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Une famille recomposée, ça se construit !

Par Nathania Cahen, le 14 février 2024

Journaliste

Chaque année en France, 425 000 couples se séparent. Et aujourd’hui, un enfant sur dix grandit au sein d’une famille recomposée. Une réalité de la société décryptée par le Dr Serge Mori, psychothérapeute à Aix-en-Provence. Dans l’ouvrage La famille recomposée*, paru récemment, il ne livre pas de recettes, mais des préconisations. Et fait la démonstration qu’on est loin du cauchemar.

Selon l’INSEE, une famille recomposée comprend un couple d’adultes, mariés ou non, et au moins un enfant né d’une union précédente de l’un des conjoints. Les enfants qui vivent avec leurs parents et des demi-frères ou demi-sœurs en font aussi partie.

Marcelle – Quelle est la vôtre de définition ?
Réussir sa famille recomposée, c'est possible !
Dr Serege Mori, psychothérapeute ©DR

Dr Mori – La famille recomposée est celle qui vit sous un même toit, et que je préfère qualifier de famille « rassemblée ». Un nouveau couple et des enfants dont l’âge peut aller de 2 à 18 ans, et au-delà, jusqu’à l’envol ! Il se dit qu’un Provençal sur deux vit chez ses parents jusqu’à 30 ans…

Dans votre ouvrage, vous recourez à la thérapie « narrative ». De quoi parle-t-on ?

Familles recomposées, je vous aime 2C’est une approche qui ne considère pas un patient désigné ou une personne avec un problème. Mais un problème dans son ensemble ou une situation donnée. En l’occurrence, la dislocation du noyau familial. On la nomme aussi approche systémique. Je recours surtout beaucoup à ma pratique et mes expériences.

Vous exposez en préambule que la famille classique, aussi appelée famille nucléaire, n’est pas forcément idéale…

Oui, elle peut même être pire que la famille recomposée ! Je dis souvent que la famille est l’endroit le plus névrosé au monde… Et dans une recomposition, ça peut se complexifier ou se démultiplier. Ce n’est souvent pas simple avec ses propres enfants, alors les enfants des autres !

En fait, quelle est la fonction des parents ?

Je distingue deux choses. Le rôle : papa ou maman, qui s’applique pour le quotidien. Et la fonction : père ou mère, qui représente la loi et l’autorité. Qui peut être opérée par un étranger, et par une personne du sexe opposé. Depuis les années 2000, on observe ainsi que l’autorité est de plus en plus du ressort des mères et que les hommes ne tiennent plus à occuper ces places-là. La tendance s’inverse.

Le beau-parent peut par exemple occuper une fonction de régulateur : un tiers sur lequel s’appuyer, un confident. Il y a beaucoup de belles histoires entre beaux-enfants et beaux-parents !

Pour qui avez-vous écrit ce livre ?

C’est un livre optimiste pour les parents et beaux-parents, les enfants et beaux-enfants, les grands-parents et beaux grands-parents, les demi-frères et soeurs… Pour enjoindre les uns de ne pas culpabiliser d’avoir fait « exploser » leur famille. Dire aux autres l’importance de la bienveillance, du choix des mots et des situations. Les patients que je reçois ont autant de questions différentes que leur situation est singulière, mais je relève toujours un dénominateur commun : la valeur de la famille, le besoin d’amour et une forte culpabilité.

J’ai écrit ce livre entre autres pour le petit Arthur, que j’ai rencontré en consultation alors que, fortement influencé par sa mère, il venait de scarifier le bureau et la garde-robe de sa belle-mère. Je l’ai écrit pour ces deux dernières. Pour montrer ô combien il est important de bien se séparer pour bien se recomposer.

Réussir sa famille recomposée, c'est possible ! 2
La séparation justement, qui est le déclencheur. Elle cristallise beaucoup de choses et conditionne la suite…

Bien sûr, se séparer en bons termes n’a rien d’évident, et souvent l’immaturité des adultes ressurgit. Or, dans l’intérêt de l’enfant (ou des enfants), il faut déployer une certaine dose d’intelligence sociale et relationnelle. Composer avec « l’ex » qui va lui aussi canaliser l’enfant. Il faut donc éviter de l’inscrire dans un conflit de loyauté.

Même quand l’origine de la rupture est une histoire passionnelle, éviter de faire primer la passion sur la raison, d’impliquer trop tôt les enfants. Il faut prendre des précautions, et surtout du temps, un temps fondamental.

Alors, comment procéder pour unifier ce nouveau cercle ?

Familles recomposées, je vous aime 1Cela ne s’improvise pas et implique un certain nombre d’étapes, à commencer par les présentations. Je recommande un lieu neutre : un concert, une balade, une fête foraine. Une sortie autour d’une activité, c’est parfait. On a encore en tête le modèle Kramer contre Kramer, ou d’autres scènes de films avec la famille gravement réunie au salon. Beaucoup d’adultes que je reçois ont ce genre de souvenirs ancrés dans leur esprit et ils se rappellent parfois jusqu’à leur tenue. Donc, surtout rien de solennel. Et surtout pas de vacances avant de se connaître un peu !

Vous estimez qu’appartenir à une famille recomposée peut s’accompagner d’opportunités. Par exemple ?

Cela développe les capacités d’adaptation, la curiosité. Une facilité à cicatriser. Cela permet aussi de grandir, de s’émanciper. Il faut composer, trouver sa place, sortir parfois de sa zone de confort, sa ligne de flottaison.

Quelles sont vos recommandations pour les beaux-parents ?

Je leur déconseille de vouloir plaire à tout prix, et tout ce qui relève de la séduction – amadouer, gâter, vouloir devenir pote ou parent de substitution. Non. Il vaut mieux devenir un référent adulte. Lui dire : je ne t’oblige pas à m’aimer, mais à me respecter. Et ne pas hésiter à recadrer si nécessaire. Je me souviens d’un échange qui m’a été rapporté entre une jeune fille et sa belle-mère : « tu n’es pas ma mère » a attaqué la première. « Non, et tu n’es pas ma fille » a rétorqué, à bon escient, la seconde. Il faut mettre des rondeurs, faire les choses le plus simplement possible. Ne pas se poser en donneur de leçons.

Je préconise volontiers de raconter des histoires. Raconter son enfance, son adolescence, des anecdotes, des événements de sa vie. Cela permet de mieux faire connaissance, de partager des valeurs. Pour moi, les histoires, c’est fondamental. ♦

*La famille recomposée – À chacune son histoire. Dr Serge Mori. Ed First, janv 2024. 19,95 euros.
♦ La Fondation de France – Méditerranée parraine la rubrique Société et partage avec vous la lecture de cet article ♦
Bonus

[pour les abonnés] – En savoir plus sur le Dr Serge Mori – À lire dans la revue Esprit – Les chiffres de l’INSEE sur la famille –

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