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Fourchette à croquer pour vente à emporter

Par Marie Le Marois, le 3 octobre 2022

Journaliste

Les ventes à emporter sont en plein essor et les couverts en plastique jetables, désormais interdits. Koovee a trouvé une alternative gourmande avec des fourchettes et cuillères comestibles, écologiques et résistantes. Cette start-up marseillaise a déjà séduit 300 entreprises.

 

Depuis l’interdiction des couverts en plastique à usage unique, en janvier 2021, les compostions végétales – carton, bois, feuilles de palmier ou pulpe de canne – ont le vent en poupe. Une bonne nouvelle ? Pas tant que ça. Il semblerait que ces matières de substitution ne soient pas si vertes ni sans danger pour la santé (bonus).

Avec les couverts Koovee, la question ne se pose pas : ce sont des biscuits traditionnels à base de farine de blé, colza et sel. Fabriqués dans une usine implantée dans les quartiers nord de Marseille avec zéro additif et des ingrédients locaux certifiés AB.

 

Couverts sains et français

Johanna Maurel et Tiphaine Guerout
Johanna Maurel et Tiphaine Guerout, fondatrices de Koovee. @Koovee

La farine provient du Moulin bio Pichard et l’huile de colza de l’Huilerie La Palisse. Les fourchettes aux herbes de Provence sont fabriquées avec Aromates de Provence, « l’une des rares entreprises à le faire avec de vraies plantes de la région », insiste Tiphaine Guerout, cofondatrice avec Johanna Maurel de Koovee. Tout en croquant une fourchette nature dans la cuisine de l’usine, elle décrit en détail les cuillères. Sucre glace de Giraudon (seul ingrédient non bio) et arômes naturels d’amande de Gaziniaire, à Grasse. Au niveau gustatif, ces biscuits sont simples, légèrement goûtus et pas du tout écœurants. 

Ni beurre, ni lait, ils conviennent donc aux consommateurs vegan. « On veut être une solution pour tous », souhaite la jeune femme de 32 ans qui a eu l’idée des couverts comestibles en 2018, dès l’annonce de la fin du plastique. Avec leur packaging rigolo, là aussi français et écologique – papier Malengé -, ils donnent « envie à tout le monde » et pas seulement à ceux qui ont la fibre écolo.

 

 

Résistants et doux

Koovee-cuillere
Les Koovee résistent à 65°-70°. @Koovee

Imaginer un biscuit qui ne se casse pas au premier coup de fourchette paraît illusoire. Et d’ailleurs, bon nombre de personnes ont jugé le projet irréalisable avant que le duo ne se lance.  Pourtant, la Koovee endure notre salade et pique aisément les légumes de ses trois dents. Certes, quand on a voulu écraser les morceaux de pomme de terre, elle s’est cassée en deux. Mais cet accident serait également survenu avec du bois ou du plastique. On n’appuie pas avec force sur le manche sans dégât.

La matière résiste également au chaud, même dans une soupe à 65C°, sans qu’elle ne se détériore. Le contact doux et lisse du couvert en bouche, à la différence du bois légèrement râpeux, est la qualité qui a attiré les premiers clients – des traiteurs.

 

Une prouesse technologique

Moulin Pichard
Les Koovee sont élaborés avec la farine du Moulin Pichard qui travaille exclusivement avec des céréales de Haute-Provence.

Trois ans de recherche, de tests et de prototypes ont été nécessaires pour mettre au point un produit « lisse, de qualité, résistant et à la fois bon ». Pour y parvenir, il a fallu que les deux associées forment une équipe avec des professionnels peu habitués à se croiser : ingénieur et designer industriels d’un côté, ingénieur agroalimentaire et designer produit de l’autre. Par exemple, quand Tiphaine Guerout rencontrait les seconds, ils lui répondaient « qu’ils savaient concevoir des machines pour fabriquer des gâteaux mais pas pour qu’ils soient résistants ».

