Le Liban, frappé par la pauvreté, s’enfonce chaque jour davantage dans une crise humanitaire sur laquelle vient se greffer la menace d’une guerre. À Beyrouth, Hani Tawk, qui a fondé en 2020 ‘’La Cuisine de Marie’’, distribue 1000 repas gratuits par jour aux plus nécessiteux, dont beaucoup d’enfants. Peu importe la religion ou la nationalité : tout le monde est à la même table. Interview de ce prêtre maronite, professeur de philosophie arabe et de sciences politiques.
Quelle est la situation actuelle au Liban ?
« On est au fond du fond, on ne peut pas aller plus loin. Notre monnaie a été dévalorisée de 400% – 1000 dollars déposés sur un compte, par exemple, ne valent plus que 90 dollars. Le SMIC est passé de 1100 à 80 dollars. Notre argent est bloqué à la banque, nos retraits sont plafonnés. Le prix des produits essentiels, dont les médicaments, ne cesse d’augmenter. La classe moyenne libanaise a basculé dans la pauvreté.
À cette crise économique s’ajoute une crise politique. Nous n’avons plus de président depuis un an, notre gouvernement est temporaire. Et notre chef des armées part à la retraite en janvier. Nous sommes dans une situation de chaos ».
♦ L’association Mon Liban d’Azur organise le 18 novembre à Marseille une soirée solidaire au profit de La Cuisine de Marie au restaurant Le République – Marseille pour financer les équipements et matériel de cuisine. Aux fourneaux, Aline Kamakian, Gérald Passedat, Julien Diaz et Sébastien Richard.
La guerre Israël-Hamas a t-elle un impact ?
« Bien sûr qu’elle a un impact car le Liban est enclavé (entre la Syrie et Israël NDLR). Quand il y a des mouvements aux frontières, et c’est le cas en ce moment au sud entre le Hezbollah et Israël, toute la population tremble. Si la guerre se déploie, elle s’étendra sur tout le pays, comme en 2006. Face à cette menace, on est dans une situation d’attente qui paralyse tout : l’économie, le tourisme, etc. »
Qui sont les bénéficiaires de La Cuisine de Marie ?
« Des familles dont de nombreux enfants, des étudiants, des travailleurs étrangers – beaucoup sont Africains -, des réfugiés Syriens, etc. Nous offrons aussi le repas aux volontaires d’ONG, car ils sont au service des autres. Ces organisations ont remplacé l’État pour subvenir aux besoins des Libanais en détresse. Entre 300 et 350 personnes déjeunent dans notre local, certaines quotidiennement. Il y a des gens qui viennent de plus loin, de l’autre bout de Beyrouth. Les autres repas sont livrés par des associations partenaires dans d’autres quartiers : prisonniers, personnes âgées, orphelins… ».
Que servez-vous comme repas ?
« Un grand plat chaud libanais qui change tous les jours, avec de la salade et un fruit : poulet au riz, moujadara (mélange de lentilles et riz), fassoulia (ragout de haricot), etc. On achète les produits principalement sur le marché. Il y a trois fois par semaine de la viande ou du poisson.
Nous avons établi les menus avec une nutritionniste pour que les bénéficiaires reçoivent tous les nutriments nécessaires. L’après-midi, nous recevons les familles pour un accompagnement moral et psychologique ».
Comment est né votre projet ?
« Je soutiens les familles démunies depuis sept ans, depuis la crise. J’ai accéléré mon aide en 2020 quelques jours après la double explosion du 4 août dans le port de Beyrouth. De nombreux habitants avaient tout perdu. Avec ma femme et mes quatre enfants, nous avons cuisiné chez nous des repas chauds que nous avons distribués dans le quartier dévasté de la Karantina à l’est du port. Petit à petit, nous nous sommes installés dans un hangar vide que nous avons aménagé. C’est comme ça qu’est née la Cuisine de Marie. Depuis, nous avons constitué une équipe solide de sept volontaires et bénévoles, dont des Français, et quatre personnes en réinsertion qui souffrent de maladies. Ils préparent un millier de plats entre 7 heures et 13 h 30 ».
Vous ouvrez bientôt le centre ‘’Ensemble pour la vie’’, de quoi s’agit-il ?
«Le centre ‘’Ensemble pour la vie’’ est construit à la place d’une maison détruite par les explosions. Il sera prêt je l’espère pour Noël, car nous devons rendre les clés du hangar. Il rassemblera sur ses 350 m2 La Cuisine de Marie avec de nouveaux équipements et 1500 repas prévus. ‘’La Clinique du 4 août’’, un espace médico-social dédié aux personnes traumatisées par ce qui s’est passé – et il y en a encore beaucoup – et à tous ceux qui ont besoin d’un accompagnement. Ma femme, thérapeute, est la cheffe de projet. L’équipe sera composée de médecins spécialistes et de thérapeutes pour des thérapies familiales, conjugales et individuelles.
Enfin, le troisième espace sera ‘’L’Oasis’’ : un centre d’accueil de jour pour les plus démunis, avec notamment des douches et un coin convivial. C’est en effet essentiel, surtout avec l’hiver qui approche. ».
♦ 3,9 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire : 2,1 millions de Libanais, 1,5 million de réfugiés syriens, 211 000 réfugiés palestiniens, 81 000 migrants. Le pays compte le nombre le plus élevé de réfugiés par habitant au monde. Chiffres 2023
Vous enseignez le ‘’vivre-ensemble’’, fondement du Liban, est-ce toujours possible ?
« Cette tradition avait disparu lors de la guerre civile (1975-1990). Car il y a eu beaucoup de tensions entre les différentes communautés musulmanes et chrétiennes. Mais le dialogue interreligieux et l’entraide ont peu à peu repris. L’identité de notre association en est de même : nous ouvrons notre porte à tous. On ne demande jamais la nationalité, ni le nom de ceux qui viennent. Tout le monde est à la même table, indépendamment de sa confession religieuse ».
Comment financez-vous la Cuisine de Marie ?
« L’Œuvre d’Orient en lien avec la Région Île-de-France, pour La Cuisine de Marie. Et Mon Liban Azur en lien avec la Région Sud, CMA CGM et le Rotary pour la construction et l’aménagement du nouveau centre. Nous avons également deux autres associations donatrices et quelques Libanais.
On a enfin une aide morale et parfois financière de l’église qui nous sert parallèlement de garant par rapport au gouvernement »
Pourquoi ce nom ?
« Ma mère s’appelle Marie, mon père s’appelle Joseph, j’ai été ordonné prêtre à 33 ans. Tout ça est significatif, mais je ne suis pas Jésus ! » ♦
♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la thématique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦
Bonus
[pour les abonnés] – L’association Mon Liban Azur – Les religions au Liban – La gouvernance bloquée –