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Ara Khatchadourian : le sport pour prôner la paix

Par Maëva Danton, le 22 décembre 2023

Journaliste

Fuyant son Liban natal, Ara Khatchadourian a 19 ans lorsqu’il débarque, seul, à Marseille. Dans cette ville monde, au prix d’un travail acharné, il se fait rapidement une place grâce à son métier de joaillier. Mais à 40 ans, dans un moment de basculement de sa vie, il enfile les chaussures de sportif de l’extrême et n’arrivera plus à s’en défaire. Depuis, il a atteint les plus hauts sommets du monde et traversé la Méditerranée en kayak. Avec l’ambition de porter des messages de paix et de fraternité.

« C’est ma maison ici », plaisante Ara Khatchadourian, coin de l’œil plissé derrière ses lunettes fumées depuis la terrasse du Cercle des nageurs de Marseille, cette institution qui surplombe la plage des Catalans. C’est ici qu’il s’entraîne, chaque jour, en vue de ses défis sportifs extrêmes. Ici aussi qu’il admire la mer. Celle qui le relie à la terre de son enfance, le Liban. Et au monde entier. « Je suis un citoyen du monde », sourit-il, le ton posé. « Je suis Arménien d’origine, né au Liban, Marseillais d’adoption, Français, Européen, et célibataire », sait-on jamais.

Une histoire qui incarne, malgré toutes les barrières que certains tentent d’ériger, l’incompressible besoin des peuples de se mouvoir. Pour fuir la faim, la pauvreté, la guerre. En quête d’une vie qui, pensent-ils, ne peut être que meilleure. « Enfant, pendant la guerre, j’allais jouer dans la montagne. On avait de faux fusils en bois, on se prenait pour des gendarmes et on s’amusait à arrêter les gens ». Mais malgré l’innocence, le risque de mauvaises rencontres est pesant. « Dans une guerre, on peut vite manipuler des jeunes. Si j’étais resté, les choses auraient pu mal tourner pour moi ». Ses parents en sont bien conscients et l’encouragent à partir. Ce qu’il fera en 1983. Direction Marseille.

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Sur le toit du monde pour faire porter sa voix, dans le cadre de son défi « Everest for Peace » @DR

La rigueur comme mode de vie

Ara Khatachadourian a 19 ans. Il est venu seul mais trouve d’abord refuge chez un oncle déjà sur place. Et trouve cette ville « géniale ». Il ne parle pas un mot de français. Mais dans cette cité-monde, il prend rapidement ses marques. « Avec l’épicier, je parlais arabe. Je me débrouillais aussi en anglais ». Et au-delà des mots, il a un métier. La joaillerie. « Quand on a un métier, sans avoir besoin de parler, on sait ce qu’on attend de nous. C’est comme ça que j’ai réussi à gagner de l’argent ».

Un argent qu’il économise précautionneusement, selon les conseils que lui a toujours prodigués sa grand-mère. « Quand j’épargnais, elle doublait la mise », se rappelle-t-il. Il mène alors une vie entièrement dédiée au travail, en dehors de tout plaisir. Un croissant au lieu de deux le matin. Pas de boisson pour accompagner son sandwich. Pain, fromage et olives en guise de dîner. Peu de vêtements. Pas de sorties. Et plus le temps pour faire du sport pour celui qui, dans ses jeunes années, a été scout et joueur de basket. « Je me levais à 4h55 pour commencer le travail à 5h. Je travaillais 16h par jour, 7 jours sur 7 ». Une austérité qui lui permet, à 24 ans, de s’offrir sa première boutique. Puis une seconde deux ans plus tard. Ara Khatachadourian se marie. Il aura également un fils.

Le déclic de la quarantaine

Mais à quarante ans, cette vie bien rangée bascule. Une séparation. Le début d’une psychanalyse pour cet homme qui, depuis le plus jeune âge, manque sérieusement de confiance en lui. Et le besoin de remplir un vide. Le sport entre dans sa vie à point nommé. « Cela a commencé quand un ami d’enfance m’a appelé pour préparer un marathon au Liban ». Pas facile de se remettre au pas de course. Mais il persévère. Et devient accro. Multipliant les marathons : Marrakech. Diagonale des fous à la Réunion : « celui-ci est terrible : 170 kilomètres, 10 000 mètres de dénivelé ». Puis il gravit des sommets : le Mont-Blanc. Le Mont-Ararat, « très symbolique pour les Arméniens ». « Et puis je me suis dit : tiens, pourquoi pas le Kilimandjaro ? ». Jusqu’à l’Everest, en 2016, en haut duquel il hisse, comme à son habitude, les drapeaux français, arménien et marseillais. Pour porter un message de paix.

Dernier exploit en date : la traversée de la Méditerranée, de Marseille à Beyrouth, seul en kayak. Soit 3600 kilomètres.

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« Rowing for peace », une traversée de la Méditerranée à la rame, de Marseille à Beyrouth. @DR

Porter des messages

Des exploits marqués par beaucoup de souffrance. « Je pleure chaque jour. Tous les jours, je me retrouve au bout de moi-même. Physiquement, mentalement. Je suis fatigué, épuisé ». Mais il tient bon, afin d’honorer les promesses faites avant de partir. Promesses de soutenir certaines causes qui lui sont chères. La paix. La reconnaissance du génocide des Arméniens. Le soutien à une association, à l’image de T’Cap 21 qui veut changer le regard sur les porteurs de trisomie 21, et dont le sportif est parrain.

♦ À (re)lire : T’Cap 21, pour changer le regard sur la trisomie 21

Ces défis sont aussi pour Ara Khatchadourian le matériau de nombreuses interventions auprès de publics divers, jeunes en particulier. « Un des plus durs mais aussi des plus beaux métiers, c’est la transmission du savoir et de la connaissance. À travers mes interventions, je veux apporter un exemple. Montrer qu’on peut réussir, d’où qu’on vienne. Qu’on peut retrouver confiance en soi grâce au goût de l’effort ». En montrant des photos de lui en haut du Mont Everest, il veut diffuser l’idée que tout est possible. Et dire aux personnes toute la richesse – souvent ignorée – qu’elles recèlent en elles. Prônant par le même temps l’ouverture à l’autre, d’où qu’il vienne.

« Nous descendons tous d’immigrés. La France a, par exemple, été construite par l’immigration. C’est la même chose pour les États-Unis. Il faut se donner les moyens d’accueillir et de donner sa chance à chacun. Ces personnes ont besoin de nous. Et nous avons besoin d’elles ». ♦

 

Bonus

  • Et après ? – Ara Khatchadourian a déjà à l’esprit deux prochains défis. À commencer par le dépassement du record du monde de gainage qui plafonne à 9 heures 38 minutes et 47 secondes. « Je vais essayer de battre ça. J’ai déjà commencé à me préparer », assure-t-il, visant une performance en septembre 2024, au Cercle des nageurs de Marseille, sous le nom de « Plank for peace », littéralement « planche pour la paix ». De façon plus lointaine, il envisage également de voler à l’aide d’un planeur à pédales. Mais beaucoup d’aspects techniques restent à régler.
  • En savoir plus – pour soutenir Ara Khatchadourian dans ses exploits ou lui proposer d’intervenir, rendez-vous sur son site internet.