Fermer

La correspondance pour rompre l’isolement en prison

Par Agathe Perrier, le 30 septembre 2022

Journaliste

15 000 courriers sont échangés chaque année entre les bénévoles et les détenus, contenant aussi bien des cours que des lettres personnelles © Pixabay, photo d'illustration

Pour réduire la solitude et l’illettrisme des détenus, l’association Auxilia mise sur la formation à distance. En plus des cours et exercices, les bénévoles glissent une lettre personnelle dans le courrier. Ces échanges font entrer un peu de connaissance et de chaleur humaine dans ce milieu carcéral qui en manque cruellement.

 

C’est un concept unique en France que celui de l’association Auxilia. Car si des structures proposent bien de correspondre avec des détenus pour rompre leur solitude (bonus), c’est la seule à y coupler un volet formation. Il est d’autant plus important que la réalité dans le milieu pénitentiaire est assez catastrophique : 23% des personnes incarcérées sont en situation d’illettrisme (trois fois plus que dans la population générale) et trois sur quatre ont au mieux un niveau CAP (contre une sur cinq). « Il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes études pour devenir formateur bénévole », rassure Jean-Christophe, délégué territorial dans les Bouches-du-Rhône. L’association fournit d’ailleurs des supports de cours à ses bénévoles et les aiguille pour qu’ils ne se sentent pas perdus. « On a maximum deux apprenants en même temps. Ce n’est donc pas un travail très lourd ». Et pourtant plus qu’essentiel.

 

 

formation-cours-distance-auxilia-prison
Une des raisons qui pousse les détenus à s’inscrire est d’occuper leur temps, qui est souvent très long © Pixabay, photo d’illustration

Des courriers qui sauvent des journées


Stéphane n’a pas correspondu avec Jean-Christophe mais avec deux autres formatrices pendant son incarcération à Fleury-Mérogis, il y a près de dix ans. Cours choisis : italien, pour découvrir la langue paternelle, et arts plastiques. « Je me suis inscrit pour m’occuper parce que le temps peut être très long en prison, surtout le week-end. Je me suis ensuite rendu compte à quel point recevoir une lettre peut vraiment sauver une journée. Le fait d’être appelé par son prénom et de lire des mots amicaux joue beaucoup sur le moral ! Car, sinon, la majorité du courrier que l’on reçoit vient de la justice ou de son avocat et nous replonge dans l’univers carcéral », confie-t-il.

2 122 apprenants ont été accompagnés par Auxilia en 2021. La majorité pour profiter de remise à niveau ou s’initier aux bases dans différentes matières. Des plus classiques (français, mathématiques, langues, histoire, sciences…) aux plus techniques (économie, comptabilité, mécanique, électronique…). « Ça maintient les neurones en éveil et ça aide à se préparer pour la sortie », considère Stéphane. L’association assure même la préparation à des cursus diplômants et professionnalisants. Sur tous les organismes en France qui proposent de la formation à distance aux personnes détenues, c’est elle qui compte le plus d’inscrits (bonus). « Ça s’explique notamment par le prix. L’adhésion coûte 20 euros pour un an chez Auxilia, alors que les autres formations peuvent être très chères », indique l’ancien apprenant, aujourd’hui salarié de l’association.

 

Anonymat garanti

L’apprenant ne sait jamais qui se cache derrière les courriers, et inversement. Pour garantir l’anonymat, Auxilia réceptionne toutes les lettres, recouvre les noms et adresses, puis les transfère. L’association ne les ouvre jamais. Elles sont par contre systématiquement lues par le vaguemestre – le surveillant en charge des courriers entrants et sortants – procédure carcérale oblige.

