Au théâtre ensemble, malgré un handicap mental

Parce qu’il leur arrive de parler fort, crier, déambuler, les personnes souffrant d’un handicap mental se rendent difficilement au théâtre ou à l’opéra. Leur comportement atypique les exclut de fait. Heureusement, l’association Culture Relax leur permet depuis janvier 2018 d’assister à une représentation au milieu des autres spectateurs, grâce à un dispositif inclusif déployé sur tout le territoire. La Criée, Théâtre national de Marseille, a signé un partenariat pour trois saisons. 

C’est la première fois qu’ils viennent à La Criée. La première fois qu’ils assistent à un spectacle de cette envergure. « Normalement, avec Gabriel, on va voir des spectacles pour enfants de 45 minutes maxi, dans des petits théâtres. C’est plus simple pour lui », confie de sa voix douce Soraya, sa mère. Et d’expliquer : « Gabriel peut parler fort, faire du bruit, bouger ». Le garçon de 11 ans souffre en effet d’un trouble du spectre autistique (TSA). Ce soir, l’enjeu est de taille : la représentation de Monte Cristo de la Compagnie La Volige dure 1h40, sans entracte. Et la salle est comble avec 280 spectateurs. Mais grâce au dispositif mis en place par La Criée, en partenariat avec Culture Relax, Gabriel pourra sortir et rentrer dans la salle quand il veut. Se ressourcer dans l’espace détente aménagé à cet effet sur la mezzanine. Et même exprimer ses émotions en public. Sa mère aussi est « en mode Relax » : elle ne se sentira pas « gênée » du comportement de son fils vis-à-vis de ses voisins. 

Troubles cognitifs, psychiques ou d’Alzheimer

Soraya peut être effectivement tranquille. Les spectateurs ont été informés au moment de leur réservation de ce format ponctuel. Et des hôtes et hôtesses d’accueil sont postés dans la salle et l’espace détente, tout au long du spectacle. Identifiables par leur badge R accroché à leur tee-shirt violet, ils restent vigilants, prêts à intervenir au moindre besoin émis par ces personnes souffrant de troubles cognitifs, psychiques ou d’Alzheimer. Ils ont reçu en amont une formation de trois heures par l’association Relax, qui leur a donné les clés pour mieux appréhender et accompagner ce public. « Comment s’adresser à une personne qui ne parvient pas à ‘’oraliser’’ ? Quelle posture avoir ? Comment réagir à tel comportement ? », illustre Marie Clerget de Culture Relax qui compte trois salariés. Cette chargée de projet sur le spectacle vivant accompagne le théâtre pendant les trois saisons, puis lui passera la main. « L’idée est qu’il poursuive seul la proposition de Relax ». 

Une jauge Relax de 40 places

Ce cadre axé sur un accompagnement de proximité, sur mesure et bienveillant, du début à la fin, demande à chaque établissement le renfort de « six à sept personnes-ressources ». Raison pour laquelle le dispositif Relax, quelle que soit la capacité de la salle, ne peut dépasser 40 places, accompagnants compris. Pour cette première soirée à La Criée, toutes ont été prises. « Pari réussi, la demande du public est là », se félicite Robin Renucci, le directeur du Théâtre national de Marseille. Sa politique est d’ouvrir le théâtre à tous, « ce qui nous enjoint à lever les freins de l’accessibilité » (bonus).

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Un accompagnement du début jusqu’à la fin

Soraya et Gabriel sont venus par l’intermédiaire de l’association d’entraide Soliane, comme dix autres familles adhérentes. L’autre groupe présent ce soir-là vient d’une MAS (maison d’accueil spécialisée) – six adultes lourdement handicapés et deux éducateurs. Le reste des spectateurs Relax sont des individuels. « On s’adresse en priorité à eux, précise Marie Clerget. Car on se rend compte qu’ils ont un vrai frein pour aller au théâtre, à cause d’un sentiment d’illégitimité. Ils ont peur de déranger le reste du public et les artistes. C’est pour ça que le cadre que nous proposons est important ». À l’accueil, sur un stand prévu à cet effet, un agent de La Criée demande à chacun s’il a besoin d’un casque ou de bouchons d’oreille, car « par moments le bruit est fort », souligne-t-il avant d’accompagner ces spectateurs singuliers dans la salle.

