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L’industrie agroalimentaire veut atténuer son empreinte carbone

Par Nathania Cahen, le 14 novembre 2023

Journaliste

Été 2023 : Lactel® lance la deuxième étape de Recyc’lait, grande opération de sensibilisation au recyclage. Plus de 5 millions de bouteilles de lait équipées d’un bouchon jaune, afin de réveiller les gestes de tri oubliés.

Un quart des émissions de gaz à effet de serre dans le monde provient de l’industrie agroalimentaire ; la R&D de ce secteur s’efforce donc aujourd’hui de revoir sa copie. La résilience se décline dans quatre domaines clés : matières premières, fabrication, emballage et transport. Elle passe par l’innovation technologique, l’éducation ou encore l’économie circulaire. Avec de nouveaux modèles susceptibles d’alléger le bilan carbone, tout en alimentant une population qui dépassera les 9 milliards de personnes d’ici 2050.

 

[Dans le cadre de l’éducation aux médias, avec le soutien de la Région Sud, une version radio pour les lycéens]
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Pour le Groupe Pernod-Ricard (19 480 collaborateurs, 96 sites de production à travers le monde, 10,77 milliards d’euros de chiffre d’affaires), un des majors du secteur agroalimentaire, le sujet de l’environnement est présenté comme historique. Paul Ricard ayant en effet fondé l’Institut océanographique qui porte son nom dès 1966. Le n°2 mondial des vins et spiritueux entretient donc avec la nature une grande interdépendance : 120 ingrédients sont cultivés sur 250 000 hectares de terre dans le monde (dont 6% lui appartiennent, vignes et agaves). C’est là que se concentrent 50% des émissions carbone du groupe.

 

Revoir les modes d’élevage et d’agriculture 

Pour renverser la situation, chez Pernod-Ricard, le choix s’est donc porté sur une agriculture régénératrice. Ces pratiques agronomiques permettent en effet la restauration des sols, de l’eau, la terre et la biodiversité. Sachant qu’un sol sain résiste mieux au changement climatique et peut stocker de grandes quantités de CO2.

L’industrie agroalimentaire veut atténuer son empreinte carbone 1
Gwyneth Weller, directrice RSE de Pernod-Ricard ©DR

L’entreprise s’est donc entourée d’un agronome et d’un réseau d’experts (le mouvement Pour une Agriculture du Vivant et le groupe Biosphères, spécialiste de l’agriculture régénératrice), pour agir directement ou via les agriculteurs. « Le principe est d’aider la nature à retrouver un équilibre. En se passant au maximum de fertilisants et produits chimiques », précise Gwyneth Weller, en charge de la RSE de Pernod-Ricard depuis trois ans.

Le Groupe Danone (100 000 salariés, 24,2 millions de tonnes de CO2eq en 2022), qui travaille avec quelque 58 000 agriculteurs a également fait le choix de la régénération. Certes, le secteur de l’élevage reste gros émetteur de GES. Mais en janvier 2023, Danone a annoncé un plan ambitieux pour ses émissions de méthane. Il vise à réduire de 30% dans sa chaîne d’approvisionnement de lait frais d’ici 2030, via la mise en place de pratiques d’agriculture régénératrice. En juin 2021, Danone avait par ailleurs lancé un Centre de connaissances de l’agriculture régénératrice qui partage études et méthodes en open source.

 

En 2021, les 17 372 entreprises du secteur ont réalisé un chiffre d’affaires de 198 milliards d’euros et employaient 459 803 personnes réparties sur tout le territoire national (source Association Nationale des Industries Alimentaires – ANIA)

 

Des process de fabrication moins gourmands

Énergivores, ils sont revus, améliorés, avec des machines nouvelle génération recourant à des technologies innovantes. Le Groupe Pernod-Ricard a ainsi injecté 50 millions d’euros dans sa distillerie de Midleton, à Cork (Irlande), pour adopter le procédé de compression mécanique vapeur (CMV). La vapeur captée est recyclée en énergie, avec des émissions de CO2 vingt fois inférieures par tonne vapeur générée.

Lactalis, sur son site industriel de Retiers (un des premiers sites laitiers européens et le plus important de Bretagne qui transforme en moyenne 375 millions de litres/an) a mis à l’arrêt en 2021 des chaudières fonctionnant au charbon et au fuel lourd. Des chaudières au gaz naturel liquéfié (GNL) ont pris leur place. Du reste, une grande partie du site carburera d’ici fin 2024 au CSR, Carburant Solide de Récupération issu de déchets en refus de tri. Le site devrait ainsi réduire ses émissions de CO2 fossiles de 60%, soit 9000 tonnes de CO2 économisées par année. Elle produira de la vapeur qui sera exploitée par la société laitière.

Fin 2021, Axel Bigot, directeur RSE du Groupe Lactalis évoquait, outre des engagements envers l’eau, « un système de récupération lors des opérations de concentration et de séchage du lait. Une eau de process qui peut être traitée puis réutilisée dans les systèmes de nettoyage des installations. Ainsi, cela nous permet de réduire notre consommation d’eau propre ».

