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Quand un jeune élu sourd œuvre à démocratiser la langue des signes…

Par Agathe Perrier, le 8 novembre 2021

Journaliste

Anthony Berard est le seul Sourd de France à un poste d'adjoint au maire © Agathe Perrier

Il n’a que 25 ans et occupe déjà un poste d’adjoint dans une des mairies de secteur de Marseille. Anthony Berard ne se démarque pas en politique par son seul jeune âge, mais aussi parce qu’il est sourd, comme sept autres élus en France seulement (sur une population de 300 000). Une faible représentativité qui évolue doucement et que pourrait soutenir une vraie démocratisation de la langue des signes.

 

Chez les Berard, on est Marseillais depuis au moins deux siècles. Et sourds depuis trois générations. « Dans ma famille, on naît Sourd », précise Anthony. Avec un « S » majuscule qui lui tient fortement à cœur, symbole d’appartenance à la communauté sourde. Être sourd fait en effet partie de son identité, de sa culture, à lui qui n’a jamais eu l’ouïe. Il utilise la langue des signes pour s’exprimer – on dit qu’il signe – et pour défendre une meilleure inclusion des sourds dans la société. Cette croisade a commencé dans le monde associatif à 15 ans, puis politique à 19 ans. Aujourd’hui âgé de 25 ans, il est 3e adjoint (Les Républicains) en charge de l’inclusion et de l’accessibilité des personnes handicapées à la mairie des 13e et 14e arrondissements de Marseille. C’est l’un des rares sourds de France à un tel poste.

 

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Marion Bareille, maire des 13e et 14e arrondissements de Marseille, a remis l’écharpe d’élu à Anthony Berard en juillet 2020 © DR

Démocratiser la langue des signes pour une vraie inclusion

La route jusqu’à cette fonction d’élu n’a pas été simple. Anthony Berard a cherché à intégrer la sphère politique pour porter la cause des sourds dès ses 16 ans. « J’ai fait le tour des différents partis, puis j’en ai choisi un (ndlr : l’UMP devenu LR). Je n’ai pas pu participer aux échanges pendant trois ans car je n’avais pas d’interprète. J’ai finalement rencontré une entendante qui savait signer et m’a rendu ce monde accessible », se souvient-il.

Il ne mâche pas ses signes pour critiquer les discours vantant l’inclusion des sourds dans la société. Selon lui, ce ne pourra être réellement le cas que si la langue des signes se démocratise : en étant reconnue dans la Constitution française et enseignée à l’école. « Tout le monde la connaîtrait et pourrait échanger avec les personnes sourdes. C’est ça la vraie inclusion ! », appuie-t-il.

Améliorer l’accessibilité de sa communauté est son combat permanent. Qu’il partage avec les six autres élus sourds en poste dans diverses mairies françaises (voir bonus). Ensemble, ils ont créé l’association Les élus Sourds pour justement favoriser l’accès des citoyens sourds aux fonctions électives locales. S’ils sont si peu – bien qu’ils n’aient jamais été autant – c’est notamment parce qu’il est difficile d’exercer ce rôle. La raison première : les financements. Car les services d’un interprète pour communiquer avec les autres sont nécessaires. Or, c’est aux collectivités d’en assumer les coûts et toutes ne peuvent pas se le permettre. L’une des volontés de l’association est de voir ces frais passer à la charge de l’État. « On se bat pour ça », assure Anthony Berard, conscient de la responsabilité pesant sur ses épaules pour faire évoluer la condition de ses pairs.

 

 

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Anthony Berard fait appel à un interprète dans l’exercice de ses fonctions d’élu pour communiquer. Un service qui coûte environ 3 500 euros par mois © AP

L’importance de l’interprète

Pour Anthony Berard, le recours à un interprète dans l’exercice de ses fonctions d’élu coûte en moyenne 3 500 euros par mois, payés par la mairie du 7e secteur de Marseille. L’adjoint ne sollicite ce service qu’en cas d’absolue nécessité. « Quand je suis seul à mon bureau, je n’en ai pas besoin. Pour les réunions de groupe ou les rendez-vous avec des administrés, là oui ».

L’interprète traduit les gestes d’Anthony Berard en paroles en quasi simultané puis signe les réponses de son interlocuteur en retour. « On est souvent deux afin de se relayer tous les quarts d’heure. Sinon, c’est une heure d’interprétariat maximum, ou deux entrecoupées d’une pause, en raison de la grande fatigue cognitive engendrée », explique l’interprète du jour (qui souhaite rester anonyme).

