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Des « climatonautes » pour explorer notre adaptabilité aux extrêmes

Par Paul Molga, le 16 février 2023

Journaliste

Toute l'équipe de la mission au départ. Apres la Guyane Francaise, en décembre, ils s’envoleront bientôt pour la Laponie finlandaise puis le désert saoudien. © Lucas Santucci-Human Adaptation Institute

L’espèce humaine pourra-t-elle résister au changement climatique ? À Marseille, le Human Adaptation Institute se penche sur la question en explorant les facultés du corps à supporter les milieux les plus hostiles. Avec des scientifiques et des batteries de tests, son fondateur, l’explorateur Christian Clot, observe sur le terrain comment l’organisme de volontaires réagit aux conditions extrêmes.

 

Des « climatonautes » pour explorer notre adaptabilité aux extrêmesD’ici quelques jours, dix hommes et dix femmes de 25 à 62 ans, sélectionnés parmi un millier de candidats, seront appelés à vivre une expérience ultime dans les milieux les plus extrêmes du globe. Ils partiront affronter le froid sec de Laponie pour 40 jours de traversée. Joaillier, ingénieur, psychologue, agent de sécurité… aucun n’est professionnel de la survie. Les scientifiques du département des Neurosciences Cognitives de l’École Normale Supérieure et de quinze autres organismes de recherche européens vont les suivre. Pour comprendre une chose : comment l’espèce humaine s’adaptera-t-elle au changement climatique et à l’environnement de demain ?

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Christian Clot © DR

À la tête de ce projet baptisé Deep Climate, Christian Clot explore ainsi depuis deux décennies les lieux les plus inhospitaliers en étudiant les interactions entre l’homme et les milieux.

D’août 2016 à février 2017, ce franco-suisse est parti seul, sans téléphone ni balise de détresse, braver plusieurs territoires extrêmes pendant les pires saisons. Il a ainsi traversé le désert du Dashy-e Lut sous une température de 70°C. Sillonné les canaux marins de Patagonie dans les tempêtes. Plongé dans l’enfer vert de la forêt amazonienne. Ou encore arpenté les monts russes de Verkhoïansk.

 

Des ressources insoupçonnées

Des « climatonautes » pour explorer notre capacité d’adaptation aux extrêmes 3Comment se dépasser dans les moments difficiles ? Comment trouver la motivation de poursuivre alors que tout semble perdu ? Quelles sont les clés qui nous permettent d’aller chercher en nous des ressources insoupçonnées ? Cette mission « Adaptation », dont il a publié le récit (Au cœur des extrêmes, éditions Robert Laffont), a déjà fourni quelques réponses. « On a mesuré une incroyable plasticité cérébrale, explique-t-il. En seulement 30 jours, comme le prouvent les IRM, les zones pariétales, les zones émotionnelles et les zones de la mémoire ont été impactées ».

En envoyant sur le terrain les vingt « climatonautes » sélectionnés par son Human Adaptation Institute, basé à Marseille, l’aventurier poursuit donc sa quête. Il veut maintenant comprendre quels mécanismes nés de la collaboration et des interactions sociales entrent en jeu dans l’adaptation au changement. « Déchiffrer ces processus sera essentiel pour anticiper les conditions dans lesquelles l’homme pourra surmonter les grands bouleversements écologiques, climatiques, économiques, démographiques et géopolitiques qui se profilent pour les décennies à venir », est persuadé Christian Clot.

 

Protocole scientifique

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Protocole scientifique : mesure de l’activité cérébral via électro-encéphalogramme en réaction à des menaces environnementales © Lucas Santucci-Human Adaptation Institute

En décembre, la petite équipée était en Guyane. Là, elle devait se soumettre au quotidien à une série de questionnaires et protocoles scientifiques : prise de sang, enregistrement des constantes, niveau d’activité, sommeil… Des IRM ont été réalisées avant et après l’expédition pour débusquer les changements opérés au niveau cérébral. Les interactions ont été également scrutées grâce à un boîtier, mis au point par le Massachusetts Institute of Technology, qui permet de tracer la cartographie sociale des échanges pendant l’aventure. Qui a rencontré qui, combien de fois, combien de temps… ? « L’adaptation n’est possible que si on accepte la nouvelle situation. L’intensité des interactions sociales est un facteur-clé », explique Christian Clot.

Quelques endroits improbables où s’est installé l’homme donnent un aperçu de sa capacité à se confronter à des environnements extrêmes. C’est par exemple le désert éthiopien du Danakil, région la plus stérile et la plus chaude de la planète (35°C en moyenne, souvent plus de 50°C) occupée par les Afars. La lugubre ville russe de Norilsk, 175 000 habitants, une température moyenne annuelle de -10°C avec 130 jours de tempêtes de neige et une nuit absolue pendant deux mois. Ou encore la péruvienne La Rinconada, 60 000 âmes attirées par les filons d’or culminant à plus de 5100 mètres au-dessus du niveau de la mer.

