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« Le bonheur des gens quand on leur apporte l’eau »

Par Nathania Cahen, le 30 octobre 2023

Journaliste

Point d’eau pour les enfants de l’école Meyos, au Cameroun ©SES

L’association humanitaire Solidarité Eau Sud agit à l’international pour l’accès à une eau de qualité et de meilleures conditions de vie et d’hygiène dans de petits villages d’Afrique. L’équipe de techniciens et d’ingénieurs, souvent des retraités engagés, est totalement bénévole.

 

Les projets pris en charge depuis 2004 par cette ONG d’Aix-en-Provence sont très diversifiés : réalisation de forages, construction de puits, réservoirs, ouvrages pour puiser l’eau en rivière, pompage solaire, réseaux de distribution, latrines particulières ou collectives, systèmes d’irrigation… En effet, il s’agit avant tout d’améliorer le quotidien des femmes et des enfants. Car c’est la population la plus dépendante et la plus vulnérable, qu’il s’agisse de santé, de salubrité ou du transport de l’eau sur des trajets souvent éprouvants.

« Je n’ai jamais vu de gens aussi heureux que quand l’eau potable arrive dans leur village », confie André Roubaud, ancien ingénieur dans la recherche et la sûreté nucléaire et responsable du projet Meyos.

 

Pas de réalisations sans partage de compétences

L’intervention de Solidarité Eau Sud (SES) ne se résume pourtant pas à ces aménagements. La philosophie de cette association comprend un volet accompagnement et formation. Il est en effet indispensable d’associer les populations locales à la construction et la mise en place des installations. Ne serait-ce que pour s’assurer de leur maintenance et de leur durabilité dans le temps.

« Notre obsession, c’est la pérennité de nos actions et nos investissements », confirme Jacques Arbez, président de l’association depuis 2019, ancien directeur du département environnement du groupe Ortec, dont il a par le passé supervisé des chantiers de dépollution en Afrique. « Parfois, c’est aussi évident que de mettre régulièrement de la javel dans les canalisations ». « Nous mettons toujours en avant le partenariat avec les communautés locales. Si nous avons la compétence, eux ont l’expérience », insiste Michel Ducrocq, ancien président de l’association, qui a mené sa carrière au Maroc dans le développement et l’irrigation pour le compte de l’INRAE. Solidarité Eau Sud qui a acquis son indépendance en 2013 (ce fut d’abord une branche d’Hydraulique Sans Frontières) regroupe actuellement une soixantaine d’adhérents dont 25, très engagés, agissent comme chefs de projet.

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Échange entre le représentant de SES (SEEPAT, notre assistant à Moe), le chef du village de Zezouma Koro, les représentants de l’AUE (Association des Utilisateurs de l’Eau) et différentes familles ©SES

 

Quelque 28 projets aboutis

Depuis treize ans, près de 30 projets ont été menés à terme, impactant quelque 30 000 personnes. Au Cameroun, au Maroc, au Burkina Faso, Kenya, Tanzanie, Bénin, Angola, Mali… Chacun est unique, avec une organisation, une topologie, des attentes singulières. À l’image du bourg de Sangoulema, dans la commune de Bama, au Burkina Faso. Là, en 2017 un projet a porté sur la réhabilitation de plusieurs puits, d’un système de potabilisation de l’eau pour le centre de santé, la création de plus de 100 latrines (pour les écoles et les familles), de lavabos et de douches. Avec, en parallèle, la sensibilisation des villageois concernés, la formation d’une équipe de gestion.

Le budget total des travaux s’est monté à 153 000 euros, financé par différents bailleurs de fonds (Ville de Paris, Métropole du Grand Lyon, Fondation Suez, Agence des Micro-Projets) et plus de 10% apportés par localement par des mairies et des villageois.

