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Des espaces santé hospitalo-universitaires dans les quartiers nord de Marseille

Par Nathania Cahen, le 23 janvier 2024

Journaliste

Crédit Photo © AP-HM – Christophe Asso
Il existe aujourd’hui en France quatre centres de santé directement rattachés à un CHU. Ils se trouvent à Marseille, dans ses cités des quartiers nord, et à Aubagne. Comme dans un hôpital, y travaillent des médecins, des internes, externes, des infirmières, élèves infirmières… Un antidote efficace aux inégalités de santé.

Premier du genre, l’espace santé des Aygalades. Ouvert en 2015, il est rattaché en 2022 à l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM). 290m2 en rez-de-chaussée d’un bâtiment de logements sociaux, dans lesquels sont répartis une dizaine de bureaux. Un espace impeccable, intégré au quartier, au plus près de la population de cette cité du 15e arrondissement, qui compte près de 600 logements.

« C’est un territoire pauvre en médecine générale. Il y a eu quatre cabinets de médecins généralistes, tous sont partis, dépeint Olivier Gauché, le coordinateur du centre. Or on sait que les déterminants de santé y sont très mauvais : 51% des patients ont la CSS (complémentaire santé solidaire qui a remplacé la CMU-Ndlr), l’offre de transports est faible, le logement précaire… L’état de santé global est médiocre, avec notamment des problèmes respiratoires importants, en partie liés à l’environnement ».

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Crédit Photo © AP-HM – Christophe Asso

La force d’une équipe pluridisciplinaire

Les consultations sont assurées par trois généralistes (un quatrième devrait les rejoindre ce trimestre), une sage-femme. S’y adjoignent des spécialistes – pneumo-allergologue, endocrinologue, neuropédiatre et une dermatologue en télé-expertise. Ainsi qu’une infirmière, une psychologue et une médiatrice en santé (bonus). Avec la possibilité d’un échange en anglais, en arabe ou en comorien.

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Olivier Gauché, coordinateur de l’Espace Santé des Aygalades ©Marcelle

« C’est important cette équipe pluridisciplinaire, ce tissu de soins. Notamment pour créer des vocations, inciter les jeunes médecins à venir travailler dans les quartiers nord, pointe Olivier Gauché. Du reste, les stagiaires sont ravis car ici les conditions de travail sont agréables et la médecine est intéressante ». Un autre intérêt avec de tels centres est qu’ils contribuent à désengorger les urgences des hôpitaux. Le régulateur du 15 peut d’ailleurs leur adresser des patients s’il le juge pertinent.

« Ailleurs il faut rester quatre heures assis sur sa chaise » 

Mais les plus heureux sont indéniablement les patients. Dans une salle d’attente pimpante, les patients discutent, soulignent la propreté des lieux, l’efficacité du secrétariat ou encore les qualités humaines des médecins. Comme Danielle, 79 ans, qui habite l’immeuble voisin. « Ailleurs il faut rester quatre heures assis sur sa chaise ! Ici c’est agréable, l’équipe est compétente, à l’écoute ».

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Une salle d’attente accueillante ©Marcelle

Myriam, 35 ans, qui surveille ses deux bambins turbulents approuve : « J’accompagne ma belle-mère qui a rendez-vous, mais moi aussi je consulte ici, j’ai désormais un médecin traitant et une pédiatre ! Avant j’allais à la PMI, ça n’avait rien à voir. Là c’est mille fois plus convivial, humain, et propre. Et il y a un bon suivi et beaucoup de médecins sont des femmes ». C’est la puéricultrice de la maternité de l’hôpital nord qui lui a parlé du centre après son dernier accouchement.

La dernière enquête de satisfaction a traduit l’enthousiasme des patients. Parmi les rares points faibles… des assises peu confortables ; de nouvelles ont donc été commandées !

Les consultations ont lieu uniquement sur rendez-vous, même si des créneaux sont disponibles en cas d’urgence – « on ne choisit pas le jour de son entorse », glisse le chef d’orchestre du centre.

Bien accueillir les personnes en précarité sociale ou sanitaire

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Crédit Photo © AP-HM – Christophe Asso

La Dr Assimouna Nassur est généraliste au centre des Aygalades depuis plus d’un an. Elle me reçoit après avoir raccompagné sa patiente jusqu’au bout du couloir. « Il est important de bien accueillir les personnes en précarité sociale ou sanitaire. Avec sérénité. Cette manière de travailler et soigner me plaît, me permet de m’adapter au profil du patient. Prendre 20 minutes par patient n’est pas toujours possible en libéral », apprécie la médecin.

