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Aminati, cheffe cuistot des bébés

Par Maëva Danton, le 4 avril 2023

Journaliste

Aminati rend perplexes les parents : elle mijote des soupes dont les petits ne laissent pas une goutte ©M. Danton

De la télévision à la littérature, les chefs cuisiniers n’ont jamais autant reçu de lumière… à condition qu’ils cuisinent pour des adultes. Car chaque jour, c’est dans l’ombre que des milliers de chefs de cantines s’attellent à nourrir les enfants qu’accueillent crèches et écoles. Cheffe de la cantine de la crèche de la Friche Belle de Mai à Marseille, Aminati est de ceux-ci. Pas d’étoiles à son actif, mais trois carottes solennellement brodées sur sa veste. Gage d’excellence dans l’univers des cantines.

 

Elle a enfilé sa plus belle blouse. D’une main, elle l’étire vers le bas. De l’autre, elle en ajuste le col, la lissant comme pour mieux mettre en valeur son tout dernier trophée. Une broderie juste au-dessus de sa poitrine. Trois carottes qui couronnent son nom, inscrit en lettres en majuscules. « C’est une fierté, dit-elle. J’avais pleuré pour les deux premières. Cette fois je me suis retenue. J’ai été forte ». Elle sourit. Ses yeux en amande pétillent.

Ce label, c’est un gage d’excellence dans l’univers de la restauration collective (bonus). Pour obtenir sa troisième carotte, Aminati a dû prouver qu’au moins 60% des ingrédients qu’elle utilise pour concocter les menus de la crèche de la Friche Belle de Mai sont bio.

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Le label 3 carottes s’obtient suite au contrôle d’un mois de menu au hasard. Pour prouver le respect des critères du label, Aminati consigne dans un cahier toutes les étiquettes des produits qu’elle cuisine. @MD

« Il faut aussi des produits en commerce équitable », commente-t-elle tout en attrapant l’énorme cahier dans lequel elle colle, jour par jour, toutes les étiquettes de ses ingrédients. Ce cahier, il a plutôt l’air d’un accordéon tant la masse d’étiquettes consignées dépasse largement ses capacités d’accueil. « C’est un boulot difficile », dit-elle tout en le feuilletant. S’arrêtant ici pour s’attarder sur la marque de lait bio qu’elle utilise pour faire sa polenta ; là pour louer le parfum du « délicieux curry bio » qui parfume ses caris de poulet et ses rougails à la chipolata. Comme si elle rejouait la partition culinaire grâce à laquelle elle embaume depuis trois ans les assiettes des petits de la Friche.

 

Aminati, cheffe cuistot des bébés
@MD

Des étoiles à la Friche

Lorsqu’elle arrive ici en 2020, elle se sent immédiatement comme chez elle. Les cris des enfants qui s’attardent sur le skatepark. Le son des rebonds du ballon de basket sur le bitume. Les couleurs des œuvres d’art qui égayent les murs de ce drôle de lieu, et qui lui rappellent La Réunion où elle a passé vingt ans avant d’arriver en métropole. Car sans cesse, Aminati a voyagé en quête de la vie qui lui convienne le mieux. Madagascar, La Réunion, la métropole. Paris puis Marseille où elle débarque en 1997. Elle a 24 ans. « Au début, je ne faisais rien. Ensuite j’ai eu mes trois garçons. J’ai suivi leur éducation ». 

Passées quelques années à leur côté, elle se lance dans une remise à niveau en maths et français qui lui permet d’être embauchée au centre de lutte contre le cancer, l’Institut Paoli-Calmettes. « J’étais coursière. Je transportais le sang jusqu’au labo. J’allais chercher les chimios à la pharmacie ». Mais rapidement, elle se sent étouffée par l’ambiance de l’hôpital. Les noms de patients auxquels elle s’était attachée, et qui disparaissent soudain des listes des chimios à distribuer. « Je pleurais tout le temps. J’ai arrêté ».

C’est à ce moment-là qu’elle entend parler du programme « Des étoiles et des femmes » (bonus) qui lui permettrait de se former à la cuisine. Avec un CAP à la clé. Aidée par ses fils qui la soutiennent, elle gravit chaque étage du programme avec succès. Jusqu’à finir parmi les 12 dernières candidates retenues. « Je n’y croyais pas ».

En parallèle, elle effectue un stage pratique aux Grandes Tables de la Belle de Mai. La cuisine est généreuse et cela lui plaît. « Je ne me voyais pas dans la cuisine gastronomique, à préparer de tout petits trucs », sourit-elle. Elle affine ses gestes. Découvre les subtilités de la chaîne du froid. Puis cuisine ses premières assiettes pour les clients des Grandes Tables. « Du cari poisson coco ou poulet, du poulpe façon réunionnaise … » Mais une question la taraude : « Les adultes mangent bien. Pourquoi pas les enfants ? ».

