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De l’argile crue pour construire des immeubles

Par Marie Le Marois, le 10 novembre 2023

Journaliste

Mur en parpaings Materrup ©Materrup®
Le ciment est un des matériaux les plus consommés et, en même temps, un des plus gros émetteurs de CO2. Un ancien ingénieur de Lafarge a donc mis au point un ciment à base d’argile crue, locale et recyclée, doté des mêmes performances que le conventionnel : Materrup. Situé à SaintGeours-de-Marenne, dans les Landes, il révolutionne le monde du bâtiment depuis 2022. Cinq autres sites de production verront le jour en France dès 2024.

 

L’usine Materrup  surgit à l’extrémité du parc d’activités Atlantisud, à la lisière de la forêt des Landes. Sur un présentoir en bois trônent, à l’entrée à gauche, des morceaux d’argile crue excavés. À droite, une fine poudre beige composée à 70% de cette argile. C’est le ciment Materrup dont le nom de code est MCC1 (Clay Cement 1 ou ciment à base d’argile 1).

Il n’a nécessité aucune cuisson, contrairement à son homologue conventionnel dont la composition, mise au point en 1824 (bonus), est un mélange de calcaire et d’argile qui cuit à haute température, jusqu’à 1450°C, plus de 12 heures dans un four rotatif. D’autres composants sont ensuite ajoutés à cette farine, appelée clinker, pour donner du ciment.

 

‘’Le ciment, nécessaire à la fabrication du béton, est le deuxième produit le plus consommé au monde après l’eau. La France compte 27 sites de production, historiquement situés à proximité des carrières de calcaire’’ in Réseau Action Climat.

Le ciment, un des matériaux les plus polluants 

Materrup Dirigeants
Dirigeants Materrup : Mathieu et Charles Neuville, Julie Neuville et Manuel Mercé. ©Materrup®

Si le ciment est omniprésent, il est également très polluant. Sa fabrication génère jusqu’à 7% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale – bien plus que l’ensemble des vols en avion. « C’est l’industrie la plus émissive », commente Julie Neuville, une des quatre associés de l’entreprise, devant le présentoir. Les origines de cette pollution sont les combustibles fossiles nécessaires à la phase de cuisson, le carbone libéré du calcaire lors de sa calcination et « le relargage du CO2 dans l’air », précise la directrice marketing et RSE.

Mathieu Neuville, cofondateur en 2018 de Materrup avec son frère Charles (bonus), connaît bien le problème. Ce Docteur en chimie des matériaux a travaillé chez LafargeHolcim et Total. Estimant que la transition de leur modèle ne cheminait pas assez vite et pas assez fort face à l’urgence climatique, il a décidé d’agir à la source. Et de mettre au point un ciment innovant. Il s’est appuyé sur l’argile, dont la qualité est d’être abondante et à disposition. « Cette matière se trouve sur l’ensemble de la planète », développe Julie Neuville. Et, bien sûr, en France où 80% sont exploitables pour la start-up.

 

Local, recyclé et décarboné

Edilians
Edilians et Materrup symbolisent leur partenariat dans la carrière du fabricant de tuiles @Materrup

La jeune entreprise industrielle, lauréate notamment de la French Tech 2030 (bonus), n’a pas cherché très loin pour trouver l’argile. Elle provient des terres landaises et, encore mieux, de déchets. En effet, Materrup n’extrait pas cette ressource, mais récupère la matière impropre d’un fabriquant de tuiles, Edilians, dont la carrière se situe à 18 kilomètres. Materrup adjoint à cette ressource 30% de composants dans sa cimenterie dont la particularité est de ne posséder ni cheminée ni four. « Nous activons à froid cette argile crue avec d’autres composants », explique Charles Neuville, directeur administratif et financier.

L’électricité ne sert donc uniquement qu’au fonctionnement de son usine. Et 25% de ses besoins sont couverts par des panneaux photovoltaïques installés sur le toit. Résultat : « Notre empreinte carbone est de 350 kg de CO2 par tonne produite, moitié moins qu’un ciment conventionnel », certifie Julie Neuville, passionnée par ce sujet.

