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Banlieues Santé, aux petits (et grands) soins pour tous

Par Neijma Lechevallier, le 14 novembre 2023

Journaliste

Bénéficier de l’opération « Plus belle la vue » sans autre condition que d'être bénéficiaire de l'AME ou de la CMU ©DR
Selon que vous serez puissant ou misérable*, vous serez en plus ou moins bonne santé… La précarité est un frein connu à l’accès aux soins. Une troupe particulièrement motivée a donc décidé de se retrousser les manches et de passer à l’action. Banlieues Santé mène ainsi depuis cinq ans des actions de terrain formidables auprès des populations précaires, partout en France. Et s’appuie sur un principe simple : seule la prise en compte de tous les déterminants (médicaux mais aussi sociaux) permet d’espérer un bon état de santé.

 

Espace Coco Velten, 25 septembre 2023, Marseille. Une petite foule, essentiellement composée de femmes et d’enfants, se presse aux abords de ce tiers lieu qui héberge associations et bureaux. Les femmes patientent au soleil près d’une camionnette blanche siglée OneSight. À son bord, l’ophtalmologue Luigi Colella officie dans le cadre de l’opération « Plus belle la vue ». Chaque participant est accueilli sans autre condition que d’être bénéficiaire de l’AME ou de la CMU.

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Une file d’attente en plein air s’est formée devant l’unité mobile médicale sur l’opération marseillaise « Plus belle la vue ».

 

Des inégalités sociales et de santé qui se renforcent mutuellement

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Chez Banlieues Santé, les bénévoles sont parfois doctorants et auteurs de publication ©DR

Un espace intérieur coloré, avec de petites tables sur lesquelles stylos et feuilles de coloriages font le bonheur des petits. D’autres jouent sur d’épais tapis avec trains et voitures. « Cet accueil et cette convivialité sont essentiels pour favoriser l’entrée dans le soin, affirme Yassine Ennomany, directeur de Banlieues Santé, pilote de l’opération avec la Fondation OneSight Essilor Luxottica. Les inégalités sociales et de santé se renforcent mutuellement. Pour agir sur les inégalités d’accès aux soins, il faut accompagner les gens sur toutes leurs difficultés. »

« Rendre la santé accessible, c’est avant tout prendre en compte les difficultés sociales des personnes que l’on veut aider », martèle Abdelaali El Badaoui, président de Banlieues Santé. Fils d’immigrés marocains, il est ressorti gravement brûlé d’un accident quand il était jeune. Ses parents avaient alors eu toutes les peines du monde à naviguer dans le système de soins français. Décidé à agir, il créera quelques années plus tard Banlieues Santé. « En France, même si on a un très bon système de soin, pas parfait mais costaud quand même, les inégalités de santé restent importantes, reprend Yassine. On agit auprès des publics éloignés des soins en prenant en compte les déterminants sociaux. » 

Selon l’Insee, un écart d’espérance de vie de treize ans existe entre les 5% des hommes aux plus hauts revenus et les 5% aux plus bas revenus. Si ces écarts semblent moins marqués pour les femmes, il n’en reste pas moins qu’elles constituent 70% des travailleurs pauvres. Elles représentent aussi 85% des familles monoparentales, dont une sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Le manque de ressources se traduit par un renoncement aux soins et une dégradation globale de l’hygiène de vie.

 

Une entrée dans le soin adaptée aux publics qui en sont les plus éloignés

Au sein de l’espace Coco Velten, les bénéficiaires de tous âges commencent par un test de vue. Des outils adaptés aux personnes ne parlant pas le français permettent une inclusion large. Chacun a pris rendez-vous sur Doctolib ou via une association de proximité. Ensuite, passage obligé pour des tests plus poussés : auto-réfractomètre, tonomètre et frontofocomètre. Objectif : mesurer la correction de l’œil, sa tension et vérifier la correction des lunettes éventuellement portées. S’il faut un fond de l’œil, il est réalisé sur place dans une salle dédiée, au milieu des baby-foot.

