Des étudiants n’entreprennent pas d’études supérieures, parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers, n’ont été acceptés dans aucune école ou ont développé une phobie scolaire. Créé par les Apprentis d’Auteuil, Campus Co accueille gratuitement ces profils depuis 2021 dans les quartiers nord de Marseille, avec un accompagnement à 360°. Cent étudiants suivent chaque année l’une des formations post-bac, en présentiel ou en distanciel, dont l’ESSCA, école de commerce de renom.
En face de la passerelle d’autoroute, qui longe les quartiers nord de Marseille, se distingue un bâtiment moderne. Il abrite depuis deux ans Campus Co. Ce dispositif créé par les Apprentis d’Auteuil, association dédiée aux jeunes et aux familles les plus fragiles, a été pensé pour les bacheliers de 18 à 25 ans en difficulté d’insertion.
Samir Tighilt, le fondateur et responsable, est parti d’un constat. « Ce sont majoritairement les bacs pros qui n’accèdent pas aux études supérieures. Or dans les quartiers nord, 40% des jeunes sont en bac pro contre 17% au niveau national ». Il observe également que « l’accès aux études supérieures est la condition d’une insertion longue durée – plus on est diplômé, moins il y a de chômage ». Parallèlement, « on assiste à une explosion de jeunes refusés sur Parcours Sup. Le peu d’acceptés le sont en BTS en alternance. Mais ils n’ont pas le réseau pour trouver un contrat d’apprentissage ».
Des écoles de prestige
Campus Co propose quatre formations supérieures en présentiel et 120 à distance via Campus Connecté (bonus). Samir Tighilt n’a pas hésité à viser très haut. Il a ainsi convaincu le directeur du campus aixois de l’ESSCA School of Management de participer à l’aventure. Ainsi, pour la deuxième année consécutive, treize étudiants suivent la prépa intégrée du Bachelor management international à Campus Co. Ils poursuivront le cursus dans l’école, à Aix, l’année prochaine. Et partiront même étudier six mois à l’étranger.
Aucun n’aurait pu s’offrir les frais de scolarité de cette école appartenant au top 30 français. Grâce à un partenariat entre les Apprentis d’Auteuil et l’ESSCA (bonus), ils ne versent pas un centime. Et bénéficient, en outre, d’une bourse de 500 euros par mois.
Sélection par la motivation
Ces étudiants ont été sélectionnés selon leurs ressources, leur niveau et leur motivation. Lors de la pause déjeuner dans la cuisine, Amar, 25 ans, confie n’avoir pas été jusqu’au bac. « Mais j’ai mis les bouchées doubles pour passer mon VAE (validation des acquis de l’expérience NDLR) » avant de postuler à l’ESSCA. Son dossier a été accepté tout de suite par le jury de Campus Co et de l’école de commerce.
Rémy, son voisin de table, a obtenu un bac scientifique, mais six ans en arrière. Son parcours est, comme la plupart des étudiants, décousu. Deux ans de graphisme avortés à Montpellier, un déménagement avec sa famille à Marseille, quelques mois à occuper un petit boulot dans un service de facturation. Et le double à rester chez lui à jouer aux jeux vidéo.
C’est Pôle Emploi qui lui a parlé de l’ESSCA à Campus Co. Peu importe que le site soit situé loin de chez lui, dans un quartier prioritaire de la ville. Il vient volontiers assister au cours tous les jours. « Mon but, c’est d’avancer ». Il est séduit par « ce cadre assez sympathique et les gens très réceptifs ». Lui qui a « du mal en temps normal à faire le premier pas » se sent ici très bien accueilli. Il voit Campus Co comme « une main tendue du fait de [ses] difficultés financières et sociales ».
Ambiance sécurisante
Mounir, aussi, se sent « à l’aise » à Campus Co, mais pas pour les mêmes raisons. Le jeune homme de 23 ans confie apprécier de se retrouver avec des gens du même milieu social. « On se reconnaît, on ne cherche pas à s’adapter aux autres. C’est plus facile pour se concentrer sur les études », résume celui qui a reçu des remarques au lycée « à cause de [ses] origines ».
Une des ses amies reste marquée, elle aussi, par une remarque du collège. « On m’a dit ‘’retourne dans ton pays’’, alors que je suis née en France ». Et Mounir d’ajouter : « entre nous, on ne se sent pas dépaysés ».
Lorsqu’on lui parle de Rémy, qui tranche avec sa bande, il réplique sans réfléchir : « Rémy, c’est la famille, c’est le sang ». Et l’intégration sur le campus d’Aix l’année prochaine ? « Je saurai m’adapter », sourit-il.
Un peu plus loin, Haddidja, la plus âgée, raconte que Campus Co est parfait pour elle qui reprend ses études après une interruption de neuf ans. Âgée de 27 ans, cette maman de deux enfants, enceinte en terminale, s’était arrêtée au bac.
Cours à distance avec Campus connecté
Il est l’heure pour Rémy, Mounir et Haddidja de retourner dans leur salle de cours – mathématiques cet après-midi. Dans la cuisine, il reste Mouhi, Anissa et Nadir. Tous les trois suivent leur formation à distance via Campus Connecté, comme 17 autres étudiants absents à cette heure-là.
