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Des containers aménagés pour les sans-abris

Par Marie Le Marois, le 15 janvier 2024

Journaliste

Le Hameau, Daniel et Rudolph @Marcelle

La chute des températures au cours de l’hiver rend la vie des sans-abris encore plus difficile. À Marseille, l’Armée du Salut propose deux dispositifs innovants conçus avec des containers maritimes. Le premier est Le Hameau, mis en œuvre en 2008 pour 21 personnes seules ou en couple. Le second, Lou Recate, accueille 31 femmes et 15 enfants depuis mi-décembre 2023. Plus qu’un abri, ces modules sont un lieu de répit dédié à la reconstruction personnelle.

L’entrée du Hameau @Marcelle

À l’abri du regard, Le Hameau se cache en surplomb du Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) de la Résidence William Both (bonus). Quelques marches mènent à un chemin bordé d’une haie verdoyante, puis à une placette entourée de onze containers coquets aménagés par la société HomeBlock. Ils forment un endroit à part, chaleureux et discret. Administré par l’Armée du Salut, ce havre de paix accueille 21 personnes, dont deux couples. Joël a le privilège d‘habiter seul. Il est arrivé au Hameau peu après sa création, en 2009. « En dehors des chalets en bois qu’il y avait autrefois, rien n’a changé », confie-t-il tout en caressant Hellia, son fidèle compagnon trouvé à la SPA lorsqu’il y œuvrait comme bénévole.

Grande précarité

Joël est au Hameau depuis sa création @Marcelle

Ici, pas de durée de séjour imposée. Le Hameau est un centre dit ‘’de stabilisation’’ destiné aux « grands marginaux longtemps à la rue », souligne Valérie Galantini, cheffe de service du Hameau et du CHRS. Pour les aider à reprendre pied, deux monitrices-éducatrices, Fatou et Muriel, les accompagnent au quotidien. L’approche est globale : vérifier qu’ils mangent tous les jours, ouvrir leurs droits sociaux, traiter leurs problèmes de santé, refaire les papiers d’identité perdus, etc. « C’est un travail sur mesure », insiste Fatou, tout en mettant la table dans la salle commune pour le déjeuner partagé du jeudi. Aujourd’hui, soupe, gratin de pommes de terre et poulet. Ces denrées proviennent de la Banque Alimentaire et de grandes enseignes comme Carrefour ou Metro. « Il y a également Basil, un traiteur qui nous livre des plats du jour », ajoute Fatou.

Le confort ? « Pouvoir aller aux toilettes » 

Rudolphe partage son logement avec un autre résident @Marcelle

Dehors sous la tonnelle, Rudolphe, fauteuil roulant et mégot au bec, consent à faire visiter son logement. Le n° 3, partagé avec un autre cabossé de la vie. Une kitchenette, deux chambres et une salle de bain. Sommaire, mais considérable pour Armelle, sa voisine du n°9, qui se souvient de la première chose appréciable : « aller aux toilettes, tout simplement ». Puis « pouvoir enfin faire à manger, car j’adore ça ». Enfin, cultiver des plantes. Épine du Christ, asparagus, aloès pourpre, etc. Des merveilles en pots qu’elle bichonne devant la maisonnette habitée avec Bruno, son compagnon.

Le couple s’est rencontré dans la rue, entre les quartiers de La Timone et de La Capelette. La nuit, ils dormaient dans un parc, « sur la gomme des pistes d’athlétisme ». Et s’il pleuvait, au Mac Do. « À droite après les petites marches. On pouvait tenir à deux ».

Une vie de village

Les containers du Hameau ont été aménagés avec une kitchenette, une salle de douche et deux chambres @Marcelle

Ils sont arrivés au Hameau en 2019. « C’est l’association Naïm, où on allait prendre une douche et laver nos vêtements, qui nous en a parlé », raconte cette ancienne commerciale. Elle apprécie cette vie de village, « on peut compter sur les autres. Si je n’ai pas de lait, par exemple, je vais en chercher à côté ». Rien à voir à sa vie d’autrefois : « lorsque j’habitais dans le privé, comme on dit, je ne savais pas qui étaient mes voisins ». La journée, elle tricote – en ce moment cols et bonnets assortis. Ou elle dévore des livres, aussi bien les œuvres de Melissa Da Costa que de Victor Hugo dont elle cite de mémoire le poème ‘’Après la bataille’’. Elle reçoit aussi de temps à autre sa petite-fille qui vient passer l’après-midi, parfois une nuit. Enfin, élue pendant trois ans représentante des résidents, elle est l’interlocutrice de la cheffe de service. Oui, Armelle aime cet endroit. Sauf les rats qui lui grignotent ses plantes. 