« On effectue un premier tri pour savoir qui a besoin d’aller voir le médecin dans l’unité mobile, explique Pascale Mutel, de la Fondation OneSight. Sur cette opération, 90% des plus de 500 personnes reçues avaient un défaut visuel et ont donc été équipées. C’est plus que les 70% habituels sur ce type d’opération. » Ceux qui n’ont pas de problème de vue repartent avec une paire de lunettes de soleil. Une ribambelle d’enfants circule dans les couloirs, lunettes de stars sur le nez. Ceux qui ont un problème de correction repartent avec des lunettes de vue adaptées. Les autres, chez lesquels on détecte des pathologies, sont orientés vers des spécialistes.

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Sur le pont avec Yassine En Nomany et Pascale Mutel qui coordonnent l’opération Plus belle la vue.

 

Des cabinets médicaux mobiles pour rapprocher les spécialités

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Un bus pour la santé du coeur des femmes ©DR

Un mois plus tard, le 25 octobre, autre lieu, autre opération, même modèle. Le Bus du Cœur fait escale à Marseille. Cette tournée nationale de prévention orchestrée par le Pr Claire Mounier-Vehier s’étale sur plusieurs mois. Le Café des femmes et l’association Femmes du plan d’Aou ont accompagné des participantes pour un parcours complet. Mesure de pression artérielle, dépistage du diabète, électrocardiogramme et entretien avec un gynécologue… Celles qui en avaient besoin ont été accompagnées dans leur prise de rendez-vous avec un spécialiste.

 

 

Coordonner les accès à la santé et à l’emploi des femmes

« Banlieues Santé a pour but de lutter contre les inégalités sociales de santé auprès de populations rurales ou de quartiers prioritaires en ville, rappelle Yassine Ennomani. Pour nous la santé – c’est la définition de l’OMS – est constituée de plusieurs déterminants sociaux. Ce que vous mangez, votre mobilité, vos revenus, votre accès aux soins dans votre quartier entrent en jeu.» Banlieues Santé s’est organisée en trois pôles : santé, femmes et solidarité.

Sur le front sanitaire, le programme « Les Biens Aînés » vise à développer des actions d’accès à la santé et aux droits pour les personnes âgées. Il a donné lieu à une première publication scientifique**. « Sous forme de permanences santé au plus près du lieu de vie, nous menons des entretiens individuels pour définir les besoins, explique-t-il. Ensuite, avec une médiatrice en santé nous co-construisons une programmation adaptée ». Depuis 2020, Banlieues Santé et OneSight vont à la rencontre des plus précaires pour leur proposer des soins ophtalmologiques. Ce sont des tournées et même, à Paris, des permanences dédiées.

 

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Le médecin spécialiste Luigi Collela officie dans son unité mobile de consultation.

 

Les femmes, ambassadeurs de santé et relais de prévention

« Nous menons de nombreuses actions en direction des femmes. Parce qu’elles ont des besoins particuliers. Et parce que nous sommes convaincus que leur autonomisation est la clé de l’amélioration de la santé dans les familles et les quartiers », soutient Yassine Ennomany. Sur le terrain, trois Cafés des Femmes ont vu le jour à Marseille, Clichy (92) et Plaisir (78). Au programme : empowerment, échanges et formation de « femmes ressources ». Ces dernières se font les relais de messages prévention et santé sur le terrain. Au sein du programme Papillon, en partenariat notamment avec la maison Lenôtre, les femmes sont ainsi formées et accompagnées vers l’emploi.

Banlieues Santé a également mis en place plus de 200 ateliers de socio-esthétique pour les femmes en situation de vulnérabilité. Plus de 2 000 femmes en ont bénéficié dans trois régions. Au cours de ces ateliers animés par des socio-esthéticiennes formées à l’approche sociale, les bénéficiaires renouent avec l’envie de prendre soin de soi. « Par ailleurs, on a coordonné un salon de beauté itinérant pour 533 bénéficiaires », explique le directeur.