Ce travail requiert en effet concentration extrême et précision. Tout comme certaines personnes parlent avec un débit rapide, des sourds signent très vite. La traduction doit être immédiate et parfaitement exacte, des signes en paroles et inversement. « On doit se mettre dans la tête des personnes pour être le plus fidèle possible à leurs propos. Sans rien ajouter, ni oublier, et surtout rester neutre », insiste l’interprète. « Toi, tu signes franchement vite », ajoute-t-elle dans un sourire à destination d’Anthony Berard, amusé par la remarque. Il est vrai que son rythme peut se révéler particulièrement soutenu, notamment quand il aborde le sujet de l’accessibilité des sourds. En vrai passionné et défenseur de sa communauté.

 

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À l’occasion de la journée mondiale de la langue des signes, le drapeau de la langue des signes a été dressé sur la mairie du 7e secteur de Marseille © DR

À chaque région sa langue des signes

Parallèlement à cette fonction d’adjoint, Anthony Berard est formateur en langue des signes. Là encore, il lui a fallu s’accrocher. Car un diplôme universitaire est nécessaire pour exercer ce métier, ce qui implique d’avoir son bac. Or, à Marseille, tous les lycées ne sont pas accessibles aux sourds. Le jeune homme a donc été scolarisé au lycée professionnel Don Bosco, où existe une section dédiée aux sourds depuis 2008. Il y a suivi un parcours en graphisme et informatique, sachant pertinemment qu’il ne poursuivrait pas dans cette voie. « Ça a été un choix par défaut par manque de professionnels sachant signer dans les autres sections », expose-t-il, soulignant ainsi le problème de l’inclusion des sourds dès le plus jeune âge.

Il obtient malgré tout le précieux sésame et apprend le métier de formateur. Depuis cinq ans, il enseigne la langue des signes française à ceux souhaitant l’utiliser pour des raisons professionnelles ou personnelles. À l’instar de la langue orale, elle présente des spécificités régionales : des signes sont propres à certains territoires. « Il arrive aussi que des mots n’aient pas forcément de signes, comme les noms de rue par exemple. Soit on épelle les lettres quand on les évoque, soit on leur attribue un signe », précise Anthony Berard. C’est aussi le cas pour les noms des personnes. Les sourds leur associent souvent un signe, généralement à partir d’une caractéristique physique (un grand nez, des cheveux frisés, anecdotes en bonus). Mais ce peut être en lien avec un trait de caractère, une passion… Mieux vaut ne pas être trop susceptible !

 

Ne pas se contenter de petites victoires

Du haut de ses 25 ans, Anthony Berard sait que le chemin sera encore long pour arriver à une société pleinement inclusive pour ses pairs. Les choses évoluent petit à petit, en témoigne le plus grand nombre – malgré tout dérisoire – d’élus sourds. Ou, par exemple, la mise en place d’initiatives dédiées, comme un dispositif d’interprétariat en langue des signes au Conseil municipal de Marseille depuis fin 2020. « C’est bien pour que toutes les personnes sourdes puissent avoir accès à cette démocratie. Ça pourrait néanmoins être mieux, avec l’agrandissement de la case de l’interprète sur l’écran. Et des sous-titres, normalement prévus pour 2022. Il faudrait maintenant que tous les conseils d’arrondissements en soient équipés », ajoute-t-il. Insatiable, il ne se contentera pas de petites victoires. Et compte bien montrer que, même sans la parole, on peut finalement porter une voix. ♦

 

Bonus 

  • 300 000 personnes sourdes en France… – Un tiers d’entre elles pratique couramment la langue des signes. Et 34% sont inactives du fait de la restriction d’accès à l’emploi, aux loisirs et à l’isolement, d’après la fédération nationale des Sourds de France. À noter également qu’en moyenne un bébé sur 1 000 naît sourd dans l’Hexagone. Il n’y a pas une, mais plusieurs causes possibles à cette surdité de naissance : origine génétique (dans les deux-tiers des cas), traumatisme à la naissance, prématurité, méningite, infection de type toxoplasmose, CMV (cytomégalovirus) ou rubéole pendant la grossesse, intoxication médicamenteuse…
  • … et seulement 7 élus – Outre Anthony Berard, six autres Sourds ont un poste d’élu en France : Patrick Auffet (Saint-Derrien, Finistère), Jean-François Camiul (Ducos, Martinique), Pascal Carré (Joué-Lès-Tours, Loire), Julien Compan (Massy, Essonne), Virginie Cronier (Caen, Normandie), et Karine Marin-Roguet (Bouray-sur-Juine, Essonne).

 

  • Emmanuel Macron, Martine Vassal ou encore Benoît Payan en langue des signes – Il ne s’agit pas de signes officiels, mais de ceux choisis par Anthony Berard pour désigner ces personnalités politiques. Ainsi, le signe du président de la République fait référence à ses rouflaquettes et celui de Benoît Payan, le maire de Marseille, à ses poches sous les yeux. Quant à Martine Vassal, la présidente du Département des Bouches-du-Rhône et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, c’est un nez allongé. Des signes plus ou moins flatteurs. Pas de place pour la susceptibilité on vous a dit !