Elle ne pointe pas de pathologies spécifiques à ce territoire, mais relève la fréquence des diabètes, hypertension, cancers dépistés à un stade déjà avancé. « Ici, le travail d’équipe est important. Ne pas être seule et avoir la possibilité de demander leur avis aux confrères des autres disciplines est important », confie encore la Dr Nassur.

Offrir la qualité de soins d’un CHU

Deux bureaux plus loin, la Dr Marion Gouitaa a également un carnet de rendez-vous bien rempli. Pneumologue-allergologue et spécialiste de l’asthme, elle se dit « très attachée aux valeurs du service public et de l’AP-HM », où elle exerce depuis 35 ans. « Ici mon métier prend tout son sens considère la praticienne. Nous recevons des personnes qui connaissent une errance médicale terrible dans un système de soins inadapté. Mais nous sommes en mesure de leur apporter le meilleur soin, celui d’un CHU et de leur offrir une prise en charge holistique. Je les soigne comme je soigne à l’Hôpital Nord ». La présence d’un pneumologue dans le centre de santé relève de l’évidence : « La santé respiratoire des patients des quartiers nord est catastrophique, le tabagisme est important, les cancers nombreux, la bronchite chronique du fumeur (BPCO), fréquente. La population est souvent sous-diagnostiquée. Or les dépistages tardifs coûtent cher à la société ».

Des centres médicaux hospitalo-universitaires dans les quartiers de Marseille 5Même son de cloche positif dans le bureau de l’infirmière : « Rien à voir avec l’hôpital, là-bas le patient s’adapte, ici nous nous adaptons », sourit Marilyne Hossenlopp. Elle seconde la médecin endocrinologue : « Au-delà de la prise en charge et du traitement, nous aidons les patients à accepter puis vivre avec leurs maladies chroniques ».

Un modèle qui essaime

En 2023, le CDS des Aygalades a comptabilisé 10 561 consultations qui, à 63%, concernaient des femmes. « On est référencés sur Doctolib, on tourne à plein régime, commente Olivier Gauché. À telle enseigne qu’actuellement nous orientons les patients que nous ne pouvons pas absorber vers le centre de santé APHM du Grand-Saint-Barthélémy, qui a ouvert en octobre dans l’arrondissement voisin. D’où les renforts demandés en médecins généralistes ».

Depuis le mois de janvier, deux centres de santé existants sont également entrés dans le giron de l’APHM, l’un dans le 16e arrondissement, l’autre à Aubagne. Un modèle qui désormais tente d’autres villes. ♦

 

Bonus

[pour les abonnés] – La dimension universitaire de ces espaces de santé – Les autres CDS – Le métier de médiateur/médiatrice en santé –

  • Une vocation universitaire. Le Centre de santé des Aygalades a reçu 14 stagiaires médecins en formation externe ou interne ainsi que deux stagiaires 6ème année dentistes (actions de prévention). 
  • D’autres centres de santé hospitalo-universitaires. Dans le cadre du projet « Marseille en Grand », forte de cette expérience et du succès du centre de santé des Aygalades, l’AP-HM a ouvert un deuxième centre dans le quartier du grand Saint-Barthélemy – au pied de la cité des Flamants le 16 octobre 2023 grâce au soutien de la Préfecture des Bouches-du-Rhône, de l’ARS Paca, de la Région, de la Métropole Aix-Marseille Provence, de la Ville de Marseille, et de 13 Habitat. Viennent d’ouvrir le centre de santé APHM André Roussin dans le 16e arrondissement ainsi que le CDS APHM d’Aubagne (deux reprises de centres de santé déjà existants sur des territoires qui ont besoin d’améliorer l’accès aux soins et où les inégalités sociales de santé sont présentes.
  • Un nouveau métier, médiateur/médiatrice en santé. La médiation en santé est née empiriquement des besoins de terrain. Cependant, sa reconnaissance officielle est récente et elle était jusque-là peu valorisée. L’enjeu majeur est donc de convaincre de son utilité afin qu’elle ne soit plus expérimentale, mais pérennisée, intégrée au droit commun.
    En 2017, la Haute Autorité de Santé (HAS) a fait un premier pas dans le sens de la structuration de cette pratique. Elle a établi un référentiel qui définit son périmètre et ses interactions, à l’interface des autres métiers du champ socio-sanitaire. L’objectif est double : 1) améliorer l’accès aux droits et aux soins curatifs et préventifs en favorisant l’autonomie des plus vulnérables et des plus éloignés du système de santé et 2) sensibiliser les professionnels de santé aux éventuelles difficultés des patients à réaliser leurs parcours de soin et de prévention.