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Aller au ski sans voiture, vœu pieux ?

Par Philippe Lesaffre, le 11 janvier 2024

Journaliste

Les déplacements des touristes et des locaux représentent 57% des émissions annuelles des stations de sports d'hiver - photo d'illustration ©Pixabay
Entre le 23 et le 29 décembre 2023, Tim Hoepfner, un étudiant de 22 ans, s’est rendu dans sept stations de ski des Alpes en transport collectif. Ce fou de sport vivant à Strasbourg voulait comprendre s’il était réellement possible de laisser sa voiture individuelle au garage, qu’il s’agisse des locaux ou des vacanciers. Bilan : si l’offre de mobilité alternative existe à la montagne, elle gagnerait à être améliorée.

On l’a vu tester la piste de bobsleigh à La Plagne. On l’a vu tout sourire arriver dans les différentes stations de ski en Savoie, lui l’adepte des cols blancs. Or, l’étudiant en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) Tim Hoepfner n’a pas fait le déplacement pour des vacances de fin d’année. Le futur professeur d’EPS, âgé de 22 ans, s’est rendu au pied des pics alpins pour une raison bien particulière. Il voulait… vérifier qu’il était bien possible d’aller au ski sans sa voiture individuelle.
Tim n’a utilisé que des transports collectifs pour son aventure alpine, entre le 23 et le 29 décembre 2023. Dans le cadre de ses études, il a justement planché sur le sujet des infrastructures de mobilité et les stations accessibles aux usagers (tant locaux que touristes) en train ou en bus, via les lignes, par exemple, du transporteur Altibus. Sur les navettes gratuites également mises à disposition par certains acteurs au cours de l’hiver et de la saison pleine.

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Tim Hoepfner aime la montagne et les transports propres ©DR

Échanger avec les habitants

Mais cette offre fonctionne-t-elle vraiment pour les touristes et les locaux ? Est-elle bien utile pour les personnes qui vivent et travaillent sur le territoire du massif alpin, à l’instar des moniteurs de ski. Lui qui aimerait un jour enseigner cette discipline à mi-temps s’est choisi sept stations emblématiques du massif alpin pour son périple. Depuis Strasbourg, son lieu d’habitation, Tim s’est rendu à La Rosière, à Sainte-Foy-Tarentaise, aux Arcs, à La Plagne, à Méribel, à Courchevel et aux Ménuires.

Sur place, il est parti à la rencontre d’habitants des communes des alentours afin de « se rendre compte de leur situation », de comprendre comment ils se déplacent au quotidien. Verdict ? « L’offre de transport collectif existe bel et bien, mais elle est clairement insuffisante. Pour qu’elle puisse fonctionner pour tout le monde, locaux comme vacanciers, il faudrait pouvoir la développer. »

Typiquement, le premier soir, il a eu l’occasion de dormir chez la mère d’une monitrice, une habitante de la région à l’année, qu’il ne connaissait pas au départ. Ils étaient aux Moulins, un hameau de la commune de Montvalezan. « Les habitants sont prêts à prendre la navette afin de se rendre à la station La Rosière, vu le coût de l’essence et du stationnement des véhicules. Mais celle-ci ne circule pas assez, estiment les personnes avec qui j’ai échangé. Notamment le dimanche : une seule navette monte à Sainte-Foy-Tarentaise, par exemple. »

Pas assez de navettes pour les locaux

Il en va de même à Sainte-Foy-Tarentaise, justement : « Si on doit se rendre le dimanche à Bourg-Saint-Maurice, il n’y a plus de navette après 15h50. La voiture est donc obligatoire. » Tous les services ne se valent pas, a-t-il remarqué. Exemple, « le funiculaire de la station des Arcs est bien plus développé que la navette de Saint-Foy-Tarentaise ».

Pour autant, il est vrai que la situation générale est de nature à « décourager » les uns et les autres. Néanmoins, Tim l’a remarqué, « les habitants du territoire, qui sont là aussi bien en hiver qu’en été, s’entraident ». Il y a du covoiturage. « C’est bien, mais ce n’est pas quelque chose d’institutionnalisé, c’est de la débrouille entre locaux au sein des vallées. » L’étudiant l’a même ressenti, lui qui a fait du stop régulièrement afin de se déplacer : « Je n’ai jamais attendu plus de 5 minutes une voiture. Mais tout le monde n’ose pas forcément se lancer dans cette aventure, je le conçois. »

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Ce qui marche : la débrouille entre locaux au sein des vallées – photo d’illustration©Unsplash

Encourager l’usage du train

Tim en vient au train, il a envie d’en dire deux mots. « Les prix sont encore souvent assez élevés, notamment pour une famille, qui doit acheter plusieurs billets pour se rendre dans une station. » Par ailleurs, même si des solutions de location de matériel existent, elle aura à emporter ses affaires, les skis, les chaussures, les tenues. « Pas facile quand on est nombreux, c’est encombrant… »

En conséquence de quoi, la voiture est l’option n°1 sur le territoire. À Courchevel, par exemple, près de 6000 véhicules arrivent chaque jour, rapportent les spécialistes. Une mobilité qui a des répercussions importantes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Selon l’association Protect our winters (POW), les déplacements des touristes et des locaux représentent 57% des émissions annuelles des stations de sports d’hiver. Dans son rapport RSE, La Plagne, notamment, explique que 88% des émissions de gaz à effets de serre concernent les transports, l’alimentation et l’hébergement des visiteurs, d’après le bilan carbone réalisé par le cabinet UTOPIES en 2022 à partir des données de l’année 2019.

Le changement climatique impacte fortement les territoires de montagne, les glaciers reculent, une partie est vouée à disparaître à l’horizon 2050. Par ailleurs, la neige est une ressource de plus en plus aléatoire, obligeant les responsables des stations, totalement dépendantes de l’activité du ski, à utiliser de la neige de culture.

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« L’offre de transport collectif existe bel et bien, mais elle est clairement insuffisante » – photo d’illustration©Unsplash

Des pistes (de réflexion) pour améliorer la situation

Ainsi, dans le but de limiter l’empreinte écologique des stations, il faut continuer à « encourager la pratique des transports collectifs ». Comme le dit Tim, il est utile de « sensibiliser les non-initiés », de leur parler des solutions de transport plus durables. L’association de protection de l’environnement POW s’en charge également et met à disposition un outil interactif sur son site pour aider les skieurs d’ici ou d’ailleurs à laisser la voiture individuelle au garage (voir aussi l’outil du site du Mont Blanc).

Pour avancer dans le bon sens, il faut en outre que les offres de mobilité plus douces soient encore plus attractives. Pour les touristes, ainsi que pour les personnes qui y vivent douze mois sur douze. « Cela dépend des stations, mais il serait intéressant de créer des aires de covoiturage publiques ou encore d’augmenter le nombre de passages des navettes » afin de favoriser des pratiques vertueuses.

Augmenter le nombre de passages… y compris, précise-t-il, « en dehors de la haute saison des vacances scolaires d’hiver ». Les collectivités et les acteurs réduisent les services de transport entre les périodes de vacances (saison basse) et durant les mois les plus chauds… au détriment des locaux, les écoliers et les travailleurs hors saisonniers. Il serait ainsi « nécessaire, ajoute Tim, d’y remédier : il faudrait leur permettre de se déplacer sans leur voiture, cela me semble logique ».

Ces sujets, Tim les a abordés avec les offices de tourisme sur le terrain… en espérant, quelque part, que ces idées infusent et remontent aux décideurs. ♦