En théorie, un formateur doit correspondre avec son apprenant toutes les trois semaines. Mais il arrive qu’il n’ait pas de réponse rapidement. « Il y a des moments compliqués en prison, comme l’avant ou l’après-procès. Ça peut se répercuter sur l’assiduité et la réussite des cours », glisse Stéphane. De son côté, Jean-Christophe se rappelle n’avoir échangé qu’avec des personnes motivées durant ses presque neuf ans de bénévolat chez Auxilia. À la clé pour les apprenants : de l’occupation, un soutien psychologique voire une remise de peine puisque suivre une formation à distance peut peser favorablement dans leur dossier.

 

 

formation-lettre-detenu-auxilia
L’association compte 800 bénévoles et manque de formateurs dans certaines matières© Pixabay, photo d’illustration

Bénévoles appelés à la rescousse

Avec 800 bénévoles répartis dans toute la France, l’association vit toutefois en flux tendu. « La tendance est à la baisse et on manque de formateurs dans certaines matières. On était encore aux alentours de 1 300 bénévoles il y a cinq à dix ans », souligne Jean-Christophe. La structure a même compté jusqu’à 3 000 formateurs par le passé ! Période dorée et regrettée. À Marseille, deuxième ville de France avec ses plus de 800 000 habitants, seulement deux bénévoles sont inscrits. Il est vrai que ce don de soi n’est pas des plus faciles. « On est face à la détresse des personnes incarcérées, psychologiquement c’est dur », reconnaît le délégué territorial. Auxilia manque aussi cruellement de notoriété et de visibilité, ce qui n’aide pas à recruter. Elle appelle donc toutes les bonnes âmes à la rejoindre (bonus).

Néanmoins, malgré cet effectif réduit,1 929 cours ont été dispensés grâce aux bénévoles en 2021. Pour plus de 15 000 courriers échangés. Autant de mots et de cours qui apportent un peu d’évasion aux apprenants. Outre ces bénéfices sur le plan humain, il est reconnu que la formation pendant la détention permet de réduire la récidive et d’éviter le coût de nouvelles incarcérations. Une raison de plus pour ne pas laisser de côté cette population fragile. ♦

 

Bonus

  • Devenir bénévole chez Auxilia – En tant que formateur, il faut avoir plus de 25 ans, un niveau bac+2 (ou un équivalent en acquis professionnel) et un peu de temps. Mais pas besoin d’être enseignant de profession. L’association propose aussi la mission de correspondant de prison. Son rôle est de rencontrer les détenus qui souhaitent s’inscrire à Auxilia puis de suivre leur parcours. Plus de renseignements en cliquant ici.
  • La petite histoire d’Auxilia – L’association a été créée par Marguerite Rivard et Marguerite Pelecier en 1929. Toutes deux atteintes de tuberculose pendant l’enfance, elles ont vécu en sanatorium et connu l’isolement et le rejet de la société. Une fois adultes, elles ont l’idée de créer des cours par correspondance pour les malades. Au fil des années, les échanges ont été élargis à d’autres publics, notamment les détenus depuis 1959. La grande majorité des apprenants de la formation à distance d’Auxilia sont aujourd’hui des personnes incarcérées. L’association compte deux autres grands pôles : de la formation pour personnes reconnues travailleurs handicapés et de l’hébergement pour femmes en danger.
  • La majorité des détenus en formation à distance sont chez Auxilia – L’enseignement est obligatoire en milieu carcéral seulement pour les mineurs. Les adultes doivent, eux, en faire la demande, ce qui représente environ 25% des détenus majeurs. Sur toutes ces personnes qui ont choisi l’enseignement à distance, la majorité est inscrite chez Auxilia (44,5%). L’association devance les universités (40%), le CNAM (12,6%) ou encore le CNED (0,5%). Plus d’infos en cliquant ici.
  • Correspondre avec un détenu – Différentes associations à travers la France proposent d’échanger avec des personnes incarcérées. Comme par exemple Le courrier de Bovet ou la Fraternité du Bon Larron. L’objectif est de les aider à maintenir un lien social avec l’extérieur et rompre ainsi leur solitude.