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Avec GreenCityzen, les plantes commandent leur consommation d’eau

Par Marie Le Marois, le 28 novembre 2023

Journaliste

GreenCitizen permet de moduler l'arrosage en fonction des besoins de la plante. DR

Les espaces verts sont les poumons des villes, mais à l’heure des restrictions d’eau, il est urgent de repenser leur irrigation. GreenCitizen, société marseillaise fondée en 2015, a mis au point un système d’arrosage connecté directement aux besoins hydriques de la plante. Cette innovation, dupliquée dans une trentaine de villes françaises et autant de pays, permet de faire des économies d’eau, traquer les fuites et préserver les végétaux.

Entre la route et la mer, au sud de Marseille, s’étend le parc de la Vieille Chapelle. Quatre hectares de pelouses plus ou moins vertes et une poignée d’arbres. Des terres gagnées sur la mer dans les années 1970, à la faveur des travaux du métro (bonus). Le paysage interroge. Ces étendues sont certes appréciées des Marseillais. Les coureurs, les propriétaires de chiens, les amoureux, les joueurs de foot. Et bien sûr, les familles qui y pique-niquent par grappes les soirs d’été.

Mais avec les épisodes de sécheresse, de plus en plus fréquents, sont-elles bien nécessaires ? Elles ne servent pas « juste à l’esthétique », rappelle Nassera Benmarnia, adjointe au maire en charge des espaces verts. Outre les bienfaits sur la santé humaine et le bien-être, ils luttent contre le réchauffement climatique et les îlots de chaleur urbaine (ICU). Essentiel, surtout dans les villes comme Marseille, « une des plus chaudes de France ».

♦ GreenCitizen est présenté sur le salon Cycl’Eau des 29 et 30 novembre à Aix-en-Provence. Il permet de découvrir les technologies en faveur de l’économie de l’eau. Et des exemples de mises en pratique réalisées par les collectivités en PACA. L’association Cycl’Eau ambitionne de créer un véritable écosystème pour accompagner la filière eau.

Apporter de la fraîcheur dans les villes 
Plan des boîtiers connectés GreenCityzen dans le parc de la Vieille Chapelle @Marcelle

La présence d’arbres permet de rafraîchir la température de l’air grâce à leur transpiration et à l’ombre de leur feuillage. Le rôle des pelouses est, en revanche, moins connu. « De là s’évaporent cinq litres/mètre carré/jour. Un arbre avec des feuilles denses, c’est 6 à 7 litres », compare Fabrice Montbarbon, responsable département arrosage intelligent de GreenCitizen. Et d’ajouter : « par contre, elles vont consommer plus d’eau ». 

Les espaces verts sont surtout gourmands lorsque l’arrosage est identique, quels que soient la météo et le végétal. C’est le cas des systèmes d’arrosage classiques. Les programmateurs sont réglés en fonction d’un planning qui ne change pas, « qu’il vente ou qu’il pleuve », ajoute l’ingénieur agronome. Ce fut le cas à Marseille. « Nous avons hérité d’un patrimoine vert qui avait l’habitude d’être arrosé abondamment, déplore Nassera Benmarnia. Avec de l’eau potable en plus ». Il était urgent selon elle de modifier la gestion.

Le service a commencé par planter des végétaux peu consommateurs d’eau, former les jardiniers à une taille d’arbre plus adaptée au changement climatique. Et, surtout, « dissocier l’arrosage des arbres, des arbustes et des pelouses ». Puis il a lancé une expérimentation d’arrosage intelligent en juin 2021 sur le parc de la Vieille-Chapelle avec GreenCitizen, greentech pionnière dans l’Internet des objets (IoT) créée en 2015 par trois associés (bonus).

Détecter le besoin d’eau

Démonstration de la solution 100% française GreenCityzen. Fabrice Montbarbon montre la sonde à sa gauche, et son boîtier de transmission à sa droite. @Marcelle

L’arrosage intelligent, c’est quoi ? D’un côté, des sondes enterrées à environ à 10 centimètres de profondeur dans les racines des végétaux qui détectent leur taux d’humidité. Et de l’autre, des boîtiers connectés équipés de contrôleurs de vannes. Avant chaque arrosage programmé, ils interrogent la sonde via la plateforme digitale pour savoir si la plante a besoin d’eau. Et appliquent ou non le planning décidé lors de leur installation. Si son taux est stable, l’arrosage ne se déclenche pas.