Au fils des mois, la R&D (Recherche et développement) a permis d’ajuster la texture (la première version contenait des aspérités), la forme (plus ergonomique) et la stabilité (plus constante). « Si vous achetez 3000 cuillères, vous aurez 3000 belles cuillères », assure cette cheffe d’entreprise, aujourd’hui à la tête d’une équipe d’une dizaine de personnes. 

Pas question de divulguer le procédé de fabrication. À peine sait-on que cette prouesse technologique n’est pas due à la composition des biscuits mais à la façon dont la pâte est travaillée. Les machines ne font pas tout, les quatre jeunes à la production – par ailleurs en réinsertion (voir bonus) – sont dépendants du taux d’hygrométrie dans la pièce. « S’il est trop élevé, le traitement de la pâte sera différent ».

 

« Le marché du jetable représente environ cinq milliards de couverts », Tiphaine Guerout.

 

Sodexo, Spok, Häagen-Dazs et les autres

Fourchette aux herbes de Provence
Fourchette aux herbes de Provence. Le  »K » au bout du manche reprend la première lettre de la marque. @Marcelle

Les couverts Koovee ne sont pas destinés à être un accessoire ludique pour égayer un repas. Ils ne relèvent pas de l’expérience mais de l’utile. « On veut être dans le quotidien des gens ». Cet objectif peut être atteint : le marché de la Vente à emporter (VAE) est en pleine croissance. Il a explosé « en raison du Covid mais aussi des usages : les gens sont de plus en plus pressés et veulent manger vite ».

Koovee a déjà conquis 300 entreprises dont certaines possèdent plusieurs lieux. Les deux entrepreneuses engagées, membres de la communauté Bold by Veuve Cliquot, les classent en quatre catégories. La restauration collective telle Sodexo, avec des corners VAE dans les restaurants d’entreprise, les écoles, les hôpitaux. La restauration commerciale comme les cantines Spok ou les glaciers Häagen-Dazs . Les Grandes et moyennes surfaces (GMS) qui proposent de plus en plus des rayons ‘’snaking’’ (dit aussi repas sur le pouce). Avec les salades en tête des plats les plus prisés. Enfin, les traiteurs, les plateaux repas, les food-trucks…

Outre le goût, les couverts comestibles intéressent d’autant plus ces entreprises qu’elles sont désormais obligées d’organiser un tri et une collecte de leurs déchets à la source. Les Koovee disparaissent dans l’estomac ou, au pire, dans la poubelle alimentaire.    

 

10 000 couverts par jour

Malengé
Le sachet est 100% papier, sans plastique ni aluminium et recyclable dans la filière papier. C’est Malengé, une entreprise française qui a inventé ce papier alimentaire. @Koovee

Le premier enjeu désormais, pour faire face à la demande, est de passer de 10 000 à 100 000 couverts par jour. Et donc de déménager dans une usine plus grande, toujours dans les quartiers nord. Le second enjeu, explique la jeune femme dans la salle de fabrication de l’usine, concerne la partie conditionnement. Il faut trouver une solution pour optimiser l’emballage produit manuellement. Et pour le papier, « très cher ». L’idée n’est pas de rogner sur ce papier écoresponsable – sans plastique, ni aluminium – mais de réfléchir à l’achat en termes de volume. 

Enfin, il faut faire « énormément de pédagogie avec les clients, particulièrement avec les acheteurs de couverts ». Ils ne travaillent pas, par définition, dans l’alimentaire. Et donc ne comprennent pas forcément la démarche de Koovee.

 

Couteaux et touillettes en projet

S’elles excluent de produire des assiettes comestibles – « compliqué d’en manger après un repas », les deux associées travaillent avec leur équipe sur le couteau. Il sera dentelé et coupant, « même pour les pommes », promet Johanna Maurel. L’étape suivante pour Koovee, qui vient de lever 900 000 euros, sera la touillette pour boissons chaudes. Procédé qui sera finalement plus simple que les fourchettes ou cuillères.

