Fermer

Face aux défis actuels, les organisations patronales se mobilisent 

Par Olivier Martocq, le 25 octobre 2023

Journaliste

L'édition 2023 du Forum des entrepreneurs de l'Union pour les Entreprises des Bouches-du-Rhône s'est tenue au Stade Vélodrome ©UPE13
Les mutations profondes et extrêmement rapides liées aux contraintes, qu’elles soient environnementales, sociétales, géopolitiques ou technologiques, poussent les patrons à investir le débat. Pour cela, ils disposent de multiples courroies de transmission. Exemple avec un territoire en première ligne, Marseille.

 

Le 19 octobre, plus de 4000 patrons et cadres ont participé à Marseille au Forum des entrepreneurs. Les mutations profondes et extrêmement rapides liées aux contraintes (environnementales, sociétales, digitales…) étaient le fil conducteur de cette 23e édition. Un message subliminal adressé aux politiques : les entreprises doivent être partie prenante dans la transformation du territoire.

Participer à la décision

Pour les évènements extra-sportifs, le stade Vélodrome est devenu le lieu tendance à Marseille. Après le pape, c’est l’Union pour les Entreprises des Bouches-du-Rhône (lire bonus) qui l’a privatisé pour sa grand-messe annuelle. La thématique 2023 était L’alchimie de la transformation. « Mobiliser autant de patrons sur une journée, c’est du jamais vu », se félicite Philippe Korcia. Pour le Président de l’UPE 13, les entrepreneurs en ont assez de prendre des coups. De ne pas être entendus par les responsables politiques qui prennent les décisions. « 70% de la fiscalité locale est payée par les entreprises. Nos collaborateurs se déplacent, se logent, consomment. On est bien placés pour proposer des solutions pertinentes », poursuit le chef d’entreprise.

 

Relancer les zones franches 

Face aux défis actuels, les organisations patronales se mobilisent  2
Philippe Korcia, président UPE13 ©UPE13

Reprenant sa casquette institutionnelle, Philippe Korcia indique à titre d’exemple qu’il a demandé la relance des zones franches urbaines à Marseille. « Je viens donc d’envoyer un courrier en ce sens au Président de la République et à la Première ministre. Les zones franches permettent un cercle vertueux entre des entreprises qui prennent le risque d’aller dans des quartiers difficiles et des populations qui se sentent délaissées et sans avenir. Notamment les jeunes. Ainsi, on recrée le lien en proposant du travail sur place. C’est gagnant-gagnant ». Lancée en 1997 à Marseille, la zone franche urbaine (ZFU) Nord Littoral suivie en 2004 de la Sud avait permis de créer au moins 30 000 emplois en 25 ans dans les 14e et 15e arrondissements de Marseille. « Pour l’instant je n’ai pas reçu de réponse », précise Philippe Korcia.

 

La sécurité et la formation au cœur des préoccupations

Le temps du forum, les tables rondes se sont enchaînées. Experts, entrepreneurs et politiques ont abordé les problématiques concernées – mutations profondes et extrêmement rapides liées aux contraintes environnementales, géopolitiques, digitales… Mais de façon souvent convenue compte tenu de l’urgence qui percute le modèle économique et sociétal occidental. À la sortie des différents ateliers, la frustration des participants était palpable. Les préoccupations très concrètes qui nourrissaient les conversations n’avaient pas trouvé de solutions. Manquait dans ce forum le poil à gratter distillé par le Top 20, qui regroupe les 57 entreprises de plus de 100 millions de chiffre d’affaires des Bouches-du-Rhône.

L’attractivité du territoire est la raison d’être de ce club qui affiche 120 milliards de chiffre d’affaires cumulé et 500 000 salariés. Ses deux grosses priorités du moment (un cadre de vie plus attractif et le capital humain) étaient de toute évidence partagées par les congressistes. Elles se résumaient en « plus de sécurité et plus de formation ». Pour son président Serge Magdeleine, « les pillages de juin dernier, les règlements de compte incessants renvoient au monde une image de Marseille catastrophique. C’est véritablement un frein pour attirer les cadres de haut niveau dont on a besoin. Notamment dans les secteurs en tension liés à la tech ». Un réel handicap estime le directeur général du Crédit Agricole Alpes-Provence, alors que « Marseille s’impose comme l’un des plus grands carrefours de l’internet européen ». D’après les grands patrons, les jeunes formés dans les universités étrangères prestigieuses hésitent à venir s’installer ici. En outre, sur place, « on manque d’écoles pour former des ingénieurs ».

 

Des pistes et des réalisations concrètes

Si la sécurité ne relève pas de ses compétences, le Top 20 peut s’enorgueillir de plusieurs succès dans le domaine de la formation. Il a favorisé le développement de La Plateforme (une école de codage accessible aux non-diplômés) et de sa prolongation. L’Albert School de Xavier Niel (une école supérieure de commerce et de data) en effet a ouvert une antenne à Marseille récemment. Par ailleurs, le club marseillais fait actuellement du lobbying pour attirer sur ses terres une école d’ingénieurs parisienne.

Au-delà de quatre assemblées générales par an qui fixent les grandes orientations, ses membres se nourrissent de leurs réflexions conjointes. Lancent des expérimentations concrètes. L’entreprise Tenergie a, par exemple, poussé pour l’ouverture d’une école de production axée sur les énergies renouvelables, NR Sud. « En effet, notre secteur recrute et nous manquons de techniciens pour répondre à la demande », analyse Nicolas Jeuffrain, son co-fondateur et président. « Depuis cette année, nous formons des jeunes de 15 ans à 18 ans. Leur cursus va durer quatre ans. Au bout, ils auront un emploi. C’est notre engagement et ce qui les motive ».