 

♦ Une tonne de ciment engendre en France 600 kg de C02 (la moyenne mondiale est 1000 kg)

 

Mêmes qualités que le ciment conventionnel

Etapes de transformation
Argile brute + composants ajoutés = ciment Materrup (3ème en partant de la gauche) + sable recyclé + eau + granulats = béton (à droite) @Marcelle

Le ciment MCC1 a les mêmes propriétés que le ciment conventionnel. Il reste un liant sous la forme d’une poudre qui, mélangée avec de l’eau, des graviers et du sable, forme du béton. Rien ne change pour son utilisateur. « Notre ciment est substituable aux produits traditionnels », résume Julie Neuville. Le patron de Duhalde BTP, fabricant de béton et constructeur, le confirme au téléphone : « On travaille avec le même matériel (toupie à béton, moulages, etc.), le même temps et la même mise en œuvre ».

Le béton issu de ce ciment possède également les mêmes applications (béton extrudé, béton structurel, béton drainant…) et performances : « Aucun problème avec les résistances mécaniques », étaye Mattin Duhalde, directeur général délégué. Il supporte en effet chaleur, sel, humidité, gel, dégel, etc. Tests effectués dans le laboratoire R&D de Materrup. 

 

  • (Re)lire Grâce aux Faiseurs de Terre, les sols bétonnés redeviennent fertiles

 

80% des usages

Dalle Soustons
Dalle avec le ciment MCC1 à Soustons ©Materrup®

Dualde BTP exploite ce ciment depuis 2022 pour la construction et l’aménagement urbain. Le dernier projet réalisé est la dalle d’une place publique à Soustons (1000 m2) et une dalle chez un particulier qui rénovait sa maison. La société, qui utilise également des ciments conventionnels – « pour répondre à tous les appels d’offre » – a déjà appliqué Materrup pour des fondations de bâtiments. Mais pas encore pour les voiles (murs de contreventement). Les essais sont cependant concluants.

Ce ciment propre couvre ainsi 80% des usages du marché. « Nous ne faisons pas d’immeubles de 60 étages, ni de viaduc aujourd’hui », stipule Charles Neuville. Et d’ajouter : « Demain peut-être ! ». Cette innovation a nécessité quatre ans pour être certifiée. L’agrément du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) obtenu en juin 2022 a récompensé les efforts et la patience de l’équipe qui compte seulement 15 personnes. Les clients ? Constructeurs, industriels, architectes, promoteurs, collectivités territoriales, artisans, mais aussi particuliers. Il a signé des partenariats, par exemple, avec le Groupe Bernardet pour de l’aménagement urbain et Perrin pour produire des éléments bétons préfabriqués (bonus). 

 

Lutte contre les îlots de chaleur

Chargement de ciment
Chargement de ciment Materrup pour livraison ©Materrup®

« Le gros de la vente se déroule en camions-bananes, comme les cimentiers conventionnels. Mais nous commercialisons également des big bag d’une tonne, pour les artisans par exemple », ajoute Charles Neuville. Ce quadra assure que le prix (sans vouloir l’indiquer) n’est pas supérieur au ciment conventionnel car « on embarque deux fois moins d’énergie dans notre ciment ».

Autre avantage, sa couleur ocre. Plus agréable pour les yeux, mais aussi le confort grâce à son Albedo. En effet, par rapport au noir, le clair emmagasine moins la chaleur la journée et donc en rejette moins la nuit. Ainsi, les pistes cyclables sur lesquelles travaille en ce moment l’équipe participeront à la lutte contre les îlots de chaleur urbains (ICU). 

 

Imparfait, mais révolutionnaire

cimenterie
La cimenterie, construite en 2022, ne possède ni four ni cheminée ©Materrup®

La formule et le processus de fabrication, protégés par 35 brevets, sont tenus secrets. Sait-on tout juste que les 30% d’autres composants sont issus de « l’industrie minérale traditionnelle » qui génère du CO2. « Notre solution n’est pas parfaite. Mais on ne fait pas de la magie si on veut concevoir le même produit à la fin », insiste Julie Neuville. Et d’ajouter : « Les objectifs de l’industrie cimentière sont de parvenir à moins de 40% de CO2 en moyenne en 2030, là où nous proposons déjà moins de 50% ». Son mari, Charles Neuville, complète : « Notre ciment est déjà la clé : il permet de massifier et sans transfert d’impact ». Il entend par là que cette solution ne déplace pas le problème, contrairement aux batteries des voitures électriques. 