Son prix varie selon qu’il est vendu par le commerçant en sachet unitaire ou en vrac, « entre 0,40 et 0,70 euro ». C’est certes un coût pour le consommateur (sauf si les couverts sont offerts). Mais l’entrepreneuse veut croire qu’acheter ses couverts en sus du plat rentrera dans les mœurs. Cette native du Bordelais rappelle que, lorsque sont apparus les sacs en papier dans les supermarchés, ils étaient gratuits. « Aujourd’hui, on les paye sans se poser de question ». Et, à la différence des sacs en papier, on peut manger ces produits.♦

 

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Bonus

  • Couverts en bois toxiques pour la santé et lenvironnement ? L’UFC-Que Choisir, dans son article ’’Des substances nocives dans les alternatives en plastique’’ (mai 2021) évoque la présence de composés perfluorés, ‘’introduits intentionnellement pour permettre à la vaisselle de résister à l’eau et aux graisses’’. L’association a également décelé dérivés chlorés, résidus de pesticides ou encore métaux lourds.

Ces composants migrent, par voie de conséquence, dans notre intestin. Mais aussi dans la terre, car une grande partie de cette vaisselle jetable arbore le terme ‘’compostable’’. C’est-à-dire qu’on peut la jeter dans notre jardin, elle se transforme en bon terreau. ’’Non seulement son aptitude au compostage est douteuse mais elle n’est bien souvent pas recyclable non plus. Et l’origine fort lointaine de certaines matières premières (feuilles de palmier, canne à sucre) alourdit son bilan carbone’’, martèle l’association de consommateurs dans l’article.

Tiphaine Guerout ajoute à propos des couverts en bois « que la plupart proviennent de Chine, sans qu’on sache exactement la provenance de la matière première tant il y a d’intermédiaires ». Selon l’entrepreneuse, le bois est en plus rarement issu de forêts certifiées FSC (garanti de gestion durable de la forêt et de la traçabilité des produits bois NDLR).

 

  • Leur parcours. Tiphaine Guerout a rencontré Johanna Maurel via son réseau sur Linkedin. « Je ne voulais pas monter ce projet seule, je cherchais un associé ». La première travaillait alors dans une startup de logiciels de formation en ligne. Et la seconde, dans les produits alimentaires.

Toutes deux avaient déjà monté une start-up à la sortie de leurs études. Un site internet d’aide pour les étudiants à l’étranger pour l’une. Une société qui fabrique des potagers intérieurs pour l’autre. Aucune n’était ingénieure ou boulangère, elles avaient juste l’entrepreneuriat chevillé au corps et l’envie d’un monde plus responsable. Elles ont eu le déclic de couverts comestibles avec une marque indienne, aujourd’hui disparue, qui fabriquait ces ustensiles en farine de sorgho. Les entrepreneuses, elles, ont choisi le blé.

 

  • L’équipe. Tiphaine Guerout s’occupe de la partie marketing, commerciale et finance. Tandis que Johanna Maurel gère la partie produit, R&D (Recherche et Développement), production et logistique. À leurs côtés : un commercial à Paris en télétravail, deux commerciales à Marseille et une au marketing.

 

  • Les particuliers peuvent acheter en ligne ici pour un mariage, un goûter d’anniversaire, etc. Il faut compter 0,48 euro pour 50 unités en vrac. Ou un coffret découverte de 20 fourchettes natures, 0,75 euro.

 

  • Les jeunes en production sont à l’Epide ou Établissement pour l’insertion dans l’emploi. Cet établissement public aide les jeunes de 17 à 25 ans, qui ont le plus de difficulté à trouver un travail ou une formation. Il existe 20 centres EPIDE répartis sur toute la France.

 

  • Quartier nord. L’entreprise a implanté pour l’instant Koovee dans le village d’activités Artizanord. Si elle souhaite trouver un local plus grand, elle entend rester dans les quartiers nord. « Je trouve chouette de créer de l’emploi dans une zone touchée par le chômage. Être ici apporte en plus plein d’avantages, notamment d’être proche du centre. Car généralement les usines sont assez excentrées », détaille Tiphaine Guerout.