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Forage à Sangoulema (Burkina Faso) ©SES

Des subventions, des fonds privés, des dons…

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Le forage à 80m équipé d’une Pompe à Motricité Humaine (PMH) au village de Zezouma Koro au Burkina Faso évite aux femmes entre 2 à 4km par jour pour accéder à l’eau ©SES

Autre exemple plus récent à Madagascar. Dans le petit village de Talakimaso, moins de 30% des 950 habitants bénéficient de latrines décentes (lire données en bonus). Il s’agit de mettre en place l’alimentation en eau potable d’une école de 150 enfants (puis l’étendre au village dans un second temps) ainsi qu’un système d’irrigation de 3000 m2. L’appel d’offres a pris fin, le choix des fournisseurs a été arrêté tout comme le planning. Puis une grande assemblée des habitants a eu lieu pour mobiliser les volontaires qui vont participer aux travaux. Le projet est financé pour 50 000 euros par la Régie des eaux du pays d’Aix, la Société du Canal de Provence et la mairie d’Aix. S’y ajoutent aussi des fonds privés, des dons et une participation de l’association LMA qui gère cette école. Les premiers coups de pioche ont été donnés début octobre.

Au Cameroun, le projet Meyos porte, lui, sur la réalisation de 5 forages pour un débit de 15 litres d’eau/jour/habitant et 16 latrines. Sur les 150 000 euros du budget, 90 000 ont déjà été collectés auprès de la Métropole Aix-Marseille et l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Le démarchage auprès d’autres financeurs suit son cours.

De fait, la plupart de ces bailleurs de fonds sont de précieux habitués : des institutions, des entreprises avec les groupes Suez et Saur, la fondation bruxelloise Sense… ou encore la Fondation de France.

 

♦ Pour adhérer ou faire un don à l’association et soutenir les missions exploratoire de Solidarité Eau Sud, c’est ici.

Un enthousiasme que n’entament pas les échecs

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André Roubaud, Michel Ducrocq, Jacques Arbez et Jean-Michel Vola ©Marcelle

Le noyau dur de Solidarité Eau Sud impressionne par sa motivation. Jacques Arbez adore monter les projets, « cela prend du temps certes, mais c’est intéressant puis gratifiant. Et j’ai toujours beaucoup de plaisir à rencontrer les villageois en Afrique ». Il se souvient de l’installation d’un bloc santé à Bamako, « tellement de joie et d’émotion d’adoucir la vie des autres, de voir les bonheur des femmes pour qui ces progrès sont essentiels ». Michel Ducrocq se remémore avec émotion d’un séjour dans un village isolé du Maroc dans la vallée d’Ourika, seul avec ses habitants, à 2000 mères d’altitude ; « sans compter le plaisir de travailler avec toute l’équipe et toutes les rencontres que suppose tout nouveau projet ». « Les relations humaines sont très fortes, cette intelligence partagée à l’autre bout du monde est stimulante », confirme André Roubaud.

Il y a des échecs, des déconvenues dont l’association tire les leçons. Ainsi, un projet au Bénin a tourné court quand des ministères de cet État ont réclamé la gestion du dossier. « Tous les financements avaient été obtenus. Mais une de nos conditions est de rester maître d’ouvrage délégué, afin de pouvoir payer directement les entreprises et ouvriers. Et ainsi être certains que 100% des fonds collectés sont affectés au projet », raconte Jean-Michel Vola. Le vice-président de SES, ancien patron d’une entreprise informatique, glisse en aparté : « Je suis le moins compétent, techniquement parlant, mais sensibilisé par une épouse qui a travaillé 25 ans pour la Société du Canal de Provence ».

 

♦ Les récents projets soutenus par Solidarité Eau Sud. Cameroun, Burkina Faso, Madagascar, Comores : les voici, ils figurent dans la dernière newsletter de l’association. Abonnez-vous si le sujet vous intéresse !

 

Une aide pour qui ?

Certaines années, l’association a pu recevoir jusqu’à 80 demandes d’assistance via son site internet. Certaines très sérieuses, d’autres moins abouties. D’où la mise en place de critères assez sévères, avec un formulaire de 30 questions permettant d’en mesurer la faisabilité. Auxquelles s’ajoutent la motivation : il est en effet demandé à la commune concernée une participation « symbolique » de 3 à 5% du projet. Mais aussi l’implication de bénévoles dans les futurs travaux : pour creuser les tranchées, transporter les matériaux, installer les latrines, etc.