GreenCitizen a divisé le parc de la Vieille Chapelle en trois zones homogènes, « en fonction du sol et de l’exposition, notamment aux embruns », étaye Fabrice Montbarbon. Chacune comprend huit contrôleurs pour une sonde. Grâce à ces capteurs autonomes, l’arrosage devient spécifique à chaque zone. Les jeunes arbres, eux, ont leur propre irrigation avec trois sondes dans leur racine. Ici une dizaine, dont des tamaris et des caroubiers plantés en 2021 dans le cadre du Plan Arbres de la ville (bonus). Ils sont arrosés grâce à un goutte-à-goutte, « au rythme de leur croissance, ce qui n’était pas le cas auparavant », rappelle l’adjointe au maire. « Au bout de trois ans, on considère que les arbres n’ont plus besoin d’eau », ajoute l’ingénieur, par ailleurs conseiller en agronomie. Conclusion : sur le parc de la Vieille Chapelle, la ville a économisé 48% d’eau. « 41% en moyenne en France », compare Fabrice Montbarbon. 

Détecter les fuites et sauvegarder les plantes

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Il arrive que les camions abîment le système d’arrosage @Marcelle

La seconde détection effectuée par la solution concerne les fuites d’eau, la plupart du temps « invisibles à l’œil nu », spécifie Nassera Benmarnia. Elles résultent « des camions qui abîment le système en roulant dessus », avance Fabrice Montbarbon. Et surtout « du vandalisme » l’été lorsque « des gens, pour ne pas être arrosés, shootent dans l’arroseur alors sorti de terre ». Les agents des espaces verts peuvent observer sur leur écran (smartphone, iPad…), via l’application, si le débit d’eau de tel compteur est anormalement élevé. Et couper le réseau d’eau à distance. Lorsque GreenCityzen a installé sa solution à Martigues, en 2022, la première fuite repérée fut conséquente : « 500 litres par heure ! », se souvient le cadre de la startup. Depuis son utilisation, Marseille a économisé « 18% sur les fuites d’eau », rapporte l’adjointe du maire. 

Ce système d’arrosage ajusté permet également de « sauvegarder le patrimoine existant », note-t-elle. En effet, les végétaux n’étant jamais en manque ou en excès d’eau, ils ne souffrent pas de stress hydrique. « Ce qui fut le cas pour certains arbres que nous avons été obligés d’abattre », regrette celle qui milite pour une ville plus verte.

 

« La France gaspille 1,5 milliard de m3 d’eau par an au niveau des collectivités », Fabrice Montbarbon

Améliorer les capacités dexploitation des agents

Avec GreenCityzen, les plantes commandent leur consommation d’eau 1
Mesures de septembre à novembre à 2023 sur l’application GreenCityzen : arrosage en bleu, absence d’arrosage en vert et fuite d’eau en orange. @Marcelle

Serait-ce la fin des agents des espaces verts ? « Cette solution améliore leurs capacités dexploitation », rétorque l’ingénieur qui vante l’autonomie de la solution (bonus). Les postes ne sont pas supprimés, mais réorganisés. GreenCitizen libère du temps qu’ils peuvent consacrer à la santé des végétaux. Et, grâce au journal collaboratif, la communication entre agents s’est améliorée. Leur peur du changement peut freiner l’adoption de cette innovation reconnaît cependant Fabrice Montbarbon. 

Autre frein : les collectivités qui ne souhaitent pas tout changer, « alors que nous remplaçons le système de programmation, pas le réseau ». Enfin, le prix. Pour le parc de la Vieille Chapelle, le matériel a coûté entre 20 et 25 000 euros. Auxquels s’ajoute l’abonnement : 79 euros par capteur et par an. Mais là encore, le responsable département arrosage intelligent balaie cette objection. « Le retour sur investissement s’effectue au bout de quatre / cinq ans. Et si on rajoute la détection des fuites, ce chiffre tombe à deux ans », annonce ce spécialiste de l’irrigation.  

Économiser 5 millions de mètres cubes par an

La solution GreenCityzen : le boîtier de transmission à gauche avec son antenne. Et en vert, le contrôleur de vannes. @Marcelle

Florence fut la première ville à adopter l’arrosage intelligent de GreenCitizen pour économiser son eau. Depuis, une dizaine de pays et une trentaine de villes lui ont emboîté le pas. Même l’Arabie Saoudite en 2022, « le plus grand site équipé avec 3500 programmateurs d’arrosage ». Le dernier contrat est Paris pour de jeunes plantations d’arbres « répartis sur 300 sites ».