Dans le giron du Groupe Danone, les marques Evian et Volvic sont déjà certifiées « neutres en carbone » au niveau mondial par Carbon Trust, un organisme indépendant. Cette mention recouvre différentes mesures, comme des sites d’embouteillage alimentés en énergies renouvelables (depuis six ans pour Evian). Ou des emballages en matière 100% recyclée.

 

Emballages éco-conçus et recyclables

Pernod-Ricard parie sur des bouteilles en verre responsable et recyclé. Le groupe co-investit par exemple avec son partenaire suédois Ardagh (leader de l’emballage, notamment la bouteille, en Scandinavie) dans un four à verre alimenté à l’hydrogène pour 20%. « L’hydrogène sera produit sur place en utilisant de l’électricité renouvelable et permettra à Absolut Vodka de réduire de 20% son empreinte carbone liée au verre », explique Gwyneth Weller.

La même marque expérimente par ailleurs une paper bouteille à base de papier et de plastique, recyclable et huit fois plus légère. Et teste avec EcoSpirits (start-up spécialisée dans la distribution écoresponsable des spiritueux), l’usage de conteneurs rechargeables pour l’hôtellerie et la restauration. De quoi abaisser de 60% les émissions.

 

 

Chez Lactalis, la feuille de route ambitionne « 100% des emballages éco-conçus d’ici 2025, et recyclables, grâce à un outil d’éco-conception interne pour développer et sélectionner le juste emballage ». Du reste, le groupe se fixe différents objectifs de recyclabilité, comme la certification de 100% de papier vierge utilisé d’ici à fin 2023 et la suppression du PVC de ses contenants d’ici à 2025.

Du côté de Danone, l’innovation porte sur des emballages circulaires – réutilisables, recyclables ou consignables. Les formats familiaux pour les eaux de Volvic et Evian permettent une économie de plastique de 25%. La fontaine de 8 litres de Volvic est 100% rPET, et d’ici 2025 ce sera le cas de toutes les bouteilles. D’autre part, via l’application Loop, la consigne est en place dans les magasins Carrefour pour bouteilles d’eau, yaourts et petits pots. Enfin, une expérience de yaourt bio en vrac est menée dans les épiceries Day by day.

Comment l’industrie agroalimentaire améliore son empreinte carbone 1
Perrier-Jouët Belle Époque Cocoon ne pèse que 49 grammes (soit 93% de moins que les précédents étuis). Il est élaboré à partir de matériaux naturels, tels que la pulpe de papier provenant de forêts gérées durablement (label FSC) et de sarments de vigne issus du vignoble, à hauteur de 5% ©DR

 

Des transports plus verts

Chez Pernod-Ricard, les maisons Martell, Mumm et Perrier-Jouët ont signé en 2021 un partenariat avec TOWT, une entreprise bretonne qui développe des solutions de transport en cargos à voiles. Ainsi, les premières expéditions de cognacs et champagnes auront lieu début 2024, à destination de New York. De quoi économiser plus de 30g de CO2 par bouteille et réduire les émissions liées au transport de 90%. En France, les camions qui transportent le Lillet roulent au bioéthanol. Chez Danone, les bouteilles plus légères de 22% sont majoritairement expédiées par train.

Didier Bosc, directeur stratégie et valeur ajoutée d’Unigrains, un investisseur majeur de l’agroalimentaire se réjouit de ces avancées. Tout en s’interrogeant : « Entre convictions et réglementation, tous les groupes ont conscience de l’absolue nécessité de s’adapter. Cependant, les transitions ont un coût élevé. Les agriculteurs, les consommateurs, les entreprises ne peuvent pas tout assumer. Qui paye ? »

 

 

Économiser l’eau

Au sein du groupe sucrier européen Cristal Union, Michel Mangion se félicite : « Entre 2010 et 2022 notre groupe a réduit de 60% son prélèvement d’eau en milieu naturel. Soit plus de 5,5 millions de m3 d’eau économisés par an ! Nous participons aussi, sur nos sites industriels, à la valorisation du blé, de la luzerne, de résidus de l’activité viticole et de l’industrie amidonnière. Et à la régénération de certains alcools et solvants industriels usagés, dans une logique d’économie circulaire, détaille le directeur RSE. Notre objectif désormais : être totalement autonome. Donc ne plus utiliser du tout d’eau prélevée dans le milieu naturel dans l’ensemble des sucreries du groupe à horizon 2030 ! »

Constituée à 75% eau, cette matière première qu’est la betterave sucrière est valorisée de bout en bout : sucre extrait puis cristallisé ou transformé en alcool et en bioéthanol, pulpe déshydratée, utilisation de toute l’eau qu’elle contient.

Les petites révolutions de l’agroalimentaire n’ont pas fini de nous étonner, et c’est tant mieux ! ♦

 

Bonus
  • Les grands groupes, mais aussi les PME

Si les groupes mettent de gros moyens dans la réussite de leur transition écologique, les PME ne transigent pas davantage sur leur empreinte carbone. À l’instar des Biscuits Bouvard (2950 collaborateurs sur 7 sites, 440 millions d’euros de CA en 2021). La direction a fait le choix de l’agriculture durable, avec la création d’une filière farine raisonnée et suppression des traitements d’insecticide de stockage. De l’électricité autoproduite (près de 20%) grâce au photovoltaïque. Et de l’optimisation des emballages (pochons et protection en film papier recyclable).