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Karine Richarme, Kipawa

Par Marie Le Marois, le 2 février 2024

Journaliste

Les trois bénévoles de Kipawa autour de Lou-Anne Gaiffe, coordinatrice-animatrice du Cabanon de Simon. @Marcelle
[héroïne du quotidien] Depuis janvier 2022, Karine Richarme, fondatrice de Kipawa, propose un programme innovant à Marseille : des cours de français en alternance avec des missions bénévoles pour les personnes exilées. Elles peuvent ainsi pratiquer notre langue et mieux s’intégrer. Et les associations, bénéficier d’un renfort.
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Musique française à plein volume, effluves d’ail et bonne humeur égayent le Cabanon de Simon ce matin-là. Autour de la table, des petites mains coupent, épluchent et équeutent les légumes pour un chop suey, un plat asiatique revisité. Le Cabanon ? Un lieu de rencontre et d’activités au cœur du projet de l’habitat inclusif de l’association Simon de Cyrène. Chaque vendredi, cet espace chaleureux, au pied de la résidence La Calanque (signée) Jean Nouvel, se transforme en table d’hôte pour des personnes en situation de handicap physique, voisins, habitants du quartier démunis, etc. Et chaque vendredi depuis novembre, Ruzanna, Sergio et Angel de Kipawa viennent bénévolement cuisiner, mettre la table et assurer le service. 

Faciliter l’inclusion

Sergio et Ruzanna, aux côtés de deux bénévoles du Cabanon de Simon @Marcelle

Tous les trois suivent le programme de l’association, dont l’objectif est de faciliter l’inclusion dans la société des personnes exilées. Pendant quatre mois, chaque semaine, ils alternent douze heures de cours de français avec trois heures minimum de bénévolat. Ce deuxième volet leur permet de pratiquer la langue en dehors des cours.

Karine Richarme, fondatrice de Kipawa a eu cette idée lorsqu’elle était professeure de français langue étrangère (FLE) – enseignement destiné aux étrangers non francophones. Ses élèves lui demandaient souvent comment ils pouvaient pratiquer davantage. Elle leur répondait ce qui était pour elle l’évidence : « En parlant ». Mais cette ancienne conseillère en marketing s’est rendu compte que « les personnes exilées sont souvent isolées, elles ne savent pas comment rencontrer des Français ». Et quand on ne connaît personne, il est difficile de pratiquer. Le bénévolat est un excellent moyen de rencontre. Il permet également pour la société de changer le regard sur eux, « de les voir comme des personnes qui contribuent et pas seulement des personnes qui ont besoin d’aide ». 

♦ Kipawa signifie en swahili ‘’Force Talent Pouvoir’’ : « On souhaite que chaque personne ait lespace pour exprimer sa force et ses talents, et ainsi garder le pouvoir sur sa vie », développe Karine Richarme.

25 bénévoles par promotion

Sergio effectue volontiers toutes les tâches @Marcelle

Sergio s’affaire à la découpe des légumes comme à leur cuisson avec les bénévoles du Cabanon et certains bénéficiaires de Simon de Cyrène. Ce Mexicain de 38 ans arrivé en France en 2023 ne manque pas un seul vendredi au Cabanon, il aime cuisiner et aider les personnes handicapées. Toute la semaine, il enchaîne les missions, comme les 25 camarades de sa promotion. Les mardi et mercredi soir, il s’occupe des maraudes avec l’association Entourage. Et le jeudi, il cuisine pour La Marmite Joyeuse ou La Cuisine du 101. « Je suis ultra occupé chaque jour », souligne-t-il, enjoué.

Ses missions lui permettent d’améliorer son français, mais également d’apprendre la culture française, lui qui aimerait déployer son activité d’agent immobilier à Marseille. Au Cabanon, il a partagé un peu de sa culture en cuisinant des tacos à base de haricots rouges, fromage et champignons.

Une trentaine d’associations

Ruzanna, experte pour couper menu les légumes @Marcelle

Kipawa a tissé des partenariats avec une trentaine d’associations locales. « Beaucoup de missions de cuisine, car la cuisine, c’est hyper fédérateur. Mais il y a aussi la vente et l’accueil avec Emmaüs Connect, la réparation de vélo, le maraîchage, le tri avec La Cravate Solidaire ou La Banque Alimentaire », étaye Karine Richarme. Chacun choisit sa mission en fonction de ses compétences, du quartier où il habite et des horaires. Venir au Cabanon de 10h à 13h30 le vendredi est parfait pour Ruzanna, une Arménienne de 28 ans. Car ses deux enfants de 3 et 6 ans sont à l’école. Ses autres missions sont plus ponctuelles : « maquiller des enfants, coudre pour un spectacle de théâtre… », égrène-t-elle, tout en coupant avec précision les légumes. 