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Présentation du projet Ecole aux habitants du village de Talakimaso, à Madagascar ©SES

En moyenne, un dossier franchit chaque mois cette barrière sélective. Un chef de projet est alors nommé pour approfondir la demande : clarifier, étudier en détail les informations hydrologiques, forages existants, techniques utilisées. Il présente ensuite ces informations aux autres membres de l’association pour décider si une mission exploratoire est mise en place. Si les compétences permettent de mener à bien le projet. Un voyage à Madagascar au printemps. Un autre au Cameroun ce mois-ci pour Jacques Arbez et Valentine Busquet, « la caution jeune et féminine du groupe » qui travaille dans un bureau d’études hydrologiques à Montpellier.

Ces missions exploratoires sont financées par l’association, voire les fonds propres de ses membres. Sur place, longtemps l’interlocuteur principal a été le sachant du village, aujourd’hui ce sont plutôt des associations africaines de développement. Au Burkina Faso, c’est par exemple le SEEPAT, une association de bénévoles qui œuvre pour le développement durable et l’environnement.

À l’arrivée, deux à trois projets sont retenus chaque année. « Pas davantage, car chacun demande beaucoup de temps. Celui de Madagascar par exemple s’est étalé sur quatre années ! », commente Jacques Arbez. Et puis la recherche de fonds est tout sauf une promenade de santé… ♦

♦ Le République, restaurant pour tous, parraine la rubrique SOLIDARITÉ et vous offre la lecture de cet article ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] Les chiffres de la consommation d’eau – La loi Oudin-Santini –


La consommation d’eau et ses disparités. L’OMS recommande « un minimum vital de 20 litres d’eau par jour et par personne pour répondre aux besoins fondamentaux d’hydratation et d’hygiène ». Pour vivre décemment : 50 litres d’eau par jour et par personne. Pour un réel confort : à partir de 100 litres par personne et par jour. Les pays occidentaux sont bien au-delà !

Actuellement, on estime toujours qu’entre 2 et 4 milliards de personnes dans le monde n’ont pas un accès satisfaisant à l’eau potable. Et dans certains pays, moins de 50% de la population a accès à l’eau potable. De surcroît, souvent de façon discontinue : eau disponible qu’à certaines heures, possiblement coupée pendant plusieurs jours… C’est le cas de l’Afghanistan, de l’Angola, de l’Éthiopie, de Madagascar, de la Mauritanie, du Niger, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, de la République démocratique du Congo, de la Somalie, du Tchad. Ainsi dans beaucoup de villes d’Afrique, l’utilisation quotidienne reste inférieure à 20 litres d’eau par personne.

  • Canada, Etats-Unis, Japon, Australie, Suisse : supérieur à 250 litres / personne / jour
  • Finlande, Italie, Espagne, Portugal, Corée du sud, Grèce, Suède : de 160 à 250 litres / personne / jour
  • Danemark, Royaume-Uni, Autriche, France, Luxembourg, Irlande : de 130 à 160 litres / personne / jour
  • Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Hongrie, Bulgarie, Pologne, République Tchèque : inférieur à 130 litres / personne / jour
  • Asie et Amérique Latine : de 50 à 100 litres / personne / jour
  • Afrique Sub-Saharienne : de 10 à 20 litres / personne / jour

Sources Eurostat + Ifen + Conseil mondial de l’eau. D’autres infos sur le site du Centre de l’information sur l’eau.

 

♦ Lire aussi : « Organiser un grand débat démocratique en France sur les usages de l’eau »

 

  • La loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement. Dite loi Oudin-Santini, elle permet aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux syndicats mixtes chargés des services publics d’eau potable et d’assainissement ainsi qu’aux agences de l’eau d’affecter jusqu’à 1% de leur budget, financé par le prix de l’eau, à des actions de solidarité internationale et des actions d’aide d’urgence dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.
    La loi Oudin-Santini promeut ainsi la solidarité entre le Nord et le Sud par une implication directe des consommateurs dans des projets d’aide au développement dans le domaine de l’eau et de l’assainissement.