Regarder la représentation ensemble 

Avant que les lumières s’éteignent, La Criée rappelle au public qu’il assiste à une représentation Relax, « qui vise à faciliter la venue au théâtre des personnes en situation de handicap, un public habituellement exclu ». Puis, à l’intention des personnes en situation de handicap, qu’elles peuvent vivre et exprimer leurs émotions à leur façon, « vocaliser, applaudir quand vous voulez ». Enfin, s’adressant à nouveau à la salle, souligne que « l’idée est bien de regarder la représentation ensemble ». Devant nous, un homme émet des sons gutturaux sonores. Deux rangs en dessous, un enfant se lève régulièrement pour aller et venir dans les allées, et parfois en dehors de la salle. De temps en temps, on l’entend dire à sa mère, « c’est fini ? ». Un peu plus loin, à droite, un jeune homme bascule d’avant en arrière. À aucun moment, ces comportements ne nous dérangent.

Sensibiliser le public 

Sensibiliser le grand public est l’un des objectifs sous-jacents de l’association. Lorsqu’on interroge deux spectatrices, aucune n’a été dérangée par ces comportements, « parce qu’on était prévenues », précise Anne-Laure, qui met en avant « la tolérance ». Son amie, Esther, raconte que oui, au début, elle a été importunée par une femme qui gesticulait dans son fauteuil roulant, « mais elle s’est calmée ». Toutes deux soulignent que « c’est chouette que ce public puisse venir au théâtre » et « pas uniquement pour une session réservée à eux ». Une troisième, un peu plus loin, confie que le va-et-vient a largement été compensé par cette version de ‘’Monte-Cristo’’, qui mêle texte, vidéo et musique dans un rythme soutenu. Le seul comportement qui l’a irritée provenait d’une femme, une rangée devant, qui regardait de temps à autre l’écran lumineux de son téléphone. Jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive, « un peu honteuse », que cette femme souffrait en fait de déficience mentale.

Sortir ses émotions

Pour les comédiens, terminer leur tournée à La Criée par ce dispositif est « un cadeau », confie Nicolas Bonneau, le metteur en scène de la pièce, qui joue à la fois le narrateur et Edmond Dantès. Et de s’interroger : « Pourquoi on ne se mélange pas plus ? » Fanny Chériaux, co-metteure en scène et Dolorès dans la pièce, raconte qu’elle entendait de temps à autre des réactions sonores aux « passages angoissants » – le bébé vivant enterré, le concurrent d’Edmond Dantès qui veut ravir sa fiancée, etc. Ce qui fait dire à Nicolas Bonneau que le format Relax ramène aux origines du théâtre. Lorsqu’il était un lieu cathartique, « qui permettait à chacun de sortir ses émotions ».  

27 salles en France

Les personnes en situation de handicap ont-elles vraiment profité de la soirée ? « Les publics sont très différents, répond Marie Clerget de Culture Relax. Certains comprennent très bien le spectacle. D’autres plongent juste dans l’atmosphère sensorielle ». Pour Gabriel, la soirée s’est déroulée sans problème, « il a même tenu jusqu’à la fin », relate sa maman. Avant de préciser : « La musique était un tout petit peu forte, mais il a mis les bouchons d’oreille qu’on lui avait donnés au début ». Autre bémol : « On s’attendait à des personnages différents, plutôt qu’à un narrateur, ce qui est plus compliqué pour mon fils. Mais la projection des petits films et la musique l’ont ‘’rattrapé’’ ».

Cette maman a déjà demandé à La Criée la date du prochain spectacle Relax. Le théâtre ne l’a pas encore programmé, mais en a prévu trois la saison prochaine. L’association, « qui a à cœur de développer une offre culturelle de proximité », est de plus en plus sollicitée par les établissements. Faute de moyens, elle n’est pas en capacité de répondre à tous. Elle a néanmoins signé 27 partenariats ‘’spectacle vivant’’ pour la saison 2024-2025. C’est dix de plus que la précédente. ♦ 

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Bonus

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