La start-up, dont l’avantage est de réunir sur le même site usine et siège social, travaille sur d’autres formules encore moins carbonées. Il y aura donc des MCC2, 3, etc. Elle projette par ailleurs un modèle industriel encore plus vertueux pour ses futures usines, avec notamment une énergie 100% renouvelable. 

 

Une dizaine de sites prévus

De l’argile crue pour construire des immeubles 4
Application béton balayé Materrup ©Materrup®

L’ambition des quatre associés est en effet de se déployer en France et en Europe – « l’UE qui nous accompagne veut que Materrup duplique sa solution », confie Julie Neuville. L’idée est précise : installer un peu partout de petites unités de production qui utiliseront l’argile locale. Peu importe si les argiles sont de familles différentes. « Notre technologie n’est pas dépendante d’une famille », indique Charles Neuville. Par conséquent, Materrup produira des ciments de couleurs différentes, teintés naturellement par les argiles locales.

La start-up, dont la force est de s’appuyer sur nombreux partenaires, co-construira ses cinq prochaines usines en France avec le cimentier Vicat. « Car tout seul, on ne va pas assez vite pour lutter contre l’urgence climatique », conclut la directrice RSE. L’usine, construite en 2022, a une capacité annuelle de 60 000 tonnes de ciment, « notre objectif est de multiplier ce chiffre par cinq ». Le premier site de production verra le jour en 2024 en Occitanie, à… Carbonne. ♦

* Le Groupe Constructa parraine la rubrique « Aménagement » et partage avec vous la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] – Les associés de Materrup – 200 ans d’histoire du ciment – le Béton Prêt à l’Emploi – Des bétons aux compositions diverses – Levées de fonds et subventions –

  • Quatre associés. Mathieu Neuville, le président et fondateur de Materrup, s’est lancé dans l’aventure avec son frère Charles, spécialiste du financement public. Julie Neuville, 20 ans d’expérience dans la fonction publique avec une spécialisation dans l’innovation territoriale, les a suivis. Ainsi que Manuel Mercé, lui aussi ancien de la section R&D de chez Total.

 

  • Le ciment a 200 ans En 1824, le Britannique Joseph Aspdin dépose un brevet pour un ciment qu’il appelle « ciment Portland ». Le nom est dû à la similarité qu’il présente avec la pierre de Portland. Le brevet prévoit qu’un mélange de poussière d’argile et de calcaire est aggloméré par l’eau et la chaleur jusqu’à évacuation de son eau. Le résultat est réduit en poudre et calciné dans un four à calcination (plus d’infos ici).

 

  • Le BPE. Avec ses partenaires, Materrup a conçu du Béton Prêt à l’Emploi. Il s’agit de dalles, parpaings, mobiliers urbains, glissières de sécurité. Mais aussi gros blocs Lego « qui servent par exemple à sécuriser un événement. Ou à former un mur de soutènement pour retenir une digue », étaye Julie Neuville. Outre le fait d’être conçu avec du ciment MCC1, ce béton BPE contient du sable recyclé Unelo. « Au lieu d’en extraire, on prend celui issu du dragage des lacs et des rivières ».

 

  • (Re)lire Une appli pour récupérer (gratuitement) les déchets des chantiers

 

  • Financements. Materrup a effectué en 2020 une levée de fonds de 3 millions d’euros pour bâtir son usine pilote à Saint-Geours-de-Maremne (Landes). Cet investissement de 8 millions d’euros, réalisé à 80% sur ses fonds propres, a permis de mettre en route cette unité.

Par ailleurs, la société figure parmi les 75 lauréats sélectionnés par l’European Innovation Council de l’Union européenne. cette distinction assure une participation de 500 000 euros minimum et une subvention allant jusqu’à 2,5 millions d’euros.

En juillet 2023, la CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) a choisi Materrup comme partenaire stratégique et l’accompagnera sur la durée.