Leur point commun ? « Ils n’ont pas trouvé une formation adaptée à leurs envies ou à leurs contraintes perso : ils ont besoin de travailler, ont des enfants, une phobie scolaire… », explique Alysson Suvelor, coordinatrice et tutrice de ce dispositif. C’est le cas de Carla, 19 ans. Depuis qu’elle a été harcelée en terminale, elle est incapable de mettre le pied dans une salle de classe. La formule connectée de Campus Co lui convient parfaitement. L’étudiante en première année de BTS commerce international parvient même à apprécier d’être en groupe.
Tutorat avec Centrale
La plupart étudient leurs cours via des PDF. Seule une poignée les ont en visio, comme Martiel, en licence STAPS (sport) à l’université de Grenoble. Et les examens ? « À distance ou en présentiel selon les formations. Les étudiants doivent alors se déplacer ».
Suivre les cours seul est parfois fastidieux, « C’est un peu compliqué, il faut se motiver, se concentrer, il y a beaucoup de devoirs… », soupire Nadir devant son ordinateur dans l’espace coworking. Il peut compter sur le tutorat des étudiants de Centrale Marseille, « un mercredi sur l’autre chez nous et chez eux », précise Alysson Suvelor. proposé dans le cadre des Cordées de la réussite, il regroupe à la fois du soutien scolaire individuel et du coaching collectif sur les compétences transversales – « prise de parole en public, savoir se présenter, etc.. »
« Un levier pour raccrocher les jeunes en difficulté »
La chargée du suivi pédagogique, méthodologique et administratif ne lâche pas d’une basket ses étudiants. Elle leur apporte « tout ce dont ils ont besoin pour réussir », tout en les cadrant. Ainsi, pour qu’ils tiennent leur engagement – être présent vingt heures par semaine minimum, elle leur fait signer chaque matin une feuille d’émargement. « Je les traque un peu quand même, mais s’ils ont rempli le contrat à la fin de l’année, nous leur remboursons leurs frais de scolarité. Ça peut aller jusqu’à 1300 euros ».
Après deux ans d’expérience, elle observe que Campus Connecté est « un levier pour raccrocher les jeunes en difficulté. Ils reprennent le rythme et goût aux études ».
Accompagnement à 360°
Les étudiants en distanciel et en présentiel bénéficient tous d’un accompagnement unique à 360°. Il répond à tous les freins possibles aux études. « Logement, santé, déplacement, parentalité, etc. », détaille Isabelle Vas, chargée de l’accompagnement social.
Pour y remédier, elle peut s’appuyer sur de nombreux partenaires. Telle la Métropole pour obtenir un ordinateur, Image Santé pour les consultations psy, Cesam 13 pour des check-up santé (« une jeune fille a découvert ainsi qu’elle avait des problèmes cardiaques »). Ou bien encore Parent’Aise, lieu de soutien à la parentalité.
Il arrive que des étudiants ne mangent pas à leur faim. « Encore hier, j’ai donné deux tickets pour qu’ils aillent prendre un panier-repas à l’Addap 13 », raconte cette femme solaire, qui s’est formée aux outils de connaissance de soi. Elle s’entretient individuellement avec les étudiants tout au long de l’année. Et leur propose également des ateliers collectifs avec des professionnels. Pour mieux se nourrir, trouver des petits jobs, gérer son budget, saisir les codes du travail ou remplir les tâches administratives comme la CAF.
Trop cocooning ?
Isabelle Vas craint de surprotéger ses étudiants, le danger étant qu’ils n’arrivent pas à se débrouiller lorsqu’ils intègrent le campus de leur école. Mina infirme ces propos. Cet accompagnement lui a donné confiance en elle. Elle a intégré sans difficulté le campus de l’ESDAC (design), après sa prépa intégrée au Campus Co.
Ce lieu d’études et de vie compte 85% de réussite pour les formations en présentiel et 70% pour celles connectées, « le distanciel, c’est toujours plus difficile », confirme Samir Tighilt.
Plusieurs projets sont en cours : l’ESAIP, une école d’ingénieur, rejoindrait l’aventure. L’ESSCA envisage d’autre part de dupliquer le dispositif avec la fondation sur ses autres campus. Quant à Campus Connecté, l’idée à terme est de l’essaimer sur le territoire métropolitain. Mais pour l’instant l’équipe assure le modèle, toujours en expérimentation.♦
Bonus
- Campus Connecté. Ces lieux d’études répartis aux quatre coins de l’hexagone permettent aux 18-30 ans de suivre des études supérieures à distance. Cette formation gratuite est délivrée par n’importe quel établissement d’enseignement supérieur présent en France. Au sein de chaque Campus connecté, un tuteur encadre 20 étudiants au maximum. Marseille a rejoint la communauté des 89 Campus Connectés de France en mai 2021, faisant d’elle le premier campus connecté en zone urbaine.
Labellisé par le ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation, le Campus Connecté Marseille est porté par la Métropole Aix-Marseille-Provence en partenariat avec la fondation Apprentis d’Auteuil, la Maison de l’emploi et l’école Centrale Marseille.
- Financements de Campus Co. Service de l’État avec le préfet délégué pour l’Égalité des chances, Akto, opérateur de compétence. « Et un couple qui nous soutient depuis le début, Marie et Yves Nanquette (de la Fondation Skillez NDLR) », spécifie Samir Tighilt. Pour les étudiants de. l’ESSCA, les frais de scolarité sont partagés entre l’école et Campus Co à 50%.