Le troisième bénévole Kipawa, Angel, raconte sa joie d’être là, avant d’aider Marc, un jeune de Simon de Cyrène, à passer de son fauteuil roulant à la chaise. Le métier de ses rêves ? Filmer avec son drone. Ce Colombien 25 ans a réalisé et monté une vidéo pour l’association Le Grand Bain. Les missions bénévoles de chacun sont autant d’expériences à valoriser pour une recherche d’emploi.

Cotisation libre

Karine Richarme, la fondatrice de Kipawa @Julie Fuchs Photographe

La promotion de Sergio, Angel et Ruzanna est la quatrième depuis la création de Kipawa en janvier 2022. Karine Richarme reçoit près de 130 candidatures à chaque fois. Des personnes qui viennent du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) et « du bouche-à-oreille ». Généralement, « ça marche par communauté. En ce moment, on a beaucoup d’Amérique latine ». Après une réunion collective puis une soixantaine dentretiens individuels, elle garde 25 personnes.

Les critères ? Être majeur, avoir des bases en français et comprendre le programme. « Les participants adhèrent au bénévolat car ils savent que c’est dans leur intérêt et non une contrepartie. Contraindre est contre-productif », souligne la fondatrice. Il a pu arriver au début que des participants cessent leur mission bénévole, « mais plus depuis que nous avons musclé notre discours pour expliquer les bienfaits ». 

Réfugiés et demandeurs d’asile

Angel de retour de la boulangerie avec Marie, une bénéficiaire du Cabanon de Simon @Marcelle

Cette jeune quinqua veille également à la parité hommes/femmes, « Car c’est une difficulté pour elles d’avoir des enfants en bas âge ». C’était le cas de Ruzanna. Elle cherchait depuis son arrivée en France, il y a sept ans, une formation de français, mais ne trouvait rien qui correspondait à son emploi du temps de maman avant de connaître Kipawa. La cotisation ? « Libre ». Les participants donnent « 0, 1, 5, 10 jusqu’à 100 euros, c’est important que chacun décide en fonction de sa situation et de ses possibilités ». 

60% des participants sont des demandeurs d’asile. Cette militante a pensé au départ ce programme pour eux. Le temps qu’ils obtiennent la réponse, parfois trois ans, « leur situation est mise entre parenthèses : ils ne peuvent pas travailler, ni avoir accès au cours de l’État ». Ils sont dans un « no man’s land hyper anxiogène, car ils ne savent pas s’ils seront acceptés ou pas. S’ils le sont, tout se précipite : logement, formation, emploi… Et ils restent dans une précarité linguistique ». Les 40% restants sont des réfugiés, un statut qui leur permet pourtant d’accéder rapidement à des cours de français. « Mais ils veulent notre programme pour rencontrer des gens et faire du bénévolat ». 

Une richesse pour les associations

Joséphine, service civique au Cabanon de Simon qui a mis en contact l’association avec Kipawa @Marcelle

Sergio et Ruzanna apportent du renfort aux bénévoles du Cabanon de Simon et bien plus. Joséphine, service civique au Cabanon, ne tarit pas d’éloges sur eux : « C’est vraiment cool de les avoir, ça crée de la nouveauté sur le temps de la préparation du repas. Ils sont utiles et très facilitants dans le lien social, très ouverts aux autres ». La jeune fille ajoute : « Et c’est chouette quand Ruzanna vient avec ses enfants. C’est une tranche d’âge qu’on n’a pas, elle apporte de la vie ».

Sergio et Angel participent même au-delà des heures prévues. Cette semaine, ils ont travaillé le bois dans l’usine des 8 Pillards pour le Cabanon de Simon, chargé de fabriquer l’accessoire PMR pour le carrousel des JO2024. 

Poursuivre le bénévolat

Une trentaine de convives déjeunent ce jour-là à la table d’hôte du Cabanon. Elle est ouverte à tous, participation conseillée 5 euros @Marcelle

Il est 12h30, une trentaine de convives sont attablés. « À Noël, c’est monté à 83 », raconte encore surprise Ruzanna, tout en servant les plats. Au grand désarroi de Sylviane, une bénéficiaire de Simon de Cyrène, la jeune maman ne restera pas comme à son habitude déjeuner. Son service terminé, elle file chez elle donner un coup de ménage et préparer le repas du soir, avant d’enchaîner à 14h le cours de français.

Le programme Kipawa se termine le 1er mars et il n’est pas possible de le reconduire une deuxième fois. Mais Sergio est bien décidé à continuer le bénévolat pour « pratiquer, rencontrer d’autres personnes et aider les gens ».

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Bonus

[pour les abonnés]- Les objectifs de Kipawa – Les financements –

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