Marcelle avait poussé la porte de l’une d’entre elles en mai 2021, deux mois après son ouverture. Recruthea s’était installée à Marseille, sur le boulevard Chave (5e arrondissement). Avec Eureka Handicap (bonus), elles étaient alors les deux seules EATT pour l’ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais depuis près d’un an, Recruthea a cessé son activité. Contactée, sa maison-mère, l’entreprise adaptée Iddhea, a refusé d’expliquer les raisons de cette fermeture.

Eureka Handicap reste donc l’unique agence d’intérim en Paca pour aider les 42 000 demandeurs d’emploi « bénéficiaires de l’obligation d’emploi », un terme qui regroupe les personnes présentant un handicap ou une invalidité. Nul doute qu’elle a de quoi faire. Mais la structure manque encore de notoriété. « Peu de personnes savent que l’on existe », regrette Alicia Fenech, responsable de l’agence marseillaise. Depuis son arrivée au printemps dernier, après avoir fait tourner l’agence Recruthea, elle travaille justement à booster sa visibilité, aussi bien auprès des entreprises du territoire que des bénéficiaires de l’obligation d’emploi. « On a besoin des deux pour fonctionner », souligne-t-elle.

 

 

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Pour se faire connaître, l’équipe d’Eureka Handicap démarche les entreprises et les demandeurs d’emploi, notamment lors de forum © DR

Trop d’entreprises ne respectent pas la loi

Alicia Fenech démarche les entreprises afin qu’elles confient à Eureka Handicap leur recherche d’intérimaires. Il peut s’agir d’entreprises adaptées ou d’ESAT (établissements et services d’aide par le travail), mais pas que. « Ce sont surtout des entreprises du milieu ordinaire », glisse-t-elle. Car les structures d’au moins 20 salariés ont l’obligation de compter 6% de travailleurs handicapés dans leurs effectifs. Cela concerne près de 108 000 entreprises en France, représentant 400 000 établissements de toute taille, selon les chiffres de 2021 du service statistique du ministère du Travail (Dares).

Mais dans la réalité, seulement 29% respectent cette règle. « Les idées reçues sur les personnes en situation de handicap ont encore la vie dure aujourd’hui dans les entreprises du milieu ordinaire. C’est pourquoi je vais à leur rencontre, pour leur montrer qu’elles sont fausses et les inciter à faire un essai », indique la responsable. Avec un bon argument pour rassurer les plus frileuses : un contrat d’intérim est par définition temporaire et n’engage pas sur le long terme. Reste que 31% des entreprises soumises à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés n’en embauchaient aucun en 2021. Et préféraient s’acquitter de l’« amende » appliquée en cas de non-respect de cette mesure, à savoir une contribution au Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

 

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L’agence Eureka Handicap compte actuellement 450 profils de personnes prêtes à travailler dans sa CVthèque © Photo d’illustration, Pixabay

L’intérim, une solution gagnant-gagnant

En parallèle, Eureka Handicap cherche aussi à se faire connaître des demandeurs d’emploi en situation de handicap. Elle compte actuellement 450 profils de personnes prêtes à travailler dans sa CVthèque. « On reçoit tous nos candidats en physique à l’agence pour un premier entretien. Le but est de faire un bilan de ce qu’ils recherchent, ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire », résume Sandrine Colonna, chargée de recrutement et d’accompagnement au sein de l’agence marseillaise. Lorsqu’un profil matche avec les critères d’une offre d’emploi, l’agence le positionne. « On s’assure que sa pathologie correspond au poste. Ce n’est pas forcément le cas dans une agence d’intérim classique, ce qui peut mettre le candidat en difficulté », argue-t-elle.

Les missions peuvent durer un ou deux jours et parfois même se prolonger, en fonction des besoins de recrutement de l’entreprise. « L’intérim est un bon moyen pour les demandeurs d’emploi en situation de handicap de faire leurs preuves. Et les entreprises qui ont des a priori se retrouvent finalement agréablement surprises », estime Alicia Fenech. Parmi les idées reçues souvent cassées : les entreprises s’attendent à voir débarquer une personne en fauteuil roulant. Or, 80% des handicaps sont dits « invisibles » (bonus).

 

 

Déménagement prochain

Outre son manque de notoriété, l’agence Eureka Handicap est très excentrée. Située dans le parc d’activités de Saint-Henri, dans le 16e arrondissement, elle est en plus mal desservie en transports en commun. « C’est compliqué pour les personnes non-véhiculées de venir jusqu’à nous. On est obligés d’aller les chercher à l’arrêt de bus ou de se rencontrer dans un café ou une boulangerie près de chez eux », souffle Alicia Fenech. Des difficultés qui appartiendront bientôt au passé : un déménagement dans le 6e arrondissement, bien plus central, est prévu dans les prochaines semaines.

De quoi améliorer la situation de cette EATT, même si la route vers l’inclusion totale des personnes en situation de handicap reste encore longue.67% des recruteurs considèrent toujours que l’embauche de personnes en situation de handicap est difficile, selon les chiffres 2022 de l’Agefiph. Un peu d’espoir néanmoins : 35% d’entre eux estiment que l’insertion et l’emploi de ce public sont aujourd’hui une priorité. C’est, certes, très peu, mais en amélioration (+7 points par rapport à 2021). ♦

 

Bonus

  • Derrière Eureka Handicap – Une EATT est portée par une entreprise adaptée. Dans le cas d’Eureka Handicap, il s’agit d’Antilope, appartenant au groupe La Varappe. Créée en 1997, elle est aujourd’hui spécialisée dans la fabrication de papeterie et l’impression personnalisée. Eureka Handicap est par ailleurs une branche de la marque Eureka, spécialisée dans l’intérim.
  • Le chômage des personnes en situation de handicap en baisse – De trois points entre 2022 et 2021 (passant de 15% à 12%). À fin décembre 2022, 454 968 demandeurs d’emploi handicapés étaient inscrits à Pôle emploi en catégories A-B-C (-4% en un an). Ils représentaient 8,4% de l’ensemble des demandeurs d’emploi, comme en 2021. Cela est dû à « l’amélioration de la situation économique depuis 2021», explique l’Agefiph. Plus d’infos et de chiffres dans le tableau de bord 2022 de l’association, à retrouver en cliquant ici.
  • Les handicaps « invisibles » – On compte 12 millions de personnes en situation de handicap en France. Parmi elles, plus de 9 millions ont un handicap invisible, soit 80%. « Il peut s’agir d’atteintes liées à une maladie invalidante (sclérose en plaques, fibromyalgie…), d’un trouble sensoriel, psychique, cognitif, mais aussi d’autisme, de crises d’épilepsie, etc. Trop souvent, les handicaps invisibles sont incompris, minimisés, niés », dénonce APF France Handicap. C’est pourquoi l’association revendique « la pleine reconnaissance de tous les handicaps invisibles, une reconnaissance essentielle pour pouvoir proposer des parcours de soins adaptés aux personnes concernées et rendre leurs droits effectifs ».