« Enfin, parce que la précarité sociale et la précarité en santé se fécondent mutuellement, on intervient dans les quartiers prioritaires avec des centaines d’associations de proximité, poursuit Yassine Ennomany. Depuis mars 2020, on a distribué des dizaines de milliers de kits hygiène dans le contexte du Covid » (lire bonus). De plus, toute l’année, des messages scientifiques vulgarisés rédigés avec des experts sont diffusés sur les réseaux sociaux de l’association.

 

 

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Banlieues Santé associe colis alimentaires et messages de prévention.

Pérenniser l’accès et le maintien dans le soin à Marseille  

 Banlieue Santé espère pérenniser l’offre ophtalmologique à Marseille, avec une permanence pour les publics précaires. « Si on veut lutter contre les inégalités sociales de santé, il faut aller chercher les populations où elles se trouvent et leur proposer des soins et un suivi régulier », souligne Yassine.

« Le travail quotidien avec les structures de proximité, ce sont des actions « sucres rapides », qui nous permettent de repérer des besoins pour préparer des actions « sucres lents », poursuit Yassine Ennomany. On a un projet de Centre de santé à La Cabucelle, un territoire sur lequel on ne trouve plus que trois médecins pour 10 000 habitants. Ce Centre de santé participatif, qui proposera une offre de soin de premier recours devrait ouvrir ses portes en février 2024. » ♦

 

  • L’AP-HM, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article 

 

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Les prix régulièrement reçus par Abdellali El Badaoui pour son association aident à continuer et développer les actions.

* « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cours vous rendront blanc ou noir… ». Citation de La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste ».

** Journal of Nutrition Health and Aging, par Banlieues Santé et des chercheurs d’Aix-Marseille Université sur la détection de la fragilité chez les Chibanis.

 

Bonus

[pour les abonnés] – Banlieues Santé en dates – En chiffres – Les enseignements du Covid –

  • Banlieues Santé en quelques dates

2018 – Abdelaali El Badaoui fonde l’association pour agir face aux inégalités sociales de santé

2019 – Mise en place d’une stratégie de projets en partant du terrain et lancement du projet Les Biens Aînés

2020 – Création de l’antenne de Marseille et face au Covid 19, élaboration d’une réponse nationale de crise associant 150 associations de proximité sur 4 régions – Prix du citoyen européen

2021- Ouverture du Café des Femmes de Clichy et première publication scientifique – Prix Europe 1 des Collectivités

2022 – Ouverture du Café des Femmes du plan d’Aou près de Marseille

 

  • En chiffres. 1 200 bénévoles dédiés à plus de 60 000 bénéficiaires chaque année. En lien avec un réseau national de plus de 300 associations.

 

  • L’épreuve du Covid et ses enseignements. Depuis mars 2020, des dizaines de milliers de kits hygiène ont été distribués, d’abord dans un contexte Covid. Les produits de ces kits, issus de dons de grandes entreprises, sont d’abord conditionnés par les bénévoles de Banlieues Santé, puis remis aux partenaires de proximité pour être redistribués. Cette crise sanitaire a été l’occasion de tisser des liens, tout en apportant un soutien coordonné. La distribution de ces kits est aussi été l’occasion de faire de la prévention.

« Une nation unie face à cette crise sanitaire, mais aussi sociale, nous permet d’identifier les besoins réels des bénéficiaires les plus fragiles à travers ce kit de bien être, explique Abdellali El Badaoui. Parce que le lien social passe aussi par une bonne hygiène de vie. De bonnes conditions de vie permettent en effet de poser les bases pour ensuite infuser des initiatives en santé qui soient inclusives, vulgarisées et accessibles à tous. »