♦ La Fondation Abbé Pierre a recensé 330 000 personnes sans-domicile en France dont 22 000 sans-abris, rapport 2023.

Conseil de village

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Armelle et Bruno vivent dans le n°3 @Marcelle

Les rats, c’est le sujet principal du conseil qui s’est déroulé le matin même. Une fois par mois, les résidents se réunissent en effet pour échanger sur « ce qui va, ne va pas, les évacuations bouchées, les petits travaux, les arbres à couper. Bref une vie de copropriété », résume Valerie Galantini dans le bureau qui jouxte la salle commune. Ces réunions sont l’occasion de parler des projets. L’été dernier, par exemple, ils ont été à la base nautique. Prochainement, « avec l’argent récolté de notre vente de Noël – les bonnets d’Armelle, le miel qu’on produit, les dons de plantes -, on a l’idée de faire un repas gastronomique. La bouffe, c’est ce qui les réunit le plus ». 

Alors bien sûr, il y a des disputes, comme dans toute vie collective. Mais « ça veut dire que c’est vivant. Ça veut dire aussi qu’on voit l’autre ». Essentiel pour ces personnes autrefois invisibles.

♦ L’Armée du Salut organise son Loto au profit du Hameau au CAL des Carmes le 10 février à partir de 13 h 30.

Participer à la vie commune 

Rudophe, Muriel et Fatou en face de Joël lors du déjeuner du jeudi dans la salle commune @Marcelle

Chacun participe à la vie du Hameau. Daniel sort les poubelles, Armelle et Bruno cuisinent souvent les jeudis pour tout le monde, Sylvain prépare des desserts, Rudolphe est le pro de la vinaigrette, Nicolae s’occupe du café le matin, Mr Thai met la table et arrose les plantes l’été. « Ce sont des petites responsabilités, mais importantes car elles permettent de s’ancrer dans le collectif. Lorsqu’une nouvelle personne arrive, on lui donne tout doucement des missions », souligne Fatou à table, face à Joël. Préparer le café était dévolu à cet homme au visage fatigué, comme aller chercher le journal La Provence. « Depuis ses problèmes de santé, il est passé aux patates », rigole la jeune femme en regardant l’intéressé qui acquiesce d’un sourire. Comme frais de participation, 80 euros sont demandés par mois aux résidents ayant des ressources. Telles que retraite, allocation aux adultes handicapés (AAH), RSA (Revenu de solidarité active) ou indemnités pour ceux qui suivent une formation Pôle Emploi.

Les monitrices-éducatrices aident également les résidents à sortir de leurs addictions. Joël a ainsi arrêté de boire depuis trois ans. « Grâce à Fatou », confie-t-il. « Surtout grâce à ta volonté », rectifie cette femme bienveillante. Elle ajoute : « On sait que le sevrage prend du temps, mais ce n’est pas insurmontable. Et le groupe vient soutenir. Rudolphe aussi y est parvenu ».

Reconstruire du lien
La place centrale sert aussi de terrain de pétanque aux beaux jours @Marcelle

Participe également aux déjeuners du jeudi Florence Bousquet, psychologue de la Résidence William Both. Comme la cheffe de service ou les monitrices-éducatrices, elle fait un brin de vaisselle et met le couvert. Une approche qui change de la thérapie traditionnelle. « Parler d’un psychologue à des personnes qui viennent de la rue, c’est comme parler de la planète Mars. Ce n’est pas gagné. Ils ne sont pas prêts. Donc ma façon de faire, c’est d’aller vers eux, comme ils sont et où ils sont. Et de nouer des liens. Le lien, c’est le plus important ».

Parfois, certains viennent la voir dans son bureau, dans le CHRS. Ils confient « déjà le traumatisme de vivre dans la rue et aussi de vivre dans un lieu d’accueil, ça peut être compliqué ». Il arrive que des personnes évoquent leur parcours de vie, jalonné de ruptures. « Si elles atterrissent là, c’est que plus aucun réseau ne fonctionne, ni familial, ni amical. Il y a plein de choses à reconstruire, donc on part déjà de là », explique cette experte de la précarité et la santé mentale, qui a travaillé dix ans dans une équipe mobile à la rencontre d’un public désocialisé.