L’objectif de GreenCitizen ? « Économiser 5 millions de mètres cubes d’eau chaque année sur l’ensemble de notre activité », assure le représentant de cette entreprise, qui projette de développer la solution sur les exploitations agricoles. 

 

« Il est urgent de sauvegarder notre patrimoine vert, Marseille est lauréate du programme européen « Cent villes neutres en carbone d’ici 2030″ », Nassera Benmarnia

Solution adaptée aux sécheresses

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La ville plante des arbres dans le cadre de son Plan Arbres @Marcelle

Quant à Marseille, elle est convaincue par cette solution. Et compte l’étendre à tous les espaces verts de la ville dès le printemps 2024 (bonus). Cela représente « pas loin de 470 hectares, en dehors des espaces naturels et des friches », calcule l’adjointe au maire. Elle souhaite mener « une gestion 100% vertueuse », pour préserver son eau bien sûr. Mais aussi pallier le réchauffement climatique. « GreenCitizenest adapté à la multiplication des arrêtés sécheresse » : elle a permis à la ville, à l’été 2023, d’obtenir une dérogation auprès de la Préfecture pour irriguer la Vieille Chapelle, faisant valoir les économies d’eau. L’arrosage intelligent évitera à terme des villes avec « des gazons secs, minéraux, sans zone de rafraîchissement », prophétise Fabrice Montbarbon. À Marseille, les familles n’ont rien à craindre. Elles pourront toujours pique-niquer sur les pelouses le long du rivage méditerranéen.♦ 

Bonus

  • Le parc de la Vieille Chapelle est un aménagement artificiel du littoral. Il a été créé dans la fin des années 1970 par Gaston Defferre à l’aide de remblais issus de la construction des deux lignes de métro marseillaises.
Comparaison entres les villes utilisatrices de GreenCityzen
  • Quatre solutions intelligentes GreenCityzen. Les fondateurs – Francois Hamon, Guy Lecurieux, Alexandre Boudonne – ont développé des solutions dotées d’intelligence artificielle à impact environnemental pour :
  1. L’arrosage intelligent
  2. les réseaux pluviaux,
  3. le réseau d’assainissement
  4. et l’approvisionnement en eau potable des populations vulnérables. 

L’entreprise, labellisée GreenTech par le gouvernement français, compte douze personnes.

  • (Re)lire « Organiser un grand débat démocratique sur les usages de l’eau »
  • L’extension de l’arrosage intelligent à Marseille concernera en priorité les parcs les plus touchés par la sécheresse, c’est-à-dire ceux situés « en aval de l’Huveaune », annonce l’adjointe au maire responsable des espaces verts. Cette mesure concerne huit arrondissements.
  • Plan Arbres. La ville de Marseille souhaite planter 308 000 arbres d’ici 2026, « partout, là où c’est possible, même dans les écoles et les crèches », se réjouit Nassera Benmarnia. Et d’ajouter de mémoire : « 17 000 ont déjà été plantés », parfois des arbres fruitiers « quand on sait qu’ils seront respectés ». C’est le cas dans le parc de l’Espérance (14e) avec amandiers, poiriers et plaqueminiers  (2021). Le parc Henri Fabre (8e) avec des oliviers (2023). Et le nouveau parc des Sœurs Franciscaines de la Comerie avec figuiers, amandiers, plaqueminiers, cognassiers, oliviers, mûriers et abricotiers (2023). D’autres parcs accueillent des jardins partagés, toujours en concertation avec des associations : Vvroum (12e), Labadié (1er) et Spinelly (3e).
  • Autonomie de la solution. À l’inverse de nos smartphones, qui nécessitent du 4 ou 5G, « chaque boîtier envoie son message sur la plateforme via le réseau 0G », se réjouit Fabrice Montbarbon. Le 0G ? Un réseau qui, selon le site d’information Tech Clubic   »permet de relier entre eux des appareils simples, via l’émission et la réception de messages radio formatés dans le monde entier, grâce à une toute petite puce » (plus d’infos ici). Quant aux piles, elles fonctionnent entre 4 et 5 ans.