 

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@MD

« Qu’est-ce qu’on mange à midi ?»

Coïncidence ou télépathie, Marie-Josée Ordener, cheffe d’orchestre des Grandes Tables de la Friche, lui propose la cuisine de la crèche. Sans se le dire, Aminati en rêvait. Alors sans hésiter, elle dit « oui, oui, je veux bien », rit-elle.

Seule dans sa petite cuisine, elle se sent au départ un peu seule. Mais rapidement, elle devient celle que tout le monde appelle « la cheffe des bébés ». Celle auprès de qui les enfants se pressent dès le matin avec une question cruciale : « Qu’est-ce qu’on mange à midi ? »

Cuisinant « avec amour » de bons produits, elle prépare des plats qui mêlent Provence et Réunion, Inde et Italie… « Une cuisine d’ailleurs », décrit-elle.

 

♦ Lire aussi : Toujours plus de monde aux grandes tables de Marie-Josée Ordener

 

Elle mijote des soupes dont les petits ne laissent pas une goutte. Rendant perplexes des parents qui, à la maison, ont bien du mal à satisfaire les exigeantes papilles de leur progéniture. « Quand je les vois manger comme ça, des produits sains, bio, durables, qui les aident à bien grandir, ça me rend heureuse »

Cuisiner pour des enfants, de surcroît en si bas âge, n’est pas simple. Chaque midi, il faut composer avec des régimes alimentaires divers – sans sel, sans lait, sans viande, sans porc… – et adapter les textures – purée ou petits morceaux- aux âges des convives. Mais Aminati s’amuse de ces contraintes. Surtout quand il faut ruser. « J’avais une petite qui n’aimait pas les cébettes dans la salade de carottes. Alors maintenant je les mixe et quand je la regarde, je vois qu’elle se régale. Avec les enfants, il faut toujours jouer au chat et à la souris ».

 

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Marie-Josée et Aminati @MD

Mission de vie

À ses côtés au quotidien, Marie-Josée l’assure : « Aminati est devenue indispensable ici. Sans elle, on n’aurait jamais eu les trois carottes. C’est une héroïne. Elle est remplie d’exigence. Une exigence généreuse qui n’est pas donnée à tout le monde ».

Une exigeante qui a patiemment cheminé jusqu’à ce qu’elle pense être sa vocation. À bien y repenser, sa fibre cuisinière était sûrement déjà là quand, enfant, elle passait des heures en cuisine aux côtés de son grand-père, sur l’île de la Réunion. « Quand j’avais douze ans, il m’a montré comment faire une sauce tomate aux sardines. Il m’a demandé de la refaire et quand j’ai réussi, il m’a dit : ça y est tu sais faire à manger ».

Devenue adulte, elle aime quand des odeurs de cuisine embaument son appartement. Et parfois, elle insiste pour que ses fils invitent leurs amis à la maison. « Comme ça, je peux leur faire à manger », rit-elle avant de s’interrompre quelques secondes, pensive. Je suis contente de venir travailler ici et nourrir ces petits bambins. Je crois que je suis faite pour ça. Ma mission de vie, c’est de faire de la bonne bouffe pour les enfants ».

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Le label trois carottes – Le programme Des étoiles et des femmes – Les boulettes de sardines d’Aminati dans un livre de cuisine ! –

  • Trois carottes, ça se mérite – Les carottes sont en fait le système de notation du label « Ecocert en cuisine », premier cahier des charges français dédié à la restauration collective durable, valorisant le choix de produits bio, locaux et équitables. Les trois carottes sont le niveau maximal qui peut être atteint. Pour les obtenir, il faut proposer dans les menus 60% d’ingrédients bio, au moins 12 composantes bio et locales par mois. Plus de 80% des plats doivent être préparés à partir de produits bruts. Et au-delà du contenu de l’assiette, les éco-détergents doivent être privilégiés et les pratiques doivent tendre vers le zéro déchet. Tous les critères par niveau sont présentés sur le site labelbiocantine.com

 

  • Des étoiles et des femmes – Le programme « Des étoiles et des femmes » permet chaque année à des personnes éloignées de l’emploi de se réinsérer grâce à la cuisine, accompagnées notamment par de grands noms de la restauration. Marcelle avait rencontré une des lauréate, Wahiba.

 

  • Aminati cuisine le monde – Après le succès de son livre « Marseille cuisine le monde » (éditions la Martinière), Vérane Frediani s’apprête à en sortir un second dans le même esprit. Et en le feuilletant, parmi les visages de tous ceux qui font la cuisine à Marseille, apparaîtra alors celui d’Aminati. On y trouvera également sa recette de boulettes de sardines marseillaises à la sauce tomate, inspirée de la cuisine de son grand-père.