♦ Au moins 630 personnes sont mortes dans la rue en 2022, selon le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR). Rapport ici

« De plus en plus de femmes dans la rue »

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Lou Recate, une trentaine de containers assemblés sur quatre niveaux en face du Hameau. Les résidentes sont arrivées au compte-goutte depuis mi-décembre. Deux résidentes sont encore attendues @Marcelle

Florence Bousquet a la même approche informelle au Lou Recate – refuge en provençal. Ce centre d’hébergement d’urgence (CHU), situé en face du Hameau, a été conçu avec des containers de 9 m2 assemblés sur quatre niveaux. Depuis mi-décembre, il accueille 24 femmes isolées et sept femmes avec enfants (deux maximum). Si le lieu est différent – plus métallique, moins chaleureux -, le public est le même : en très grande vulnérabilité.

Xavier Bosiger, chef de service de Lou Recate, Entr’elles et La Bagagerie – dispositifs de William Booth (bonus), a reçu beaucoup de candidates. « C’est un fait, il y a de plus en plus de femmes dans la rue ». La sélection fut difficile. Il a privilégié les personnes dans la rue depuis très longtemps et en situation de danger. « Il y a eu aussi les critères d’acceptation du projet, certaines ne veulent pas être en groupe », raconte cet ancien pasteur qui porte sa foi dans son travail. La plupart ont des soucis d’addiction et de psychiatrie, « elles ont été détectées par les équipes mobiles de nos partenaires » (bonus). Une équipe de quatre travailleurs sociaux se relaient 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Une famille

Pierre, un ancien du hameau parti en maison de retraite @Marcelle

Ces femmes resteront au Lou Recate jusqu’à ce qu’elles aient la capacité de se réinsérer. Au Hameau, la politique est la même. Et tout l’enjeu reste d’amener petit à petit les bénéficiaires vers l’autonomie.

Les départs restent cependant à la marge. En 2023, deux places se sont libérées. Un résident est en effet décédé et un autre parti en maison de retraite. C’est Pierre. Le jour du reportage, il est venu passer une tête. Quelle fête pour tout le monde ! Bien plus qu’un village, Le Hameau est une famille.♦

*La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article*

Bonus 

[pour les abonnés] – La résidence William Booth – Le fonctionnement de Lou Recate – Les chiffres des sans-abris –

  • La Résidence William Booth. Elle accueille et accompagne quotidiennement près de 230 personnes à travers une multitude de dispositifs dont un CHRS, Le Hameau, deux pensions de famille. Mais aussi le chantier d’insertion ‘’Booth ta cuisine’’ qui emploie une quinzaine de personnes. La Bagagerie de 48 casiers pour les sans-domiciles conçue avec le soutien financier de la Fondation Onet. Un camion-cuisine qui sillonne la ville et permet à des familles de se faire à manger dans les rues de Marseille. Lou Recate est le sixième dispositif solidaire que déploie la Résidence William Booth, dans la continuité du dispositif ENTR’ELLES d’accueil pour les femmes en grande marginalité.
  • Lou Recate, le fonctionnement. À leur arrivée, les résidentes ont signé un règlement : respecter le voisinage, ne pas détériorer le logement, participer financièrement pour celles qui ont des revenus, participer aux tâches – comme le ménage des salles communes. « Le but est de donner un cadre puis de co-construire le projet ensemble », souligne le chef de service. Ces femmes peuvent cuisiner dans leur studio, mais leur état ne le leur permet pas toujours. Des repas chauds cuisinés dans la cuisine d’insertion du CHRS leur sont servis dans les trois containers assemblés en réfectoire. Lou Recate travaille avec une vingtaine de partenaires dont Aube Nouvelle pour les addictions. Financements : 200 000 euros environ par l’État.
  • (Re)lire Entourage crée un réseau social pour les personnes précaires
  • Les SDF, des chiffres. D’après la Fondation Abbé Pierre, il y a un doublement du nombre des SDF depuis 2012 et une augmentation des familles et des femmes. En reprenant les catégories identifiées par l’Insee, 185 000 personnes vivent en centres d’hébergement, 100 000 dans des lieux d’accueil pour demandeurs d’asile, 16 000 dans les bidonvilles. Et 27 000 personnes sans abri (lors du recensement de la population 2016).
    Sont également à comptabiliser les personnes sans abri que certaines municipalités tentent de dénombrer en organisant des « Nuits de la solidarité »: 3600 à Paris, 1600 à Montpellier, 1 000 à Rennes.