 

« Le passé comme référence, le futur comme excellence »

Face aux défis actuels, les organisations patronales se mobilisent  1
Le premier rassemblement des entreprises « Centaures » ©CCIAMP

Le slogan des Centaures (lire bonus), le dernier-né des réseaux patronaux marseillais est une mise en abîme. « Ce sont des entreprises centenaires. Nous en avons comptabilisé 82 qui ont gardé leur siège sur le territoire », raconte Jean-Luc Chauvin, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCIAMP). Ce qui a surpris les services de l’institution qui se sont plongés dans les archives papier du greffe du tribunal de commerce, c’est leur éclectisme. De fait, elles sont présentes dans tous les secteurs, y compris agricole.

Leur poids économique surprend aussi puisqu’elles représentent 10 700 emplois et 1,74 milliard de chiffre d’affaires annuel. La plus ancienne, le Four aux navettes, remonte à 1781. « Le lien entre toutes ces entreprises, c’est ce que nous apprend leur longévité. Comment elles ont fait pour s’adapter, traverser de multiples crises, mais aussi leur capacité à être transmises ». Sur ces thèmes comme sur ceux de la prise de risque, de l’adaptation au changement, de la recherche de financements, de l’innovation, du lien avec le territoire, les entreprises centenaires ont, selon lui, beaucoup à apporter.

« D’ailleurs, nous envisageons même un parcours touristique autour de ces fleurons du patrimoine local qui sont une source de fierté », glisse Jean-Luc Chauvin. Une idée dans l’air du temps. Un nouveau dispositif autour du tourisme industriel a été lancé par Roland Lescure, le ministre en charge de l’Industrie, à la veille des vacances de la Toussaint. Objectif du gouvernement, outre la découverte d’outils industriels présents sur le territoire, orienter plus de jeunes vers les métiers de l’industrie en les mettant au contact de ceux existant à proximité. ♦

 

Bonus

À propos des organisations patronales citées dans l’article. Le mille-feuille administratif français multipliant les échelons, les compétences, etc., il y en a donc des centaines. Difficile de connaître leur influence réelle. Les institutionnelles CCIMP, UPE, CGPME, UNAPL… et syndicats de branches comme l’UIMM (industrie et métiers de la métallurgie), UMIH (hôtellerie restauration) sont normalement les interlocuteurs des pouvoirs et collectivités publiques pour les questions qui concernent leurs champs de compétences. C’est le charisme (ou pas) de celui ou celle qui est à sa tête qui fait de l’organisation patronale un interlocuteur influent (ou pas).

 

  • La CCIAMP, pionnière (1599). « Créée en 1599 pour organiser la protection du négoce français contre les pirates en mer Méditerranée, la Chambre de Commerce de Marseille a servi de modèle aux autres CCI du monde. Les chambres de commerce et d’industrie (CCI) représentent les intérêts de l’industrie, du commerce et des services auprès des pouvoirs publics et des autorités étrangères (soit 134 000 entreprises concernant le territoire d’Aix-Marseille-Provence). Ce sont des établissements publics d’état, mais administrés par des dirigeants d’entreprises élus par leurs pairs »

 

  • L’UPE13 (1869). « L’Union pour les Entreprises des Bouches-du-Rhône est l’organisation interprofessionnelle qui rassemble toutes les entreprises de tous les secteurs d’activités. Quelles que soient leur taille, leur structure ou leur métier. L’UPE13 est financée à 100% par les cotisations de ses adhérents, ce qui garantit une totale liberté de pensée et d’action au seul service de l’entreprise. La diversité des 13 000 entreprises fédérées par l’UPE13, emmenées par des patrons patrimoniaux ou des dirigeants d’entreprise salariés, fonde la richesse de ses idées et la vision entrepreneuriale qu’elle défend ».
♦ relire l’article : André Dupon, le patron qui rallume l’étincelle des exclus

 

  • Le Top 20 (2015). Il fédère les dirigeants des entreprises ayant leur siège dans la métropole Aix-Marseille Provence réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il n’y en a pas 20, mais 57. Elles pèsent 120 milliards d’euros et 500 000 emplois. Objet de l’association : Se positionner et influencer. Le Club est une force de lobbying et d’influence des grands entrepreneurs du territoire au sein des instances économiques, politiques ou sociétales au service des grands projets métropolitains. Il peut donc prendre position et agir au sein du monde économique pour accompagner des projets ou soutenir des idées au service notamment de la construction de la Métropole, des grands projets du territoire, des positions du monde économique sur certains sujets d’actualité. Ce lobbying pourra être mené à la fois par des actions collectives du Club TOP 20 et par des démarches individuelles des membres.

 

  • Les Centaures (2023). Le Réseau des entreprises centenaires a été lancé le 27 septembre par la CCIAMP. « Nous avons déjà identifié 82 entreprises centenaires en nous basant sur le registre du commerce. Mais il y en a certainement beaucoup d’autres, commente Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP. Dans les Bouches-du-Rhône, elles rassemblent 10 700 emplois, et un chiffre d’affaires cumulé de 1,74 milliard d’euros. C’est près de 5% du PIB départemental ! Présentes dans tout le territoire et dans tous les secteurs d’activité, les centenaires peuvent apporter beaucoup aux autres entrepreneurs. Notamment dans la gestion du temps long ».