 

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Dégradation corporelle

À cette altitude, avec la baisse de pression atmosphérique, le corps subit de sérieuses contraintes. En effet, la teneur de l’oxygène dans le sang se réduit alors significativement. Passé 3500 mètres, la pression partielle de l’oxygène dans l’air n’est en effet plus suffisante pour saturer l’hémoglobine. L’organisme compense en fabriquant plus de globules rouges et en accélérant le rythme du cœur et de la respiration pour transporter le carburant nécessaire aux organes. Mais ce faisant, le sang s’épaissit et devient visqueux. Ce mal chronique des montagnes connu comme la maladie de Monge augmente les risques d’accident cardiovasculaires et induit céphalées, asthénie et nausée.

Environ 15 millions d’êtres humains sont établis de façon permanente au-dessus de cette limite. Principalement sur les hauts plateaux andins et en Asie Centrale. Mais une seule de ces populations, les Tibétains qui vivent à plus de 4000 mètres d’altitude dans un environnement plus pauvre en oxygène de 40%, présente un taux d’hématocrite (le volume occupé par les globules rouges dans le sang) similaire à celui des populations vivant au niveau de la mer. 1% seulement souffre de la maladie de Monge. Des chercheurs de l’université de l’Utah ont découvert pourquoi en identifiant la mutation, apparue il y a 8000 ans, d’une base de l’ADN chez près de 90% des Tibétains.

 

Ingénierie de l’extrême

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L’arche de Tchernobyl est la plus grande structure terrestre mobile jamais construite avec une portée de 257 mètres, une largeur de 162 mètres, une hauteur de 108 mètres et un poids total de 36 000 tonnes équipée © Vinci

Si les milieux extrêmes sont des accélérateurs du changement, la technique peut également venir au secours de l’homme pour coloniser des espaces impossibles. Des groupes industriels s’intéressent au sujet. Comme Vinci qui s’interroge sur la construction des villes du futur, y compris les plus extrêmes. « L’ingénierie peut tout », assure Laurent Boutillon, directeur scientifique chez Vinci Construction Grands Projets.

La preuve : les travaux de cette branche du groupe consacrée aux programmes les plus difficiles, pour confiner le sarcophage initial du réacteur accidenté de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 2016. « Nous avons réalisé la plus grande structure mobile terrestre dans un environnement totalement hostile à l’homme », résume l’ingénieur. Pas moins de 257 mètres de portée, 108 mètres de haut, 162 de long, un total de 36 000 tonnes ajusté au centimètre pour coiffer le bâtiment contaminé et empêcher la dispersion du Césium 137 résiduel en cas de catastrophe naturelle. « Construire en milieu extrême, c’est réaliser à chaque fois un prototype engageant les connaissances en ingénierie les plus avancées », explique Laurent Boutillon.

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La station britannique Alley VI ©JamesMorris

C’est dans les pôles que les architectes poussent au mieux les limites du genre. La station britannique Alley VI illustre ce modèle d’adaptation : conçue comme une caravane du désert, elle se compose de huit modules connectés, surélevés grâce à des pieds rétractables pour éviter l’accumulation excessive de neige qui a broyé les stations précédentes. Surtout, elle est montée sur skis pour permettre son déplacement. En effet, la banquise dérive de 400 mètres chaque année vers la mer et finit par se fragmenter. Heureuse anticipation : il y a peu, une énorme faille est apparue près de la station qui a pu se mettre à l’abri, 23km plus loin. ♦

 

Bonus 

Terre de records

-93,2°C : la température la plus basse relevée sur la planète le 10 août 2010 dans une dépression de terrain situé sur le Plateau de l’est de l’Antarctique. Le lieu habité le plus froid se situe dans le nord-est de la Sibérie où le mercure est tombé à -67,8°C à Oimekon en 1933.

+81°C : la température ressentie maximale relevée sur Terre le 6 juillet 2003 à Dhahran en Arabie Saoudite. La température réelle était de 42°C, mais avec une humidité relative de 95%. La température sèche maximale a été atteinte en 1913 dans la vallée de la Mort aux États-Unis avec 56,7°C.

130°C : l’amplitude thermique maximale relevée le même jour sur notre planète, le 23 mai 2015, entre le Pakistan (50°C) et Vostok (-80°C)

408 km/h : la vitesse maximale d’une rafale de vent (hors tornade) relevé pendant le passage du cyclone Olivia le 10 avril 1996 sur l’île de Barrow en Australie.

15% : les peuplements d’altitude dans le monde. Ce pourcentage a doublé depuis 1945, pour concerner près de 800 millions d’individus. La densité globale en montagne est de 20 habitants/km2, deux fois moins que la moyenne mondiale. Un quart de la surface des terres émergées est occupé par les montagnes.